A quoi ressemble un cinéaste à qui l'on a interdit de faire du cinéma ? A un homme qui fait quand même du cinéma. Le titre n'est pas identique au précepte magrittien. Plus qu'une déclaration surréaliste, il s'agit d'une plainte. Le surréalisme est renvoyé à la justice iranienne.
Un homme, seul, chez lui, s'ennuie. Quelqu'un qui n'aurait jamais entendu parler de Jafar Panahi verrait qu'il manque quelque chose à cet homme. Dès les premiers plans, ce manque est palpable. On dirait du Sofia Coppola : appartement bourgeois, démarche Droopy, téléphone qu'on n'a pas besoin de tenir à la main, gourmandise d'un carré de sucre dans la bouche avant de boire une gorgée de thé. Mais, très vite, Jafar Panahi renvoie aux oubliettes le désoeuvrement : il trouve ces images fausses, ce n'est pas lui qu'on voit. Le film va avancer ainsi, par reniements successifs, jusqu'à l'image juste, jusqu'à la scène qui montrera l'homme et, montrant l'homme, montrera le monde pesant sur lui. C'est cela qui a toujours fait la force des films de Panahi : une permanente remise en question de la représentation. Tout est toujours négociable, comme nous l'indique cette ahurissante séquence d'un film passé, Le miroir, où la jeune fille jouant le rôle principal décide d'arrêter le tournage. Pour Jafar Panahi, la loi n'existe que pour les cas particuliers qu'elle génère. La justice est morte, mais la jurisprudence est toujours en jeu.
Pour cela, pour que la question existe, il faut faire intervenir l'autre, un ami, le cinéaste Mojtaba Mirtahmasb. Là aussi, on reconnaît bien le cinéma de Panahi : on est loin de l'isolement des figures sartriennes, la parole se confronte aux autres, qui n'en sont pas privés. Le dialogue est peut-être la clef de l'existence.
Ceci n'est pas un film est une leçon de cinéma où personne ne pose en maestro. Que Panahi ait invité Mirtahmasb à venir le filmer est une nécessité légale, certes, mais pas seulement : Mirtahmasb porte avec lui un cinéma que Panahi n'imagine pas, un cinéma de l'instant, qui s'appuie sur des connaissances techniques simples et fait fi de toute contrainte, simplement pour "documenter" (c'est le terme employé par Mirtahmasb, reprochant à Panahi de n'avoir pas filmé les jours qui ont suivi son arrestation). Panahi a été un cinéaste académique (au sens gouvernemental du terme : ses films ont été financés) et ne sait rien des notions d'éclairage et de qualité d'image. Il a toujours eu une équipe technique. Aujourd'hui, n'ayant plus l'autorisation de travailler, il va devoir apprendre à travailler autrement, et il n'a pour cela que l'amitié de quelques uns venant encore se confronter à lui, à sa peur de faire des films qui n'en sont pas, qui ne peuvent pas en être, qui ne ressembleront pas à ce qu'il a fait. Travailler autrement : faire de l'interdiction de travailler le sujet de son travail.
Et si Panahi reçoit une leçon prodigieusement efficace (le soir-même, il s'empare de la caméra et filme les arcanes de son immeuble grâce à la rencontre qu'il fait d'un concierge remplaçant), il dit aussi ce qu'il sait du cinéma : tout est question d'espace. Sur le tapis de son salon, il mime pour le non-film le film qu'il voudrait faire. On se rend compte que l'architecture du lieu joue un rôle presque aussi important que l'histoire. Les films de Panahi n'ont cessé de définir des frontières. On pourrait s'amuser que Ceci n'est pas un film en définisse une autre : l'espace filmable (l'appartement) contre la rue où retentissent les pétards de la fête du feu, espace sur lequel on gagne toujours quelques mètres, par la vue du balcon, par les sons qui nous viennent de l'extérieur, par la fenêtre ouverte, par les informations télévisées, par les coups de téléphone reçus, par les étages qu'on descend en ascenseur, par le sous-sol, et par la grille enfin qui se referme sur le cinéaste.
Mais, plus important encore que l'espace, la rencontre. C'est elle qui préside au cinéma - ce sont les yeux bizarres de l'acteur de Sang et Or qui font la scène, nous dit et nous prouve Panahi revisitant sa filmographie ; de même, c'est le concierge qui ouvre la porte de l'ascenseur, c'est lui qui montre le monde, c'est à travers lui que le cinéma s'incarne. Et c'est en le voyant qu'on voit le mieux qui est Panahi : un homme amoureux du monde, à qui on a interdit de filmer cet amour, mais qui le fait quand même, comme il le peut désormais.
