mercredi 31 août 2011

La grotte des rêves perdus - Cave of forgotten dreams - Werner Herzog

Ce film est un legs. A la question que faire de sa notoriété, comment employer à bon escient son pouvoir, Werner Herzog répond : en approchant ce que peu approcheront, et en le donnant à voir à tous. Ici, donc, les peintures rupestres de la grotte Chauvet, fermée au public aussitôt découverte, et qui sera reconstruite, façon Lascaux, dans un bunker en béton en 2014, le temps de préparer les audio-guides. L'horreur. Werner Herzog nous propose donc de rester chez nous et de voir tout cela autrement, au cinéma, et en trois dimensions.

La force du film (et du cinéma de Herzog d'une manière générale) tient à la façon dont le cinéaste charge notre regard d'un certain nombre de connaissances, discernant le connaissable et l'inconnaissable (ou l'exactitude et l'approximation), distinguant le logique de l'idéologique (ou la réalité de l'interprétation), pour nous faire peu à peu accéder à la vision. Et pas seulement à la vision réaliste.
Le cinéaste nous donne toutes les clefs d'une vision réaliste et quelques clefs des interprétations des uns et des autres, et ces clefs nous permettent, à nous spectateurs, d'accéder à une autre vision, ni réaliste ni interprétative cette fois, qui serait plutôt celle de l'intuition, celle qu'on prête au chamane - à l'instar de cette histoire qui nous est contée d'un aborigène australien à qui l'on demande pourquoi il peint et qui répond : "je ne peins pas, c'est la fourmi". Voir la fourmi, donc, c'est ce que nous propose Werner Herzog. Voir l'homme des cavernes peindre sur la roche, et voir le vaste monde auquel il appartient. C'est la question de la perméabilité évoquée par l'un des chercheurs.
Aussi le cinéaste nous convie-t-il à un fabuleux épilogue avec des crocodiles albinos vivant dans les eaux chaudes de la centrale nucléaire du Tricastin. Tout son génie tient à cela : conjoindre le dérisoire à l'effroi, le grotesque à l'apocalyptique (on se souvient des singes du zoo de Bokassa fumant des cigarettes dans Echos d'un sombre empire). Ici, les crocodiles monochromes en trois dimensions naviguent entre l'air et l'eau, dédoublés, et se rencontrent comme s'ils voyaient un reflet. On a rarement autant joué sur les différentes dimensions d'une image.

La 3D n'est pas un gadget. On pouvait s'y attendre, mais le cinéaste l'investit comme un élément de réflexion supplémentaire sur ce qu'est le cinéma, de la même façon qu'il investit cette grotte non seulement parce qu'il peut, mais aussi parce que son cinéma l'appelle.
La salle de cinéma est un ventre, on le savait. Les grottes sont utérines, on le savait aussi. Alors que dire d'une grotte en 3D dans une salle de cinéma ? Là, c'est carrément l'origine du monde. Le cinéma de Herzog est pénétrant.
Mais le relief ne s'applique pas seulement à la profondeur de champ (chose que la focale, dans le cinéma 2D, questionnait déjà largement). Il s'applique aussi et surtout aux surfaces. Surfaces rocheuses où s'animent des dessins qui, reproduits dans des livres, n'auraient pas la même vie ni le même impact. Les hommes qui ont peint ces animaux les ont peints dans des creux, dans des contours et sur des bosses, et ce n'est pas un hasard. Le lisse d'une page ne dira rien de cette chose - une image 2D en aurait été incapable - seule la 3D pouvait rendre compte de cette matière. De même, ces hommes ont peint dans les salles les plus obscures, de sorte que le feu des torches fasse se mouvoir les peintures. Ils ont peint à ces animaux plus de jambes qu'ils n'en avaient : là encore, c'est la question du mouvement. La 3D devient, entre les mains d'Herzog, une question de mouvement plus qu'une question d'espace. Comment les formes changent, comment les aspérités de la roche rendent compte de ces changements.
Et le plus fort tient encore à une autre utilisation de la 3D : voir les visages des interviewés, voir leurs visages et leurs corps s'avancer dans l'obscurité de la grotte. Choses fragiles, sans surface unie, polymorphes, que le cinéaste cerne à merveille. Les films en 3D ne nous montraient que des stars aux visages refaits : nous voyons des êtres humains que le temps traverse, que l'émotion déstabilise, que l'exaltation du lieu contamine. Des visages qui ne sont pas des surfaces : les visages refaits des stars hollywoodiennes ont une qualité d'aplat qui annule la 3D (je ne sais pas ce qu'il en est du Pina de Wenders, et à vrai dire je m'en fiche).

