La femme à la bûche dit : « Il y a de la tristesse
dans ce monde, car nous sommes ignorants de bien des choses. Oui. Nous sommes
ignorants de beaucoup de belles choses. Dans notre ignorance, la tristesse est
donc bien réelle. Les larmes sont réelles. Quelle est cette chose qu’on appelle
une larme ? Nous avons même de petits canaux pour produire ces larmes
quand nous sommes tristes. Puis, lorsque la tristesse survient, nous nous
demandons : est-ce que cette tristesse qui me fait pleurer, est-ce que
cette tristesse qui me brise le cœur s’arrêtera un jour ? Bien entendu, la
réponse est oui. Un jour, la tristesse s’arrêtera. »
Spinoza dit : « La tristesse est le passage de l’homme
d’une perfection plus grande à une moindre. » Or c’est bien l’ignorance
qui, pour le philosophe, amoindrit cette perfection. Il dit aussi : « Un
désir qui naît de la joie est, toutes choses égales d’ailleurs, plus fort qu’un
désir qui naît de la tristesse. »
La femme à la bûche est spinoziste. Elle l’est d’autant plus
que ses avertissements introductifs prêtent à rire. C’est leur simplicité et
leur exactitude qui nous fait rire. Toute connaissance est joyeuse.
La femme à la bûche n’a pour elle ni intrigue ni musique,
elle n’a que sa parole et sa bûche. Le langage est une bûche. Tout le poids du
langage, la femme à la bûche le tient entre ses bras. Et elle parle, légère,
sautant d’une idée à l’autre, du particulier au général, de l’affectif à l’organique,
du didactique au poétique, des questions mystérieuses aux réponses claires, de
ses goûts personnels aux grandes lois de l’univers. Elle peut sauter ainsi
parce que sa connaissance du monde est sans frein, parce que son langage pèse
moins que sa bûche. Allègrement, avec son visage docte surmonté de lunettes
épaisses, elle passe du deuxième au troisième genre de connaissance, et
comprend le premier.
Elle comprend Laura. Elle-même a vu le feu. Elle le sent
parfois. Pourtant, elle est en vie. Elle persiste dans son être. Qu’est-ce qui
fait que Laura est morte et que la femme à la bûche a survécu ? Spinoza,
peut-être.
« Les affects qui sont contraires à notre nature, c’est-à-dire
qui sont mauvais, sont mauvais en tant qu’ils empêchent l’esprit de comprendre.
Aussi longtemps donc que nous ne sommes pas en proie à des affects qui sont
contraires à notre nature, aussi longtemps la puissance de l’esprit, par
laquelle il s’efforce de comprendre les choses, ne se trouve pas empêchée, et
par suite aussi longtemps il a le pouvoir de former des idées claires et
distinctes, et de les déduire les unes des autres. »
C’est bien la parole de la femme à la bûche que nous lisons
là, expliquée par Spinoza, cette parole qui s’empare de la déduction pour faire
des sauts de cabri d’une proposition à une autre. C’est Dale Cooper également,
qui traverse toute l’épaisseur d’un scénario touffu pour isoler les intrigues
individuelles et les déduire les unes des autres. C’est aussi le cinéma de
David Lynch : des sauts de cabri d’une image à l’autre, à la fois calme et
vif, apaisé et rapide, on peut à la fois s’y perdre et s’y arrêter.
Lien vers l'épisode précédent.
Lien vers l'épisode suivant.
Lien vers l'épisode précédent.
Lien vers l'épisode suivant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire