mercredi 28 octobre 2009

Irène - Alain Cavalier

Il y a un tableau de René Magritte qui s’appelle (je crois) La lecture défendue. C’est une pièce avec un escalier qui mène contre un mur, et sur le plancher est écrit ce mot : sirène, avec, à la place du i, un doigt levé surmonté d’un grelot métallique.
A un moment du film d’Alain Cavalier, on voit un oiseau mort sur une table de jardin, et j’ai repensé à ce tableau, comme si l’oiseau tombé levait l’interdiction de la lecture : est-ce Irène ? Magritte semble l’avoir peint pour Alain Cavalier.
Irène
, c’est une enquête sur une femme aimée, morte en 1972. Un film à la première personne, où le cinéaste filme au présent les chambres du passé, et parle. Cette parole distend l’image, la fait sombrer loin de l’aplanissement du grain de la vidéo. Au contraire, on traque un fantôme, on le voit, on le sent – l’image est riche de sa présence inoubliée – l’image est suspecte : Irène est un vrai film noir, avec un mystère (qui est l’autre ?) épaissi par la mort de son héroïne sans possible doublure.

jeudi 22 octobre 2009

Ceci n'est pas une pipe, c'est Un prophète, de Jacques Audiard

Dans la salle d’Un prophète, quelques minutes avant la fin, deux filles sont parties en disant : tin, c’est tous des pédés ou quoi ?! Et, c’est vrai, c’est tous des pédés.
Le film repose intégralement sur une homosexualité non accomplie, sur une pipe qui n’a pas eu lieu. Le héros, contre un peu de shit, doit sucer un mec. Mais au moment de passer à l’acte, il sort la lame de rasoir de sa bouche et lui tranche la gorge. Comme chez Jean Genet, on tue plutôt que de sucer. Au lieu d’un filet de sperme sur la bouche du héros, c’est un filet de sang qui s’y dessine – il s’est blessé avec la lame – était-il inexpérimenté, ou bien troublé ?
Mais si chez Genet le sexe et le meurtre sont liés de façon très trouble, et l’on passe de l’un à l’autre sans jamais savoir sur quel pied danser, chez Audiard, ils sont clairement antagonistes. Plutôt que de devenir pédé, le héros devient criminel. De même, Audiard, plutôt que de faire des films gay, fait des films de gangsters. C’est une manière comme une autre de filmer des hommes entre eux. Le titre de son premier film (Regarde les hommes tomber) est explicite. Un héros très discret a sans doute beaucoup à cacher. Le reste de sa filmographie (hormis le mièvre et peu crédible Entre ses lèvres – tiens, là encore, une pipe s’est glissée dans le titre) n’en démord pas. Filmer Kassovitz, Cassel, Duris, les méchants garçons du cinéma français, et maintenant Tahar Rahim, c’est sa seule ambition, c’est son seul plaisir, c’est le seul moment où sa caméra entre en ébullition. Et surtout, les filmer aux prises avec des pères écrasants, des pères plus gangsters qu’ils ne le seront jamais, avec lesquels il faut composer – et qu’il faut parfois tuer.
Un prophète est littéralement hanté par cette pipe inaboutie. Le non-amant du jeune héros revient en fantôme, dans sa cellule, lui parler, prédire son avenir, le faire rêver. A son cou, la blessure à la lame de rasoir ne cicatrise pas – la marque du vampire est intacte et le restera à jamais. C’est le côté Cocteau du film. Ce fantôme, et aussi le long travelling sur les fenêtres des cellules où les hommes isolés se branlent tous en même temps devant un film de cul passant à la télé.
On peut voir Un prophète sous l’angle de cette homosexualité : l’Arabe est le tentateur (drogues, douches, crasse), le Corse est plus hétéro-normé (télé, Granola, pognon). Le héros ‘choisit’ d’abord le clan corse. Les murs de sa cellule sont couverts de photos de filles à poil – c’est un rempart un peu fragile, le sperme qui y sèche rongeant les pages déchirées dans les magazines. Il n’a parmi les Arabes qu’un ami, instruit, qui lui apprend à lire. Celui-ci est marié et il a un enfant. Mais il a le cancer des couilles. Serait-ce lié ?
C’est après avoir pris l’avion pour la première fois (après s’être envoyé en l’air, donc), que le jeune homme perd la boule. Au contact d’un chef de gang arabe, qui l’amène à la plage, lave le sang sur sa chemise, lui ligote les mains, lui propose d’aller se faire sucer, il change de camp, et s’affranchit du père corse trop écrasant, auquel il ne pouvait rien révéler de ses activités secrètes (le trafic de drogue, pas très au goût de Niels Arestrup). Leur rencontre est marquée d’un sacrifice : un daim percute la voiture qui les conduit au lieu de la négociation. La bête est morte et aussitôt dévorée. Ceci n’est pas une pipe.