On traverse alors beaucoup de choses en voyant un tel film (qui l'eut cru ?) : un moment d'émerveillement, un moment pédagogique nécessaire et intéressant, un moment de doute, un moment de mise au point des connaissances, puis un nouveau moment d'émerveillement qui inclue notre temps et notre présence face à ces peintures - émerveillement détaché cette fois, début d'une dinguerie douce, fil à tirer pour rêver : si les rêves de cette grotte sont perdus, nous en ferons d'autres.

lundi 29 août 2011

Deux films contraires : Bridesmaids / Mes meilleures amies, de Paul Feig & La piel que habito, de Pedro Almodovar


Le premier, Mes meilleures amies, est une comédie sans goût mais délirante. Le second, La piel que habito, est un polar ultra-chic mais corseté. Deux façons d'envisager la création cinématographique et le poids qu'une telle création représente.

Le parti-pris de Mes meilleures amies est simple : l'humour d'abord. L'humour, au point de faire passer les films des Farelly pour des comédies frigides, déployé dans des scènes étirées jusqu'à l'écoeurement et remplies de gags énormes. Paul Feig n'opte pas ici pour la formule parcimonieuse du une scène = un gag. La scène offre d'emblée son premier gag, puis en invente d'autres, jusqu'à ce que la situation se dégrade, jusqu'à créer un malaise. Le cinéaste investit les trajectoires de ses personnages par le malaise qu'ils provoquent au sein même des scènes. Si bien qu'on pense plus à Cassavetes qu'aux Farelly : l'énervement prime sur la candeur. Quelque chose se dessine alors, d'assez juste et émouvant, grinçant parfois, parfois même accablant, pour l'héroïne, petite fille devenue adulte sans le savoir ni le vouloir, autour de qui le monde se dérobe. C'est qu'elle tient un secret que ses amies ont renié pour aller de l'avant. Elle, va plutôt en arrière. Et personne n'a raison. Mais chacun fait de son mieux.
L'image est abominablement laide, le montage bancal, les cadrages approximatifs - mais peu importe car le plaisir est là, et une certaine profondeur (sentimentale, existentielle) est atteinte.

Le film de Pedro Almodovar avait tout pour plaire, promettant d'abandonner son sentimentalisme pompier, de délaisser le mélodrame neuneu de femmes qui pleurent en faisant la vaisselle et rêvent de belles robes, pour retrouver la hargne baroque et inconséquente des années 90. Quand Pedro Almodovar s'attaquait à la série B, ça donnait souvent de bonnes choses : Kika, La fleur de mon secret, En chair et en os. Mais là, ce n'est pas le cas. Il y a l'outrance d'un opéra, il y a tous les signes de cette outrance (couleurs, costumes, cadres dans le cadre, rebondissements spectaculaires), mais à l'intérieur des scènes aucun délire, aucun mouvement. Seulement des figures répondant à une écriture préalable. Seulement de la surcharge. Un film obèse d'intentions.
Almodovar est un cinéaste pataud, et l'histoire de ce film est bien trop dense pour qu'il parvienne à l'enlever dans un grand mouvement de maestria. Les flash-backs pèsent des tonnes - quant au retour au présent, c'est carrément l'enclume qui tombe du ciel. Le film ne virevolte pas - il effectue. La seule émotion qu'il transmet est celle du "ah d'accord", ou celle du "c'est pour ça", comme quand un ami bavard que tu n'as pas vu depuis un an s'ingénie à te raconter son année dans le détail. Tellement de détails et de retournements scénaristiques ici... On ne voit rien de ce qui dévore les personnages, de leur folie, de leur passion. Almodovar pense insuffler à cette série B ses thèmes de prédilection - mais ces thèmes lui appartiennent-ils vraiment? N'y a-t-il pas là quelque chose de présomptueux et d'écrasant? Se croire auteur, voilà le problème des cinéastes européens.

