vendredi 10 octobre 2008

La possibilité d'une île - Michel Houellebecq



Ce n'est pas un grand film, mais le concert de huées des diverses critiques donne envie de savoir ce qui a tant indigné. En quoi Michel Houellebecq est-il
indigne de faire du cinéma? Et pourquoi toujours cette place de fils jamais prodigue (qu'on lui prête, qu'il nous invite à lui prêter)?
Peut-être parce que son film est aussi sourd que ses livres, aussi seul. Surdité essentielle, flirtant avec la pose, parfois, toujours menaçante en tout cas, toujours suspecte. Déréalisation du sujet, noyé dans l'espace. Refus de célébrer la magie, la gloire de l'espèce humaine. Même confusion entre l'ironie (ayant pour effet l'aplatissement du sujet et la dépression du thème), et le premier degré extatique. Les cinéphiles perdent leurs acquis face à une grammaire brouillonne - brouillante.
Car Houellebecq, avec son film de milliardaire, n'a pas renoncé à faire de la littérature. Magimel sur Lanzarote ressemble plus à un caractère perdu au milieu d'une page qu'à ce qu'on appelle un personnage. Il semble se dissoudre dans le champ. A la fin, il n'est plus signalé que par la présence du chien. Aussi expressif que les roches qui l'entourent, on pourrait en venir à l'oublier, à le confondre. Et, grâce à ce travail de sape du monde des idées et de l'émotion, grâce à ce refus de l'identification (car la notion d'identité ne tient plus), Magimel devient un simple geste dans un monde inerte mais résistant. Et ce geste s'approche de la joie.
Ode à l'écriture, sans doute. Un signe dans une page au milieu d'autres signes - mais c'est celui-ci qui résiste.
La possibilité d'une île, on l'a lu ici et là, le sourire aux lèvres, serait aussi "navrant" qu'un Max Pecas. On flaire là l'ignorance volontaire d'une certaine critique, qui ne veut pas reconnaître que les films d'Antonioni, par exemple, ont ce même aspect déshérité, désaccordé, atone, que le film de Houellebecq. Parce que ce serait trop long d'expliquer le plaisir pris à Profession Reporter - trop long, et trop dangereux : il faudrait repenser le cinéma (les critiques préfèrent le panser : mais oui, le dernier Anne Fontaine est super sympa, et Honoré, qu'est-ce que c'est mignon - attitudes de parents inquiets face à un enfant malade, il n'a plus de jambes, mais il a encore deux bras pour faire tourner les roues de son fauteuil).
Ce qu'a tenté de faire Houellebecq : mettre en doute le cinéma, l'épuiser, le sortir du champ prévisible. Ce n'est pas toujours réussi, mais c'est à mon sens mille fois moins "navrant" que la soupe téléfilmique habile et cohérente. C'est un film qui vaut pour son incohérence et son incongruité - un geste d'artiste qui ne compte pas (ni la durée ni le coût de ses plans), la manifestation d'un esprit mi-lumineux mi-replié.
Sortant de la salle, j'ai entendu quelqu'un dire : "c'est tellement nul que c'en est choquant". Tandis qu'un million d'abrutis se prépare à accueillir dans leur mentalité préfabriquée Faubourg 36 (la suite des Choristes), Houellebecq parvient à choquer des centaines d'égarés que l'absence de consensus scandalise.

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