Avant d’être un film sur la folie, Une femme sous influence
est un film sur un amour fou. L’amour que les personnages de Peter Falk et Gena
Rowlands éprouvent l’un pour l’autre les rend cinglés. Et leur folie fait de
leur quotidien (organiser une fête pour des enfants, préparer à manger, coucher
les gosses…) une épopée. La maison est un paysage de guerre, et le chantier où
travaille le mari est presque plus intime.
Gena Rowlands utilise ses doigts comme levier pour les mots
qui peinent à sortir de sa bouche. Je pense à sa main tenue dans son dos, avec
son doigt pointé dans notre direction – image troublante d’une accusation
informulée. Elle a un langage gestuel que les autres personnages reprennent à
leur façon – tout le monde se met au diapason de sa folie, et tout le monde
devient aussi fou qu’elle.
Cassavetes, au lieu de montrer la virtuosité d’une caméra
passe-murailles, montre l’empiètement, le heurt – tout ce qui dans le plan
génère du mouvement et de l’encombrement. La puissance de ce cinéma vient de sa
façon de frôler les corps, de les laisser obstruer le plan ou ne pas apparaître
tout de suite, de leur donner du temps. Parfois, filmer les murs, attendre que
les corps passent et se retournent et nous donnent quelque chose à voir. Etre
là en vigie, aux aguets dans la scène.
C’est bien cette question qui importe dans les films de
Cassavetes : l’immersion. Etre dans la scène, parmi les mouvements des uns
et des autres. Dans la mêlée. Il y a un combat, il y a une guerre, dans la
maison il y a une guerre, sur le visage de Gena Rowlands il y a une guerre, et
la caméra s’avance, frondeuse, parmi les coups et sous les balles.
Et le temps passe. Chaque scène s’étire sur une durée
ahurissante. La caméra attend que le paysage qu’elle scrute s’écroule, que
toutes les surfaces se fissurent. La caméra ne dit rien, elle enregistre. Il y
a parfois des sauts dans le temps, des traversées brusques, des omissions, des
ellipses – à chaque fois c’est comme se remettre d’un évanouissement par KO.
Les personnages sont fous, ce qu’ils disent est fou, tout est fou, même le
temps. Même la façon dont le temps passe, siphonné, aspiré par des gouffres.
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