Ce sont donc deux systèmes qui s'opposent : un cinéaste espagnol qui met un film au service de ses intentions, un cinéaste américain qui se met au service d'un film. Le premier veut habiter son film mais n'y parvient pas, le second n'est sûr de rien mais croit en ses personnages et en son histoire, et ceux-ci donnent au film toute leur vivacité et toute leur force.

mardi 23 août 2011

La planète des singes, les origines - Rupert Wyatt

Ce n'est pas aussi 'maîtrisé' que le film d'Almodovar (note à venir), ni aussi 'sublime' que celui de Lars von Trier, mais c'est 100 fois plus léger et 100 fois moins mièvre. Pourquoi l'intelligence et le questionnement philosophique sans tricherie viennent-ils d'un gros blockbuster hanté par une motion-capture spectaculairement hideuse, et non du cinéma d'auteur ? Mystère... Il y a des gens qui savent travailler avec l'argent, et d'autres qui laissent leur cinéma crouler sous leur prétention monnayée. D'un côté, deux filous qui ne vont pas au bout de ce qu'ils avancent ; de l'autre, un artisan plutôt habile mais sans goût qui parvient à dire des choses malgré tout, parce qu'il ne résume pas le cinéma à une affaire de goût.

La réussite de ce film tient avant tout à sa façon d'aborder le fatalisme. Fatalisme d'un prequel, et le titre le rappelle : on sait ce qu'il va se passer, il n'y aura pas d'issue. C'est sans conciliation possible, et Rupert Wyatt ne peut pas jouer sur le suspense d'une alternative, ni avancer l'hypothèse d'un autre monde possible. Une erreur a été commise, et les causes de la fin du règne humain ne peuvent être attribuées qu'à l'homme. Ce que les singes voient n'est pas une possibilité de prendre le pouvoir, mais une nécessité pure et simple. Il n'est d'ailleurs pas question de pouvoir ici, ni même de méchanceté ou de Mal, mais d'erreur. Les humains ont commis une erreur, et, d'une certaine manière, ils auraient pu en prévoir les conséquences. C'est donc un film plus noir que Melancholia, plus abrupt philosophiquement, puisqu'il fait le procès froid non d'un espoir, mais d'un souhait : comme si l'Homme avait cherché à disparaître. La fin du monde (ou du moins la fin de sa présence au monde), l'homme la détient en lui, comme mode d'être au monde, et c'est ce qu'il choisit. C'est ce vers quoi ses activités très organisées tendent. Il n'y a pas une scène qui ne soit pas d'urgence, et cette urgence, à chaque plan, est moins le signe d'un divertissement que celui d'une logique droite et sans appel. La brutalité numérique des singes révoltés investissant San Francisco et son gros pont rouge opte pour la ligne droite (ils traversent toits et bureaux à vitesse constante, seuls les dégâts causés changent), voire pour le trait, qui s'épaissit grâce au nombre improbable de singes convertis. La ligne est guerrière, le cercle est un affaiblissement : les singes prisonniers de l'arène sont sans force, et César efface le cercle qu'il a tracé sur le mur de sa cage. Car La planète des singes, les origines, aussi paradoxal que cela puisse paraître, est un film spectaculaire contre le spectacle. Ce qui vient après lui, c'est la poésie - celle du film désolé de Franklin J. Schaffner, celle de la verticalité retrouvée : l'être, après avoir dit non, est à sa juste hauteur, et la statue de la Liberté s'enlise sur une plage déserte (le clin d'oeil du prequel est attendu, mais malin - comme tout le film, prévisible mais fonceur).

L'autre grand éclat, plaçant le film à contre-courant de la majorité des productions hollywoodiennes, c'est son anti-paternalisme radical. Le père n'est pas sauvé, il est même carrément répudié, et le fils ne peut plus se réconcilier ; c'est trop tard : il diffère. Cela s'effectue à plusieurs niveaux.
D'une part entre James Franco et son père, qu'il aurait aimé sauver, mais non (la mort est une donnée invariable que l'homme ne supportera jamais). James Franco, en tant que fils, est lui-même incapable d'être père. C'est son père qui donnera un nom à l'enfant-singe. Plus tard seulement, après la mort de son père, James Franco comprendra qu'il est le vrai père de ce singe et qu'il faudra en payer les conséquences.
D'autre part entre James Franco et son patron, lequel, après avoir sermonné sévèrement son génial employé, tout en faisant preuve d'un certain laxisme mielleux à son égard, voudrait le racheter, mais non (l'opposition politique et éthique des deux est bien trop forte pour qu'il y ait une quelconque entente sur la situation présente).
Aussi dans le personnage du tortionnaire des singes, qui travaille pour son père, dans la prison folle que celui-ci a construite - le fils oeuvrant donc pour la perpétuation de la maladie du père. Le film s'acharne contre les cycles incestueux. Le singe presqu'homme (car joué par un homme) est, par extension, ce qu'il y a de plus sauvage en l'homme, et il est le seul à pouvoir venir à bout de la répétition infernale des mêmes erreurs.
Enfin, entre James Franco et le singe qu'il a élevé puis fait enfermer. James Franco lui ouvre la porte de sa cage et lui propose de revenir à la maison : c'est trop tard, le singe est blessé, il n'y aura pas de deuxième chance, il ne rentrera pas dessiner de jolis cercles sur les murs de sa chambre, il a d'autres plans, d'autres nécessités que la douceur. A la fin du film, James Franco retourne voir le singe enfui avec sa meute et tente un dernier coup de bluff à l'émotion filiale : la réaction du singe est nette, il parle désormais, et, fort de cette parole, est devenu autonome - sa maison est le monde.

