Deux mots sur Ave de Konstantin Bojanov
1. Le cinéma 
accueille mieux le malgré que l'évidence. Il y a, au cinéma, une telle 
épaisseur de signes que l'évidence fait cliché, redondance, et le malgré
 fait sens, parce qu'il relie des mondes inattendus, des niveaux 
d'interprétation, des images, des voix. La scène qui illustre le mieux 
ce fait est celle du camion où le conducteur parle anglais. Ave parle 
anglais elle aussi, mais le garçon qui l'accompagne, Kamen, non. La 
conversation entre Ave et le conducteur se fait donc aux dépens de Kamen
 - et l'implique tout à la fois. Si bien que les images se dédoublent. 
En ce sens on peut dire que la grande ressource formelle du cinéma 
européen est sa diversité linguistique : les sous-titres réunifient ce 
qui dans l'image est clivé.
2. Le road-movie est un changement de 
décor permanent pour des situations très basiques : un dialogue, un 
repas, une nuit et comment l'habiter... Au fond, il s'agit d'une série 
de rendez-vous improvisés. Ici, le genre révèle d'autant mieux sa 
structure qu'il s'éloigne de son mythe, l'espace américain, pour 
investir une grisaille bulgare laissant toute la place aux hommes. Aussi
 voit-on dans Ave des figures qui, par leur déplacement et leur façon 
d'habiter les espaces provisoires du film en mouvement continu, tentent 
de devenir des personnages. On a d'un côté une fille avec un sac Jamaica
 et un nounours pendu à la ceinture (le personnage est immédiatement 
dessiné), et de l'autre un garçon en tenue de combat ordinaire, jean et 
blouson, capuche et sac à dos, mutique, dont on sait seulement qu'il 
peint. Le mystère, c'est lui. Elle, par sa mythomanie, épaissit un peu 
mieux ce mystère, et rend plus fragile encore sa condition de 
personnage. Il y a celui qui ne dit rien et celle qui ne dit pas la 
vérité. La possibilité du mensonge annule ainsi tout appel à un passé 
qui ferait office de valeur ou de raison. Le film, d'abord, ne règle 
rien, mettant en place les conditions d'une rencontre qui pourrait tout 
supplanter - mettant en place, en fait, les conditions du cinéma. Mais 
très vite il s'englue dans la pâte molle de sa narration : le background
 envahit l'écran, au point que le cinéaste finit par abandonner le 
présent de son film. Le grand pourquoi des images a fini par engloutir 
celles-ci. Tout n'est plus qu'exécution.
 
 
 
          
      
 
  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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