vendredi 4 mai 2012

Deux mots sur Ave de Konstantin Bojanov

1. Le cinéma accueille mieux le malgré que l'évidence. Il y a, au cinéma, une telle épaisseur de signes que l'évidence fait cliché, redondance, et le malgré fait sens, parce qu'il relie des mondes inattendus, des niveaux d'interprétation, des images, des voix. La scène qui illustre le mieux ce fait est celle du camion où le conducteur parle anglais. Ave parle anglais elle aussi, mais le garçon qui l'accompagne, Kamen, non. La conversation entre Ave et le conducteur se fait donc aux dépens de Kamen - et l'implique tout à la fois. Si bien que les images se dédoublent. En ce sens on peut dire que la grande ressource formelle du cinéma européen est sa diversité linguistique : les sous-titres réunifient ce qui dans l'image est clivé.


2. Le road-movie est un changement de décor permanent pour des situations très basiques : un dialogue, un repas, une nuit et comment l'habiter... Au fond, il s'agit d'une série de rendez-vous improvisés. Ici, le genre révèle d'autant mieux sa structure qu'il s'éloigne de son mythe, l'espace américain, pour investir une grisaille bulgare laissant toute la place aux hommes. Aussi voit-on dans Ave des figures qui, par leur déplacement et leur façon d'habiter les espaces provisoires du film en mouvement continu, tentent de devenir des personnages. On a d'un côté une fille avec un sac Jamaica et un nounours pendu à la ceinture (le personnage est immédiatement dessiné), et de l'autre un garçon en tenue de combat ordinaire, jean et blouson, capuche et sac à dos, mutique, dont on sait seulement qu'il peint. Le mystère, c'est lui. Elle, par sa mythomanie, épaissit un peu mieux ce mystère, et rend plus fragile encore sa condition de personnage. Il y a celui qui ne dit rien et celle qui ne dit pas la vérité. La possibilité du mensonge annule ainsi tout appel à un passé qui ferait office de valeur ou de raison. Le film, d'abord, ne règle rien, mettant en place les conditions d'une rencontre qui pourrait tout supplanter - mettant en place, en fait, les conditions du cinéma. Mais très vite il s'englue dans la pâte molle de sa narration : le background envahit l'écran, au point que le cinéaste finit par abandonner le présent de son film. Le grand pourquoi des images a fini par engloutir celles-ci. Tout n'est plus qu'exécution.

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