Il faudrait dès lors distinguer 'humain' de 'être', car le film joue sur cette ambiguïté, autour de la notion de parole. Etre humain, c'est un truc qui est donné à tous les humains, qu'ils parlent ou pas. Mais être, simplement être, ça se devient. A travers la parole, donc, que les Américains adulent, adorent, la prêtant même à des souris qui s'appellent Mickey ou à des trucs verts qui s'appellent Schreck ou à des idiots faulknériens. Parole simple, "non", "i want to go home", "file-moi du fric", mais pleine d'enjeux philosophiques. E.T., parlant, ne devient pas un être humain - il s'affirme au contraire absolument comme être extraterrestre. Sa parole le déshumanise, et, le déshumanisant, lui restitue toute sa puissance - soit l'inverse de Wall-E, d'emblée machine, humanisée par le soupir-affect.
Le singe César dit non, et son non n'a rien d'humain. Son non est un devenir-singe même si l'homme peut le dire aussi. Car le langage n'est pas une spécificité. On peut se l'approprier, le faire sien - mais il reste universel, et pas au sens de rassembleur. Le langage est cosmique.

mercredi 17 août 2011

Melancholia - Lars von Trier

Melancholia me pose exactement les mêmes problèmes que Antichrist. C'est bien, parce que ça permet de préciser ce qui m'éloigne désormais du cinéma de Lars von Trier.

D'abord, quelque chose de l'humour du cinéaste, quelque chose de son mordant, s'est perdu. Si bien que cette fin du monde me paraît tout aussi inoffensive que chez Spielberg : un jouet d'enfant n'assumant plus sa violence. La violence, dans Melancholia, est vécue comme un état psychologique et peine à s'incarner - tout tombe à plat : les cuillères en argent du père, l'interruption du discours du père de la mariée par la mère, et en trois phrases on expédie le patron de l'agence de publicité. Où sont les accès de rage des Idiots ou de Médée, les bouffées délirantes de Riget, la précision arithmétique du Direktor ou de Manderlay ? La mélancolie comme une partie de jambe en l'air avec le premier venu, chevauché sur une pelouse en faisant bien bouger son épaule, utilisation des acquis d'une première année de formation en danse contemporaine (après Antichrist, Antisexe). La mélancolie comme deux ou trois petites phrases méchantes et sans puissance ("le monde est mauvais", comme dirait Michael Bay).
Echappe à ça la scène de la photographie du verger, paradis promis de l'époux pour l'épouse, négligemment oubliée sur un divan après avoir juré fidélité à ce rêve pour deux. L'époux aurait pu être un très beau personnage, si Lars von Trier avait tenu jusqu'au bout la note aimante et dévouée - mais le départ brusque du personnage à la fin du mariage entrave toute vraisemblance, petit tour de scénario Festenisant relevant du tous pourris vite dit et sans preuve.
Le mariage : sans doute une séquence monumentale, quelque chose entre Cimino, Kubrick et Coppola, mais non. Les discours sont trop volontairement plats, les rires trop gravement accusateurs, tout est joué dès la première minute. Lars von Trier ne prend même plus la peine de filmer le monde pour en dépeindre les travers : les invités sont nombreux, on n'en verra que quelques uns, le père (étrange figure souvent présente à l'écran mais ne s'épaississant pas), la mère (atroce Charlotte Rampling - le summum est atteint lorsqu'on la voit faire de la gym)... Les autres existent à peine : Udo Kier avec sa petite main devant son petit visage de lézard nazi, Charlotte Gainsbourg avec son envie de prouver chaque seconde qu'elle est une grande actrice, Kiefer Sutherland coincé dans la rhétorique fric = bonheur et que ceux qui souffrent se taisent (son personnage se développera, heureusement, dans la seconde partie, jouant assez malicieusement avec la figure de Jack Bauer qui ne parviendrait pas, pour une fois, à sauver le monde, et ne le supporterait pas).
Ce qui m'ennuie le plus là-dedans, c'est l'anémie dans laquelle se tient le cinéma de Lars von Trier, comme coupé du monde désormais. Coupé du monde peut-être à cause de ses ambitions romantiques virant à l'imagerie, imagerie dans laquelle son cinéma peine à exister (au contraire de Werner Herzog par exemple, qui avec Kaspar Hauser investit le romantisme allemand comme un outil plus que comme une finalité). Peut-être à cause d'une ambition classique, aussi - néoclassique, donc décadente, en fin de vie, en fin de race.

