lundi 30 novembre 2009

notes à l'encontre de Hadewijch, de Bruno Dumont


*extrait du casting :
"Yassine Salihine : Yassine
Karl Sarafidis : Nassir
David Dewaele : David"
L'Arabe des films français portera toujours un prénom d'Arabe. C'est un axiome, personne n'en démord, sauf Guiraudie qui donne à Hafsia Herzi le doux-drôle prénom de Curly.
Si Yassine joue le rôle de Yassine, pourquoi Karl ne joue-t-il pas le rôle de Karl ?
Même problème que dans Entre les murs, où tous les élèves portaient leur propre prénom, sauf Rachel Régulier, nommée Khoumba, et Franck Keïta, nommé Souleymane (soit les deux élèves posant problème dans la classe de François Marin-Bégaudeau).
Arabisons, africanisons : cela crée de la dramaturgie. Dumont, qui me semblait (semble ?) être un grand cinéaste, ne diffère pas de ses collègues bien-pensants.

*Nommer, ou pas.
Dumont nomme l'île Saint-Louis, pas le Liban.
Serait-ce alors, dans l'imaginaire d'Hadewijch, un lieu mythique, presque un rêve, où l'on parle arabe et où l'on fait la guerre, un lieu qui n'existe qu'en rapport à l'Occident (et à l'île Saint-Louis), et qui en serait l'inconscient taché, la zone sanguinaire ?
Etrange, car ce voyage est pour l'héroïne une épreuve de réalité.
D'autant plus étrange que la bourgeoisie ministérielle filmée par Dumont n'a rien de précis, rien de mordant. La mère est assise sur son lit, au fond d'un couloir, derrière une porte peinte. Là encore, un lieu mythique, mais celui-ci est nommé, et le Liban non.

*Quel est le propos du film ?
On dénombre trois étapes.
Une première, mortificatrice, au couvent, où Hadewijch ne se nourrit pas, ne s'habille pas, ne vit pas, et vit dans l'illusion de l'absence de Dieu, dans l'espoir du corps du Christ.
Une seconde, explosive, où l'héroïne découvre le partage des religions dans l'action terroriste. Les prières se mèlent, les actes répondent à des choses réelles. Et pourtant, il manque toujours quelque chose.
La troisième (qui tombe comme un couperet) explicite ce manque : la petite bourgeoise névrosée rêvait de se faire sauter, rien de plus. La scène des frites est en ce sens presque dégradante - disons qu'elle dégrade le propos du film, parti de haut, pour buter sur un autre absolu (le sexe), non dédramatisé.
Que Dumont offre une solution, ça n'est pas nouveau (la fin brutale de 29 palms, les larmes de Flandres) - mais cette fois-ci, ce n'est plus une excuse, c'est un jugement, un arrêt de la pensée, le sacre d'un pouvoir non partagé.

*La juxtaposition plutôt que le mélange (ou la croyance dans le plan).
Au début du film, Hadewijch prie dans sa cellule. Une prière d'élévation, à laquelle répond la vision par la fenêtre d'une grue soulevant une cagette. Dumont juxtapose le spirituel et le matériel. Il y a quelque chose dans ce plan qui pourrait être drôle mais qui ne l'est pas. Le cinéaste joue avec les anomalies (le couvent en chantier, la tenue contemporaine de l'apprentie-religieuse au milieu des cornettes, la scène des prières chrétienne et musulmane...). Mais il ne fait pas se rencontrer les éléments disparates. Il les juxtapose, plutôt que de les confronter. A vrai dire, il les confronte, mais seulement dans le plan. Il les confronte graphiquement. Mais ces éléments ne jouent pas ensemble.
Dumont semble craindre le cliché ("En faisant des images on est très vite dans le cliché. Au montage, j'ai vu des associations que je n'imaginais même pas et que j'ai dû décaler parce que ça connote trop vite. On est beaucoup plus créatif en évitant le cliché, ça crée de l'étonnement", déclare-t-il aux Cahiers du Cinéma), mais plutôt que de le briser par la rencontre d'un désaccord, il l'édifie à côté d'un autre. Si bien qu'au lieu d'un cliché, il nous en livre deux.
Le mélange ne prend qu'à la fin (plus belle scène du film, avec celle du café), lorsque Hadewijch rencontre un corps. Là, on a le sentiment que le film aurait pu commencer. Mais il s'arrête, et cet arrêt condamne le sens de cette scène.