La pétition est ici : http://www.petitiononline.com/FJP2310/petition.html
Un homme, seul, chez lui, s'ennuie. Quelqu'un qui n'aurait jamais entendu parler de Jafar Panahi verrait qu'il manque quelque chose à cet homme. Dès les premiers plans, ce manque est palpable. On dirait du Sofia Coppola : appartement bourgeois, démarche Droopy, téléphone qu'on n'a pas besoin de tenir à la main, gourmandise d'un carré de sucre dans la bouche avant de boire une gorgée de thé. Mais, très vite, Jafar Panahi renvoie aux oubliettes le désoeuvrement : il trouve ces images fausses, ce n'est pas lui qu'on voit. Le film va avancer ainsi, par reniements successifs, jusqu'à l'image juste, jusqu'à la scène qui montrera l'homme et, montrant l'homme, montrera le monde pesant sur lui. C'est cela qui a toujours fait la force des films de Panahi : une permanente remise en question de la représentation. Tout est toujours négociable, comme nous l'indique cette ahurissante séquence d'un film passé, Le miroir, où la jeune fille jouant le rôle principal décide d'arrêter le tournage. Pour Jafar Panahi, la loi n'existe que pour les cas particuliers qu'elle génère. La justice est morte, mais la jurisprudence est toujours en jeu.
Pour cela, pour que la question existe, il faut faire intervenir l'autre, un ami, le cinéaste Mojtaba Mirtahmasb. Là aussi, on reconnaît bien le cinéma de Panahi : on est loin de l'isolement des figures sartriennes, la parole se confronte aux autres, qui n'en sont pas privés. Le dialogue est peut-être la clef de l'existence.
Ceci n'est pas un film est une leçon de cinéma où personne ne pose en maestro. Que Panahi ait invité Mirtahmasb à venir le filmer est une nécessité légale, certes, mais pas seulement : Mirtahmasb porte avec lui un cinéma que Panahi n'imagine pas, un cinéma de l'instant, qui s'appuie sur des connaissances techniques simples et fait fi de toute contrainte, simplement pour "documenter" (c'est le terme employé par Mirtahmasb, reprochant à Panahi de n'avoir pas filmé les jours qui ont suivi son arrestation). Panahi a été un cinéaste académique (au sens gouvernemental du terme : ses films ont été financés) et ne sait rien des notions d'éclairage et de qualité d'image. Il a toujours eu une équipe technique. Aujourd'hui, n'ayant plus l'autorisation de travailler, il va devoir apprendre à travailler autrement, et il n'a pour cela que l'amitié de quelques uns venant encore se confronter à lui, à sa peur de faire des films qui n'en sont pas, qui ne peuvent pas en être, qui ne ressembleront pas à ce qu'il a fait. Travailler autrement : faire de l'interdiction de travailler le sujet de son travail.
Et si Panahi reçoit une leçon prodigieusement efficace (le soir-même, il s'empare de la caméra et filme les arcanes de son immeuble grâce à la rencontre qu'il fait d'un concierge remplaçant), il dit aussi ce qu'il sait du cinéma : tout est question d'espace. Sur le tapis de son salon, il mime pour le non-film le film qu'il voudrait faire. On se rend compte que l'architecture du lieu joue un rôle presque aussi important que l'histoire. Les films de Panahi n'ont cessé de définir des frontières. On pourrait s'amuser que Ceci n'est pas un film en définisse une autre : l'espace filmable (l'appartement) contre la rue où retentissent les pétards de la fête du feu, espace sur lequel on gagne toujours quelques mètres, par la vue du balcon, par les sons qui nous viennent de l'extérieur, par la fenêtre ouverte, par les informations télévisées, par les coups de téléphone reçus, par les étages qu'on descend en ascenseur, par le sous-sol, et par la grille enfin qui se referme sur le cinéaste.
Mais, plus important encore que l'espace, la rencontre. C'est elle qui préside au cinéma - ce sont les yeux bizarres de l'acteur de Sang et Or qui font la scène, nous dit et nous prouve Panahi revisitant sa filmographie ; de même, c'est le concierge qui ouvre la porte de l'ascenseur, c'est lui qui montre le monde, c'est à travers lui que le cinéma s'incarne. Et c'est en le voyant qu'on voit le mieux qui est Panahi : un homme amoureux du monde, à qui on a interdit de filmer cet amour, mais qui le fait quand même, comme il le peut désormais.
La pétition est ici : http://www.petitiononline.com/FJP2310/petition.html
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