lundi 13 août 2012

Mulholland Drive, David Lynch (2001)

Mulholland Drive est un film à la narration relativement simple, posant d'emblée le mystère, et puis le résolvant, ce qui n'est pas le cas de tous les films de David Lynch. Il y a une première partie dont tout porte à penser qu'il s'agit d'un rêve. Puis une deuxième, où la femme qui a rêvé se réveille et se souvient de ce qui dans sa vie l'a conduite à faire un tel rêve : les éléments, détails, sentiments, paroles, prénoms, lieux, événements, visages et objets sont retrouvés, l'image rêvée rejoint l'image réelle, le puzzle du rêve est complet. Ou presque. Car il y a, chez Lynch, toujours une part d'inexplicable, une part de presque.

Le club Silencio est cette part inentamée. Dans la première partie, Rita, après avoir fait l'amour avec Betty, murmure dans son sommeil le mot 'Silencio' auprès d'elle. Betty réveille Rita, et Rita demande à Betty de la suivre. Elles s'assoient dans un vieux théâtre où sur la scène un prestidigitateur annonce à l'assistance clairsemée que tout est truqué. Une chanteuse vient sur scène et chante une chanson déchirante, qui tire toutes les larmes du monde à Rita et Betty. Mais alors que la chanson continue, la chanteuse s'effondre. Tout est truqué, le prestidigitateur avait prévenu, mais les spectateurs y ont cru quand même. Dans le seconde partie, le club Silencio est l'un des rares lieux à ne pas réapparaître. En fait, il réapparaît in extremis : la dame aux cheveux bleus assise au-dessus de la scène vide murmure à son tour 'Silencio, Silencio'. C'est le dernier plan du film. Rien ne le relie à la vie de la rêveuse.

Alors qu'est-ce que le club Silencio ? C'est un lieu que le rêve atteint mais que l'existence dissimule. Un lieu de tristesse intense, où quelque chose de l'être se trouve pris dans un piège. Betty, après avoir pleuré au Silencio, trouve dans son sac une boîte bleue avec une serrure. Cette serrure pourrait correspondre à la clef bleue que Rita, au début du rêve, a trouvé parmi des liasses de billets de banque. Rita ouvre la boîte, vide, qui l'aspire. Le rêve finit. Betty redevient Diane et Rita le souvenir d'un amour qui n'est plus. 

La clef bleue a, dans la vie de Diane, un sens tragique : Diane a engagé un tueur pour éliminer Rita, et le tueur, une fois la mission accomplie, lui remet une clef bleue. Dans son rêve, c'est Rita qui possède cette clef mais qui ne sait pas ce qu'elle ouvre. Comme si l'être aimé portait en lui à la fois la promesse de l'amour et celle de la mort. Et c'est au club Silencio que Betty comprend, une fois de plus, comment tout retourner, comment changer l'amour en meurtre - l'idiotie ne sauve pas. Diane a beau se rêver en Betty, grande idiote qui arrive de sa province avec des rêves de gloire, pose ses valises à la gare de Los Angeles et commence une espèce d'extase béate que rien n'est censé interrompre, à chaque fois l'amour vire au meurtre. L'innocence n'entrave pas la violence. Elle l'excite au contraire, et la rend plus terrible encore. (Lynch a un goût pour l'idiotie. Il développe des figures, des clichés pour la plupart, qu'aucun récit intelligent, ou adulte, ou d'art et d'essai, ne souffrirait. "A book ? You gonna read a book ?", demande ahuri Bill Pullman à sa femme qui veut rester à la maison, au début de Lost Highway.) Le club Silencio apparaît alors comme le lieu d'une ultime prestidigitation, où le désir amoureux devient inéluctablement désir de mort, et qui persiste bien au-delà du rêve, résistant aux explications du réel. Tout est truqué, mais tout fonctionne quand même.

Chaque scène de Mulholland Drive est vaudou. Comme si sous l'apparence lisse d'une vague histoire d'amour lesbien à Hollywood, il y avait un fantôme à exorciser. Et le fantôme sort, à chaque fois, grotesque ou macabre, romantique ou froid. Le film épouse tous les genres : polar, success story, conte de Noël, comédie romantique, film de mafieux, etc... Mais, en plus de les épouser, il les secoue. Il les secoue si fort que mille fantômes finissent par en surgir. A la perfection classique de la mise en scène, ouatée, enchanteresse, se mêlent de monstrueux soubresauts, des instants d'une violence inouïe.

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