vendredi 29 octobre 2010

Larry Clark au musée d'art moderne de la ville de Paris & Splendor de Gregg Araki

Voir l'exposition de Larry Clark au musée d'art moderne a confirmé tout ce que je pressentais chez ce cinéaste, dont j'aime pourtant quelques films (Kids, Another day in paradise, Wassup Rockers - mais pas Bully ni Ken Park). Il y a dans cette exposition deux photographies l'une à côté de l'autre, et toutes les deux sont très belles, mais elles sont à côté l'une de l'autre, et cela pose problème. La première photographie, c'est une femme enceinte en train de se piquer. La deuxième, c'est un bébé mort dans un cercueil. Avoir mis ces deux photographies côte à côte, c'est empêcher toute beauté, c'est contraindre notre regard à n'être pas plus haut que celui d'un quelconque ministère de la santé. Si bien qu'au lieu d'être troublé, ou ému, par ces photographies qui vues séparément peuvent provoquer ce trouble ou cette émotion (parce que Larry Clark est un bon photographe), on juge. On ne peut pas s'empêcher de faire le rapport de causalité, donc on juge. Présenter ces deux photographies l'une à côté de l'autre, c'est un peu comme si on montrait deux hommes s'embrassant, puis les deux mêmes hommes morts du Sida. Larry Clark nous circonscrit dans le lieu commun.

Après cette exposition, et celle de Basquiat, magnifique mais si dense qu'il me serait impossible d'écrire à son sujet, je suis allé voir Splendor, un film de Gregg Araki vieux de dix ans.

Les films de Gregg Araki avant Mysterious Skin étaient autrement plus provocateurs et dégénérés, acides et aventureux que ceux d'aujourd'hui. Le cinéaste semble être devenu, du moins en France, le parangon de la contre-culture white-trash-pop-gender-studies, au côté de Larry Clark, qui a dû lire Le Marxisme Pour Les Nuls afin de rester au top de l'acuité sociologique (cf Wassup Rockers). Mais depuis que ce statut est acquis pour Gregg Araki, le propos s'est affadi, et les propositions de cinéma sont plus que timides. Splendor est d'une autre trempe que le récent Kaboom. Le film est sorti en 2000 en France, quand la presse s'éblouissait devant American Beauty, ce qui nous fait nous souvenir que ce qui est de l'ordre de la contre-culture n'est vraiment pas ce qui intéresse la presse (ne peut pas l'être ?).
Splendor, c'est l'histoire d'une jeune actrice sans rôle qui rencontre deux garçons et ne peut choisir entre les deux. Ils forment donc un couple à trois, vivent ensemble et baisent ensemble, jusqu'à ce que la fille tombe enceinte. Ce sont alors tous les vieux schémas petits-bourgeois qui rappliquent : trouver un bon père, vite, un homme qui travaille et qui la fasse se sentir adulte, même si elle ne l'aime pas, même si elle aime encore ses deux amants pauvres et bien décidés à le rester.
Ce film est l'occasion pour Araki de démultiplier les clichés et de les briser les uns avec les autres. Comme pour tout artiste pop, c'est dans la multiplication des figures que la figure perd sens et prend forme (perd le sens imposé par la figure, et prend la forme du monde). C'est la bohème contre la hype, c'est la bohème tellement bohème qu'elle devient hype, c'est la hype tellement hype qu'elle devient bohème, et à la fin il ne reste rien, aucune illusion de clan ou d'appartenance, aucune strate, un monde vierge, presque sans matière, où inventer une vie relève de l'exploit. Car les personnages des films de Araki sont des héros - c'est-à-dire des mythes qui ont repoussé les frontières du mythe.
Splendor est aussi et surtout une comédie très rythmée, qui n'a pas peur d'être idiote, et qui même dans l'idiotie la plus totale ne perd jamais l'énergie rageuse/amusée de son propos. Foutraque, oui, mais décidée à changer l'ordre du monde, pas moins.

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