La deuxième partie du film est plus puissante, mais les dialogues tuent tout. On voit quatre personnes se préparer à la mort : Justine comme si elle était déjà morte, Claire effrayée, Jack Bauer assurant la survie jusqu'au constat de son impuissance, et l'enfant par sa naïveté. Tout cela est assez schématique, et les images convoquées ne sont pas poussées : quelques plans gratuits sur des animaux sortant de terre qu'on ne retrouve nulle part, quelques larmes de trop chez des actrices pas vraiment dirigées (ou dirigées selon une logique hollywoodienne : à la fin, il faut pleurer), quelques essoufflements qui ne mènent à rien, n'influant pas sur les scènes. Un peu facile aussi de se moquer de cette fille qui voudrait écouter Beethoven avant de mourir, quand depuis le début le film baigne dans la musique de Wagner.
Claire est un beau personnage, constant, une sorte de coeur d'or (cf la trilogie Breaking the waves / Les idiots / Dancer in the dark) qui veut faire confiance à tout le monde et se rend compte que personne ne lui dit la vérité. Ma réserve sur le personnage de Claire tient surtout à l'interprétation qu'en fait Charlotte Gainsbourg, tout en larmoiements oscarisables. A la fin, je ne vois pas de peur, je ne vois qu'une performance.
Mais heureusement qu'il y a cette deuxième partie. Même pour le personnage de Justine : il lui reste quelqu'un à détruire (sa soeur et son neveu) sans que tout soit joué d'avance de ce côté-là, par ce dernier geste, précaire et mensonger, dégoûtant et nécessaire, de la cabane magique face à l'inéluctable. Alors pourquoi Justine pleure-t-elle ? Lars von Trier triche un peu, plaquant une gravité sur un "tout est foutu" qui aurait pu être autrement plus joyeux.

Malgré tout, je reconnais dans certaines scènes de Melancholia le cinéaste que j'ai aimé.
Dans le prologue d'abord, qui certes fait penser au générique de Secret Story, mais qui a cette qualité de lenteur, et qui agit comme le négatif de ce que nous verrons ensuite. Toutes les visions de Justine sont ainsi jetées dès le début, ossature d'un parcours initiatique dont nous ne savons rien. Les visions réparent le vécu, et fixent ce qui reste à vivre.
Le personnage de Justine est également très beau. Sa lenteur, ses bains, sa démarche, son visage épuisé de pomme de terre flétrie. Lui manque tout de même une force oraculaire, que Kirsten Dunste, reine molle, ne pouvait sans doute pas donner.
Le cerceau de fil de fer pour se rendre compte de l'avancée ou de l'éloignement de la planète : superbe trouvaille rendant compte de la fragilité avec laquelle notre connaissance du monde s'élabore.
Mais le plus fort peut-être, ce sont les moments où le cinéaste colle deux plans l'un à l'autre, un plan sur des visages, un plan sur le cosmos. Ces rapports-là fonctionnent très bien, parenthèses dans la petite vie des hommes, trouées de temps, qu'il s'agisse de regarder la planète, l'étoile rouge ou les ballons qui s'envolent. Ces respirations dans le récit sont des gouffres. On les trouve aussi dans les deux (ou trois) échappées à cheval sur le sentier filmées du ciel. La façon dont Lars von Trier récupère ce plan aérien en plan terrestre est absolument inouïe. Le cosmos mène à la forêt qui mène au museau du cheval qui mène au visage humain - soit exactement ce qu'a manqué Terence Malick dans son Tree of life, car les personnages de Lars von Trier s'inventent une connaissance du monde, portent cette connaissance en eux, tandis que Malick tient tout le monde à distance de cette connaissance comme si elle relevait d'un impossible. Cette force-là, j'aurais aimé la voir traverser le film. Mais le film est plus une plainte un peu poseuse qu'un véritable voeu.

jeudi 11 août 2011

Films d'un début d'été : Lourdes de Jessica Hausner, Super 8 de JJ Abrams, I'm still here de Casey Affleck, Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Love...



