Le problème du film, pour moi, c'est l'ignorance dans laquelle il me tient. Et, d'une certaine manière, je trouve Tree of Life extrêmement prudent. Ambitieux dans ses effets, mais prudent dans ses causes, dans le dévoilement de ses causes (je ferais le même reproche aux derniers films de Philippe Garrel).
Je ne crois pas que Malick nous dise : espère, prie, aime et tais-toi. Ca, ce sont les voix-off qui le disent. Voix-off qui dessinent un portrait de la métaphysique américaine. Et qui font le tour de la question dans la mesure où la question est posée : c'est-à-dire qu'au lieu de demander politiquement aux hommes pourquoi le fils est mort (sans doute une guerre, mais laquelle ?), au lieu d'enquêter dans le monde tangible, on le demande à Dieu, et c'est le début d'un lamento infini, de l'illusion d'une joie dans l'espérance de la miséricorde. Mais le politique surgit quand le père est licencié, presque malgré le père, malgré les hommes : sans cette scène, le film ne vaudrait rien. Parce que cette scène nous montre, fugitivement, ce qu'est le monde autour de la famille, ce qu'est la société à laquelle ils participent, quelle est la nature du monstre qu'ils taisent : capitaliste.
Cela étant dit, la critique me semble insuffisante (insuffisante en comparaison des minutes effroyables passées dans la cour d'Angleterre à la fin du Nouveau Monde, vrai brûlot). Je parlais de prudence. Et il y a une certaine prudence (voire une filouterie) dans le fait de ne pas nommer la cause de la mort du fils. On imagine une guerre, on imagine le Vietnam, mais ça ne suffit pas. Parce que si on disait pourquoi le fils est mort, alors les prières à Dieu, les lamentos langoureux paraîtraient fous, seraient ce qu'ils sont : un entêtement, des ornières, un aveuglement. Là, ils ne sont pas fous, ils sont tristes. Tristes comme une idée fausse, que le spectateur accepte bien sûr, mais plaint (rituel compassionnel d'un certain cinéma). Malick emprunte un raccourci qui n'est pas à son honneur, tenant le spectateur dans la même ignorance que ses personnages, ignorance pourtant critiquée.
Il n'y a pas d'injonction à l'ignorance, mais il y a un refus de faire savoir et de laisser comprendre. Et c'est la grande différence entre les deux emplois du terme "universel" : il y a "universel" où chacun pourra se projeter, et il y a "universel" où le monde pourra se réfléchir et où chacun verra le monde selon un jour nouveau. Or, dans Tree of Life, je n'ai aucun mal à me projeter, à m'identifier, mais je ne vois pas assez le monde s'y réfléchir. Malick a évacué le singulier d'une histoire pour atteindre tout de suite au général, et le problème est que ça ne forme pas grand chose d'autre que des généralités. Le cinéaste multiplie les possibilités d'être affecté par ce qu'il nous donne à voir, mais ne nous laisse aucune chance de choisir nos affects : d'où un léger empoisonnement par l'émotion contrainte.
Quelques scènes échappent à cet écueil : Malick dit de très belles choses sur ce que c'est qu'un frère, et sur ce que c'est qu'une maison qu'on quitte (le départ de la famille, filmé depuis la maison vide, comme si c'était la maison qui partait). Autre chose, que je trouve passionnante : c'est l'absence de récrimination contre Dieu. Le film n'épouse absolument pas la thèse d'un Dieu cruel. Dieu est là au début, Dieu est là à la fin, l'histoire de ces hommes s'est glissée entre, dans l'éternité de Dieu, dans un repli de cette éternité. L'histoire de ces quelques hommes est contenue dans l'histoire de Dieu. Alors, ce qui fait obstruction à la connaissance n'est pas Dieu, mais c'est le père, qui voudrait le remplacer, qui a cru le comprendre et qui s'est planté. Et la fraternité est l'esquisse d'une première révolte contre l'ignorance dans laquelle le père tient ses enfants. Malick échappe donc aux théories adamiques : Dieu ne punit pas, il explique (si tu croques la pomme, tu ne pourras pas rester ici ; et non : si tu croques la pomme, je te chasse). Malheureusement, dans Tree of Life, on ne prend pas beaucoup le risque de croquer la pomme. Et du coup on ne comprend rien, on subit, agréablement, cette élégie d'un temps enfui, cette plainte assez tranquille, et on s'émerveille d'une grammaire cinématographique qui voudrait évoquer Le miroir de Tarkovski, mais qui n'est, au final, qu'un petit tour de prestidigitateur new-age misant d'emblée sur l'analogie planète/tournesol sans nous laisser le temps de créer avec lui cette analogie, de la comprendre et de ne pas en rester là. Et en ces temps où les journaux américains titrent encore "WHY ?" quand un soldat meurt en Irak, je ne pense pas qu'il soit bon de continuer à dissimuler les causes, à tenir le spectateur à l'écart des rouages de ce qu'il voit.
J'aurais aimé que Tree of Life ait la même folie furieuse d'images brèves dialoguant entre elles magiquement, si cette magie était née d'une intelligence, de la construction d'une intelligence. Mais peut-être que Malick, invisible palmé, magicien d'Oz salingero-pynchonien, ne croit plus en notre intelligence, et ne mise plus que sur notre amour. Je ne peux pas dire que je n'aime pas le film, il m'émeut, il m'épate, il me donne à sentir toutes sortes de choses, il me donne à me souvenir de toutes sortes de choses que j'ai senties, mais il ne me donne rien de plus, ne me modifie pas. Et je crois qu'il aurait pu.
mercredi 25 mai 2011
Tree of life - Terence Malick
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1 commentaire:
Bonjour,
Je tenais juste à vous remercier pour cette piste de réflexion. C'est que pour ma part je me vois souvent bloqué dans mes réflexion par le plaisir ou le désintérêt que suscite chez moi un film.
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