mercredi 23 mai 2012

Twin Peaks de David Lynch, saison 1, épisode 3 - One day, sadness will end



La femme à la bûche dit : « Il y a de la tristesse dans ce monde, car nous sommes ignorants de bien des choses. Oui. Nous sommes ignorants de beaucoup de belles choses. Dans notre ignorance, la tristesse est donc bien réelle. Les larmes sont réelles. Quelle est cette chose qu’on appelle une larme ? Nous avons même de petits canaux pour produire ces larmes quand nous sommes tristes. Puis, lorsque la tristesse survient, nous nous demandons : est-ce que cette tristesse qui me fait pleurer, est-ce que cette tristesse qui me brise le cœur s’arrêtera un jour ? Bien entendu, la réponse est oui. Un jour, la tristesse s’arrêtera. »
Spinoza dit : « La tristesse est le passage de l’homme d’une perfection plus grande à une moindre. » Or c’est bien l’ignorance qui, pour le philosophe, amoindrit cette perfection. Il dit aussi : « Un désir qui naît de la joie est, toutes choses égales d’ailleurs, plus fort qu’un désir qui naît de la tristesse. »
La femme à la bûche est spinoziste. Elle l’est d’autant plus que ses avertissements introductifs prêtent à rire. C’est leur simplicité et leur exactitude qui nous fait rire. Toute connaissance est joyeuse.
La femme à la bûche n’a pour elle ni intrigue ni musique, elle n’a que sa parole et sa bûche. Le langage est une bûche. Tout le poids du langage, la femme à la bûche le tient entre ses bras. Et elle parle, légère, sautant d’une idée à l’autre, du particulier au général, de l’affectif à l’organique, du didactique au poétique, des questions mystérieuses aux réponses claires, de ses goûts personnels aux grandes lois de l’univers. Elle peut sauter ainsi parce que sa connaissance du monde est sans frein, parce que son langage pèse moins que sa bûche. Allègrement, avec son visage docte surmonté de lunettes épaisses, elle passe du deuxième au troisième genre de connaissance, et comprend le premier.
Elle comprend Laura. Elle-même a vu le feu. Elle le sent parfois. Pourtant, elle est en vie. Elle persiste dans son être. Qu’est-ce qui fait que Laura est morte et que la femme à la bûche a survécu ? Spinoza, peut-être.
« Les affects qui sont contraires à notre nature, c’est-à-dire qui sont mauvais, sont mauvais en tant qu’ils empêchent l’esprit de comprendre. Aussi longtemps donc que nous ne sommes pas en proie à des affects qui sont contraires à notre nature, aussi longtemps la puissance de l’esprit, par laquelle il s’efforce de comprendre les choses, ne se trouve pas empêchée, et par suite aussi longtemps il a le pouvoir de former des idées claires et distinctes, et de les déduire les unes des autres. »
C’est bien la parole de la femme à la bûche que nous lisons là, expliquée par Spinoza, cette parole qui s’empare de la déduction pour faire des sauts de cabri d’une proposition à une autre. C’est Dale Cooper également, qui traverse toute l’épaisseur d’un scénario touffu pour isoler les intrigues individuelles et les déduire les unes des autres. C’est aussi le cinéma de David Lynch : des sauts de cabri d’une image à l’autre, à la fois calme et vif, apaisé et rapide, on peut à la fois s’y perdre et s’y arrêter.

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