jeudi 30 août 2012

Il n'y a pas de rapport sexuel, de (?) Raphaël SIboni

On pourrait dire que le film est plein de bonnes scènes et les citer les unes après les autres (la quête désespérée d'amour de la grosse, la simulation parfaite du professionnel Storm blasé comme un acteur de la Comédie Française, le détournement anal du puceau à qui l'on fait croire que le grand soir viendra s'il se cambre un peu mieux...). En fait, chaque scène a "quelque chose d'intéressant". Mais le réel (ici assuré par la deuxième caméra d'HPG, posée en observation lors des tournages de films X hard ou soft et tournant en permanence, comme le trou noir où vient se perdre la mélancolie des acteurs porno, comme un point à la fois objectif et mort - mais qu'est-ce qu'une objectivité morte ?) fait sur ces scènes l'effet d'un givre télévisuel : le réel réduit et fige ce qu'on aimerait qu'une fiction développe ou exacerbe. On ne dévoile le secret des boîtes noires des avions que lorsqu'il y a un accident. Ici, nulle chute, nulle envolée, seulement du réel bien rôdé.

Qu'est-ce que le réel ? Une caméra de surveillance (c'est-à-dire une caméra sans personne derrière) ? Loft Story ? Loft Story, d'ailleurs, n'a pas la prétention du réel; Loft Story est télé-réel, ce qui est une manière de connoter la soi-disant objectivité du point de vue et de se dédouaner d'une telle gageure : ce que vous voyez n'est pas réel, mais télé-réel ; derrière télé, le spectateur est chargé de placer ce qu'il veut, mais au moins est-il libre de placer quelque chose. Raphaël Siboni ne prend pas cette précaution. Il aligne les séquences d'un making-of (qu'il n'a pas lui-même tourné) comme les pages retrouvées d'un évangile incontestable. Et son film dit : voilà ce qu'est vraiment le porno, voilà ce qu'est le réel. Au point de terminer son film comme un conte de fées, où deux hardeurs en cuir s'endorment dans un sous-sol, piqués par la mouche tsé-tsé du travail sexuel à la chaîne. Qu'essaie-t-il de nous dire ? Que le sexe c'est fatigant ? Que même les plus endurants s'écroulent à un moment donné ? Que tout n'était que décor ? Que les grosses bites cachent des petits coeurs ? Sous l'objectivité prétendue se cache un discours un peu terne et pas très malin.

Mais cela n'est peut-être dû qu'à une simple erreur. Plus que la question du réel, Raphaël Siboni aurait dû se poser celle de la réalisation. Il y a de très grands films de montage (ceux d'Andrei Ujica par exemple, ici et ici). Mais ces films articulent les images volées selon, si ce n'est une vision du monde (voire une cosmogonie), au moins quelques notions de rythme et d'envoûtement. Or Il n'y a pas de rapport sexuel (outre son excellent titre) n'a rien de tout ça. C'est le film non d'un monteur mais d'un compilateur. Siboni a pris dans la playlist d'HPG (qui ressemble étrangement à Jean-Marie Bigard) les meilleurs morceaux et les a mis les uns à la suite des autres. C'est ça un film ? Abandonner la caméra à sa solitude mécanique ? Déserter les tournages ? Ne pas tremper ? Ne pas prétendre ? Ne pas intervenir ? Mettre bout à bout des images ?

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