La psychanalyse par la bête a encore frappé le cinéma américain. Cet été, c’est Super 8, de JJ Abrams, qui s’y colle, où un enfant fait le deuil de sa mère en renvoyant un monstre dans une galaxie lointaine. C’est un beau film de mise en scène (l’accident du train pendant le tournage des enfants), où tout ce qui a trait au visible fonctionne – les dialogues sont plus poussifs : « c’est juste un accident », « la drogue c’est nul », « je sais que des choses terribles arrivent, mais la vie continue » - et le rythme global un peu trop enferré dans la nostalgie gluante convoquée. Retour vers le futur avait quelque chose de plus cocaïné et de moins publicitaire.

Vraiment minable, I’m still here de Casey Affleck avec Joaquin Phoenix. Ce documentaire pénible n’a pas même la force de croire en son canular. Joaquin Phoenix n’essaie pas de chanter ni d’écrire une chanson correcte. Il caricature la star reconvertie. Et si le film avait pour intention de mordre un peu dans le star-system en dénonçant sa cruauté, c’est raté, car il oppose une caricature à une autre, et l’un comme l’autre, au final, se partagent le pactole. Dégoulinades de millions de dollars sur une absence fondamentale de talent.

Plus pervers, le troisième film de Mia Hansen-Love, Un amour de jeunesse. Son premier, Tout est pardonné, m’avait laissé croire à une cinéaste. Son second, Le père de mes enfants, m’avait laissé croire à une erreur de parcours. Mais Un amour de jeunesse ne me laisse plus croire à rien. Plus que le confort vaguement truffaldien d’un cinéma français attaché aux drames et incapable de tragédie. Ici, on se suicide la porte ouverte, et on obtient le salut en s’intégrant dans la société. Le film fonctionne sur des idées qui ne s’incarnent jamais : qu’en est-il de cet amour que le titre évoque ? Le sentiment, la tourmente d'aimer, sont esquivés au profit du regret – mais que regrette-t-on ? Trop facile d’évacuer la joie. Trop facile de la résumer à quelques dialogues vite écrits, vite dits.

The murderer, de Na Hong-Jin, séduit plus par ses éclats sidérants de violence que par sa narration confuse. Beaucoup trop long et tape-à-l’œil : un épate-occidentaux boursouflé, avec une petite notice en préambule pour nous faire croire qu'on touche là à un problème de société. Problème de société = plus-value en Occident. Les Coréens l'ont bien compris.

Le journal de David Holzman, de Jim Mc Bride, s’arrête trop vite. Le film est bourré d’idées plus ou moins bonnes, mais quoi qu’il en soit bouillonnant. J’aime ces films qui donnent l’impression que quelqu’un quelque part dans le monde a creusé un tunnel et que nous sommes tenus de l’autre côté du tunnel, à observer cette personne en train de nous parler. Cette qualité d’intimité et de solitude propre à certains films. Dommage que celui-ci n’ait pas été plus persévérant, plus pugnace. Dommage qu’il se termine en coup de théâtre de film de fin d’études.

Enfin, Lourdes, de Jessica Hausner, est la vraie belle surprise de ce début d’été. Cette histoire de miracle au cœur d’un cinéma incrédule, inquisiteur, glacial, fonctionne très bien. Grâce à Sylvie Testud notamment, brillante, grâce aussi à une esthétique puissante, qui sait donner à voir un lieu, un petit groupe humain, et quelques visages isolés. Le personnage de Léa Seydoux est le moins réussi, inutilement cruel et méprisant – de même, l’envie que le miracle suscite me semble un peu plaquée et pas vraiment nécessaire, et Jessica Hausner s’y attarde un peu trop. La cinéaste se veut méchante, bunuellienne. Elle me semble plus proche de Jacques Tati que du réalisateur de Viridiana. La fin, très troublante, se serait passée de sarcasmes. Le jeu de Sylvie Testud suffit à comprendre qu’un abîme s’ouvre.