vendredi 16 octobre 2009

Hotel Woodstock - Ang Lee



Non seulement le film est bâclé, inerte, mal écrit, filmé par-dessus la jambe, et joué par des comédiens complètement perdus, mais en plus il a ce fond réactionnaire qu’on trouve souvent dans l’oeuvre d’Ang Lee (Ice Storm en étant l’apogée moralisatrice, avec son châtiment final s’abattant sur les personnages en rut).
Outre la caricature juive complètement dénuée d’humour (la vieille agrippée à son argent, le père soumis, le bon fils), quel plaisir a-t-on à nous montrer un flic casseur de hippies prendre sur sa mobylette le héros homosexuel afin de le conduire plus rapidement au concert ? Quel plaisir, sinon un plaisir réac, à nous dire que les grands bourgeois complètement coupés des réalités terrestres sont à l’origine de Woodstock (la belle affaire…) ?
Certes, il n’y a pas, cette fois-ci, de punition contre les crimes sexuels perpétrés par la horde de jeunes échevelés (il y en avait une dans Brokeback Mountain, et elle n’est pas à considérer autrement que comme une punition – un ressort scénaristique aiguisé qui fait pleurer mémé, qui semble nous dire que l’amour est une utopie, mais qui est surtout une façon de sabrer la joie – à peine esquissée – par incapacité à l’assumer pleinement) – aucune punition dans Hotel Woodstock, si ce n’est la boue, résultat symbolique affligeant de toutes les sodomies perpétrées en ce lieu et en ce temps.
Mais il y a surtout, autour du personnage de la mère, une vraie défaite. De douce folle un peu prisonnière de clichés antisémites minables, elle devient folle irrécupérable, mal-aimable, à jamais figée dans les délires régressifs du scénariste et du réalisateur. Un plan la condamne irrémédiablement. Elle dansait sous la pluie après avoir mangé trop de space-brownies, elle est aussitôt punie : elle rampe sur le parquet, agrippée à sa cagnotte (quelques minutes avant, elle offrait des draps et des serviettes), et c’est la dernière image que nous avons d’elle. C’est un personnage qui s’éteint : où il y aurait pu y avoir intelligence, humour, et un peu d’émotion familialiste, on ne trouve que les grosses ficelles mélodramatiques (même folle, même avare, même conne à en pleurer, son mari l’aime…), et une fermeture du sens qui privent le spectateur de toute liberté.
Aussi ce film, qui s’empare d’un grand et important mouvement contestataire comme si ce n’était qu’un paysage de carte postale folklorique, s’avère être un chromo petit-bourgeois, mou du cul, qu’on croirait destiné aux électeurs de Sarah Palin. Qu’apprend-on sur Woodstock, si ce n’est qu’il y avait du fric en jeu ? L’ange du bon fils juif est une escroquerie : c’est en vérité un regard frustré, contrit, envieux qui nous est imposé en sourdine.
Et puis, ce plan furtif (l’écran est alors divisé en trois cadres différents) sur l’affiche maoïste, qu’est-ce, de la part d’un cinéaste chinois, sinon une perversité pas même assumée ? Ang Lee se tient comme larvé sous son film, et l’impression est pour le moins désagréable.