samedi 31 décembre 2011
en 2011, 10 films
2. La dernière piste – Kelly Reichardt
3. L’autobiographie de Nicolae Ceausescu – Andrei Ujica
4. Les champs brûlants – Stefano Canapa & Catherine Libert
5. Ceci n’est pas un film – Jafar Panahi & Mojtaba Mirtahmasb
6. Il était une fois en Anatolie – Nuri Bilge Ceylan
7. A dangerous method – David Cronenberg
8. La guerre est declarée – Valérie Donzelli
9. Palazzo delle aquile – Stefano Savona, Alessia Porto & Ester Sparatore
10. La grotte des rêves perdus – Werner Herzog
jeudi 1 septembre 2011
La guerre est déclarée - Valérie Donzelli
Si le film tombe parfois dans le piège d'une positive-attitude qui sonne comme un mot d'ordre (mais Valérie Donzelli a justement l'humour du mot d'ordre, c'est-à-dire une façon de mettre en scène le couple, la famille et les amis comme une tribu en guerre), il atteint aussi, par éclats, une forme assez rare de joie, voire de puissance d'être au monde. Plutôt qu'à un drame, c'est à un parcours initiatique que nous assistons, presque un épisode biblique : le mot 'miracle' est d'ailleurs prononcé, et s'incarne à l'image un soir de réveillon dans une chambre d'hôpital où une bouteille de champagne apparaît.
Cette épreuve à laquelle les personnages sont confrontés, permet aussi à ceux-ci d'atteindre une plénitude, une connaissance plus juste du monde - et, je dirais, une connaissance plus juste de leur Royaume intérieur (on peut penser au titre du film précédent de Valérie Donzelli, La Reine des Pommes), comme dans cette scène où Roméo et Juliette, sur une estrade, annoncent à leur famille et à leurs amis que l'opération a réussi. Cette annonce suscite chez les personnes informées une explosion de joie, mais ils s'embrassent sans pour autant rejoindre le Roi et la Reine, séparés par un champ/contre-champ et une certaine hauteur. C'est que ce Royaume est devenu intérieur. Roméo et Juliette l'ont trouvé, conquis, et dominé. Tout ce qui se trouvait autour d'eux est à présent en eux, et ils en disposent. La Reine alors s'évanouit : l'épreuve est immense et même la joie accable, parce qu'on ne sait pas à quoi elle tient, parce qu'elle est peut-être plus divine que rationnelle.
La guerre est déclarée est donc un film allant contre ce mensonge bergmanien qui veut qu'on ne s'aime pas, qu'il n'y ait jamais eu d'amour, et qu'il n'y ait plus rien à faire contre cela - déclaration de mépris et de défaite, à laquelle le film ne souscrit pas, au contraire tout-amour et tout-guerrier quelque soit la situation. Son postulat est fort : même séparés, Roméo et Juliette s'aimeront éternellement. Et comme cette chose, dans le cinéma européen, voire mondial, est plutôt inédite (La guerre est déclarée est non seulement anti-bergmanien, mais aussi anti-tout ce qui s'en rapproche : La chambre du fils de Nanni Moretti, Son frère de Patrice Chéreau, et même 21grammes d'Inarritu - anti-Duras également, chantre de La douleur, dont l'influence est tenace), forcément, il s'effondre par moments, s'offrant quelques facilités. Mais (et c'est assez paradoxal) il ne triche pas - ou triche cent fois moins que Bergman et ses héritiers contrits et fascinés par la contrition.
Ces facilités, on peut les inventorier, il n'y en a que deux :
- une tendance au clip, qui vient abolir le temps et ne dit rien de l'épreuve du temps ;
- un raccourci final sur les deux dernières années de guerre, où il nous est dit que Roméo et Juliette se séparent, mais où il ne nous est rien montré de cette séparation. Ca n'empêche pas la joie d'advenir, mais ça banalise l'amour, l'épreuve traversée, et la vérité de la séparation qui leur a été révélée (peut-être trop intime - il n'y a d'ailleurs pas de scène de sexe dans le film - peut-être trop long aussi, car alors il aurait fallu deux heures supplémentaires pour prendre en compte cette donnée nouvelle, qui est la réalité du couple Donzelli/Elkaïm, mais qui dans ce récit sonne un peu faux).
La guerre est déclarée est un credo, presque une profession de foi : la gravité n'a pas lieu d'être ; l'humour et la légèreté n'empêchent pas le courage, n'empêchent pas d'être absolument Hommes. Les faux problèmes sont évincés les uns après les autres, à l'instar de cette scène où Roméo arrive en retard pour voir son fils, et où Juliette, plutôt que de le lui reprocher, lui annonce la mort d'un autre enfant à l'hôpital et se vexe de son absence de réaction. Le problème est immédiatement résolu par une discussion qui remet les choses au clair : le problème n'est pas la mort de cet autre enfant mais le retard de Roméo, et Roméo peut expliquer la raison de son retard - puissances conjointes du verbe et de l'intelligence qui la déploie, lesquelles mettent l'Homme à nu, sans le drame dont il se vêt par lâcheté trop souvent, préférant se faire énigme plutôt que de se présenter tel qu'il est. La guerre est déclarée dit : tout peut se résoudre, dès lors que la véritable énigme est posée.
Ainsi le film ne cesse de se recentrer : Paris ou Marseille, lui ou elle (l'enfant de toute façon), la fête ou les larmes (les deux). Il rejette toute exagération (bouffonnerie légère ou inquiétude démesurée) sans les esquiver, en les sentant très proches autour de lui, et en les traversant parfois.
L'autre grand tabou du cinéma français que ce film fait tomber, c'est la question du milieu (quoi de plus logique pour un film centré ?). Il n'y aucune culpabilité sociale ni aucune légitimation du même ordre : les héros ne font pas appel au monde, mais à eux-mêmes, à ce qu'ils sont en eux-mêmes, à ce qu'ils y trouvent. Leur rapport au monde peut sembler d'abord assez emblématique d'une génération : hermétique à la souffrance des autres, et plutôt opportuniste ("je veux le meilleur chirurgien, je connais des gens qui..."). C'est que ce rapport n'obéit à aucune ligne de conduite, ne considère que l'instant et la chose la plus juste à penser et à faire sur l'instant. Les personnages sont dés-idéologisés - non au sens où ils seraient déçus ou ignorants, mais plutôt au sens où ils tenteraient, vis-à-vis du fric notamment, d'exercer leur pleine et entière conscience intérieure sur ce qu'il y a de mieux à faire. Dirigés par rien d'autre qu'eux-mêmes - aussi Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm font-ils leurs propres films : politique d'indépendance assumée.
Bref, c'est un film beau et profond et drôle et émouvant et à mille lieues de ce qu'est devenu le cinéma d'auteur, et ça ressemble à la vie, à une vie vécue.