Dans les deux films de Juraj Jakubisko, on fait tomber une armoire. Car on ne peut rien ranger, classer, ni cacher au regard. Tout est en désordre et tout est visible. Sans doute l'un sert-il l'autre. Sans doute le chaos et la vision se génèrent-ils l'un l'autre à l'infini. Car c'est bien la question de la vision que pose le cinéaste slovaque : que voit-on ? que discerne-t-on dans les possibles d'un monde écroulé ? qu'est-ce qui est décor, et qu'est-ce qui est vrai ? La réponse est à chaque fois sanglante, frondeuse, provocatrice, exubérante. L'outrance est la seule survie possible - et en même temps elle creuse le désespoir. Les êtres s'égarent dans leur libre-arbitre - mais c'est ce libre-arbitre qui est la donnée même de leur existence.
Les années du Christ, premier film du cinéaste, nous donne à voir des hommes sans valeur ni repère, des hommes de trop dans une Prague décrépie. C'est l'irruption d'une génération existentialiste, qui doit tout remettre en jeu - donc en images. Tout réapprendre : à vivre, à aimer, à parler, à faire la fête, à créer. Chaque scène est l'occasion d'inventer la vie qui soit la plus juste possible, et de poser les bases d'un nouveau monde. Les années du Christ, à sa façon baroque et fictionnelle, vaut comme témoignage d'une époque. Le cinéaste cherche encore ses marques.
Les oiseaux, les orphelins et les fous démarre sur les images quasi-documentaires d'un carnaval d'enfants qui semblent vieux, et sur ces mots, prononcés par un enfant dont la voix devient celle d'une femme :
"Moi, Juraj Jakubisko, réalisateur slovaque, je vais vous raconter une histoire.
Comment il est nécessaire
et à la fois inutile
de chercher un remède
pour une vie sans amour pour la haine
qui ne connaît pas le bonheur sans la tristesse.
Comment il est nécessaire et à la fois inutile
de chercher un remède pour une vie qui ne connaît pas la joie sans la folie
et la mort sans la banalité."
Ceci est l'acte de foi d'un cinéaste réconcilié avec ses multiples.
Ce qui nous intéresse, ici, dans ces quelques mots qui ne pourraient être qu'une vague déclaration d'intention, mais qui prendront corps dès les premières images du film et ne nous quitterons plus, c'est ce paradoxe apparent : inutile et nécessaire à la fois. Gratuit et vital. Bouffon et profond. Jakubisko s'est débarrassé du 'mais' de rigueur. Il annonce une tragédie qui nous fera rire et une farce qui nous fera pleurer, et ce sera le même film.
Ce n'est pas un hasard si la photographie est très présente dans Les oiseaux, les orphelins et les fous. Il y a celui qui regarde et celui qui est regardé. Il y a l'envers et l'endroit sur la même image. Et les problèmes ne surgissent que lorsque l'un des personnages "photographie avec ses yeux", c'est-à-dire sans appareil.
Les années du Christ sautaient d'un pied sur l'autre, irruptions violentes du délire dans les scènes les plus sourdement sérieuses, surgissements brusques d'un désespoir au coeur de ce qui ne semblait reposer que sur de la gaieté. Les oiseaux, les orphelins et les fous est un film campé sur ses deux pieds mal ajustés, irradiant de sérénité dans le chaos qu'il convoque. Un très grand film, vraiment.
Et l'article est aussi sur Kinok.
Les années du Christ, premier film du cinéaste, nous donne à voir des hommes sans valeur ni repère, des hommes de trop dans une Prague décrépie. C'est l'irruption d'une génération existentialiste, qui doit tout remettre en jeu - donc en images. Tout réapprendre : à vivre, à aimer, à parler, à faire la fête, à créer. Chaque scène est l'occasion d'inventer la vie qui soit la plus juste possible, et de poser les bases d'un nouveau monde. Les années du Christ, à sa façon baroque et fictionnelle, vaut comme témoignage d'une époque. Le cinéaste cherche encore ses marques.
Les oiseaux, les orphelins et les fous démarre sur les images quasi-documentaires d'un carnaval d'enfants qui semblent vieux, et sur ces mots, prononcés par un enfant dont la voix devient celle d'une femme :
"Moi, Juraj Jakubisko, réalisateur slovaque, je vais vous raconter une histoire.
Comment il est nécessaire
et à la fois inutile
de chercher un remède
pour une vie sans amour pour la haine
qui ne connaît pas le bonheur sans la tristesse.
Comment il est nécessaire et à la fois inutile
de chercher un remède pour une vie qui ne connaît pas la joie sans la folie
et la mort sans la banalité."
Ceci est l'acte de foi d'un cinéaste réconcilié avec ses multiples.
Ce qui nous intéresse, ici, dans ces quelques mots qui ne pourraient être qu'une vague déclaration d'intention, mais qui prendront corps dès les premières images du film et ne nous quitterons plus, c'est ce paradoxe apparent : inutile et nécessaire à la fois. Gratuit et vital. Bouffon et profond. Jakubisko s'est débarrassé du 'mais' de rigueur. Il annonce une tragédie qui nous fera rire et une farce qui nous fera pleurer, et ce sera le même film.
Ce n'est pas un hasard si la photographie est très présente dans Les oiseaux, les orphelins et les fous. Il y a celui qui regarde et celui qui est regardé. Il y a l'envers et l'endroit sur la même image. Et les problèmes ne surgissent que lorsque l'un des personnages "photographie avec ses yeux", c'est-à-dire sans appareil.
Les années du Christ sautaient d'un pied sur l'autre, irruptions violentes du délire dans les scènes les plus sourdement sérieuses, surgissements brusques d'un désespoir au coeur de ce qui ne semblait reposer que sur de la gaieté. Les oiseaux, les orphelins et les fous est un film campé sur ses deux pieds mal ajustés, irradiant de sérénité dans le chaos qu'il convoque. Un très grand film, vraiment.
Et l'article est aussi sur Kinok.
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