vendredi 27 novembre 2009

Vincere - Marco Bellocchio

D'abord, il y a cette idée du titre : vaincre, un impératif, presque une interjection, un verbe sans sujet, un verbe dans lequel tous les sujets peuvent se reconnaître. C'est le mot de Mussolini pour le peuple italien, c'est aussi le mot d'Ida, pour ne pas sombrer dans l'oubli.
Ida est la femme de Mussolini. De lui, elle a eu un enfant. Mussolini, remarié sans divorce, ne la reconnaît plus, et renie l'enfant. Ida, se confrontant à l'oubli de Mussolini, se confronte aussi à toute l'Italie - à ce que c'est que d'être une épouse et une mère, à ce que c'est qu'un mari, un père, un homme politique, un fasciste, un traître. La machine de négation lancée contre elle est énorme, ce n'est pas le fait d'un seul homme, c'est une dictature qui ne veut pas perdre la face. Contre elle, des institutions, des hommes sans nom, des hôpitaux psychiatriques, la suspicion d'une démence. Et Bellocchio de filmer cette passion, cette histoire intime, à la fois comme un opéra et comme une fresque, à grands renforts de musiques, de costumes, de neige artificielle, d'images d'archive, de dates, de sentiments gigantesques.
Mais ce qui est impressionnant, c'est que plus le film est grand (et conscient de l'être), moins il est académique, plus il est libre et singulier. Bellocchio filme ce qu'il veut comme il le veut. Il raconte son histoire, mais il n'est pas une vache à lait - il filme des visages dans l'ombre, des étreintes, des masques, des chants, des corps qui dansent, et il nous dit : "ça, c'est la guerre", "ça, c'est le fascisme", "ça, c'est l'amour absolu". Il y a presque quelque chose de surréaliste dans cette façon de faire (à moins que la piste ne soit Godard) - montrer l'image la plus éloignée possible de ce qui est en train de se passer, et avoir toujours la générosité de la raccorder à l'action, au flux du film. Un gros plan sur un visage, c'est un coup de foudre ; un autre sur une montre, c'est la preuve que Dieu n'existe pas.
Les images sont des refuges où le sens vient se planquer, où l'amour se cristallise. Ida va tout le temps au cinéma. D'abord, ce sont des films muets. Et puis il y a The Kid, qui la traverse comme aucun autre film avant, qui lui rend toute la vérité de son amour, alors qu'elle n'a pas vu son fils depuis trois ans - les bras tendus du gamin en noir et blanc vers l'écran font jaillir les larmes de la spectatrice en couleurs. Et quand le cinéma devient parlant, les premiers mots d'un fils après des années d'isolement surgissent, sous la forme d'une lettre. Les films deviennent des films d'actualité, et elle voit son mari (les images d'archive sont vraies), elle l'entend parler, dire "vincere", comme s'il le lui disait, alors qu'il s'adresse à la foule. L'espoir de retrouver Mussolini écarté, ce n'est plus le comédien qui l'incarne, mais les actualités. En même temps qu'elle traque des nouvelles de son grand amour, Ida reçoit de plein fouet les nouvelles de l'Italie.
Ida est l'Italie, héroïne d'opéra séduite et abandonnée, Médée lumineuse - elle court vers la lumière plutôt que vers le sang, elle se jette dans les cinémas, se confronte aux images, veut voir absolument, refuse de disparaître. Elle doit se changer en souvenir. La conversation avec le psychiatre de San Clemente est magnifique : il lui demande de mentir, d'arrêter de dire qu'elle est la femme de Mussolini si elle veut sortir. Mais le mensonge n'est possible que si l'on est immortel. Si personne ne sait, à quoi bon être libérée ? Personne ne se souviendra d'elle. Elle veut être la preuve de quelque chose qui la dépasse - preuve d'elle-même et preuve d'une Histoire.
Car la trahison de Mussolini n'est pas seulement morale (un homme à femmes, elle s'en doutait - Ida s'est depuis longtemps résignée à ne plus être aimée), elle est surtout philosophique. Lorsqu'elle apprend qu'il s'est remarié, le pire pour elle, le plus troublant, est d'apprendre que cela s'est passé à l'église. Et le vieux monde avec lequel Mussolini fougueux voulait rompre ressuscite soudain, s'inscrit dans l'Histoire plus profondément, pérenne, intact.
Bellocchio n'esquive pas la séduction de Mussolini, immense, mais il dit aussi sa tendance au vulgaire, à la compromission, et la dangerosité de cette matière dont il est fait, si puissante et si corruptible. Il nous donne à voir autant sa force juvénile que son manque à lui-même.
Cela donne lieu à quelques scènes prodigieuses. Après sa première nuit d'amour avec Ida, la guerre s'impose à lui comme une révélation. Il court à la fenêtre, nu, présageant la foule du futur, tentant d'attraper des papiers qui volent, dans un délire mi-érotique mi-historique (un délire de puissance, burlesque et sinistre, signant sa rupture d'avec le socialisme, pas assez sexué).
Il y a aussi ce moment où Mussolini (le vrai, celui des images d'archive, celui en noir et blanc) harangue la foule dans un discours glaçant sur la puissance militaire de son pays. Dans la séquence qui suit, son fils caché, interprété par le même acteur que celui qui jouait Mussolini au début du film, reproduit ce discours en le singeant. En se confrontant aux images, en les tordant, en les grimaçant, Bellocchio se confronte à la fois au père et à l'Histoire. Il déjoue la séduction par la folie qu'elle a déclenché.
Enfin, il y a la question de la mère. Le film la sacralise - ce lien vibrant d'Ida à son fils disparu, qui fait que le spectateur adhère absolument au destin de l'héroïne et veut la voir vaincre - mais pas seulement. Il s'en défait aussi. Bellocchio, tout en montrant l'impossibilité de s'affranchir d'un cycle, donne l'idée qu'il faudrait en triompher. Triompher d'Oedipe en l'incarnant - c'est l'image finale du film, une grimace désespérée, des yeux qui ne voient plus rien. Du fantôme étouffé d'Ida naît une ombre envenimant la politique italienne contemporaine. Ida accusait l'Italie, mais son accusation est restée secrète. La réactualisant, Bellocchio donne un film en forme d'espoir. La reconstitution historique a une nécessité présente : on comprend comment le pouvoir s'est emparé des Arts pour se rendre indissociable du peuple. On entend, dans Vincere, la musique nationaliste devenir cinéma national - et Bellocchio sous-entend sans doute le passage suivant, du cinéma à la télévision.

vendredi 20 novembre 2009

Exposition Primitive, par Apichatpong Weerasethakul, au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris

L'exposition est assez mal conçue, les films s'enchevêtrent bizarrement (on sent le souci du gain de place), et les objets exposés offrent une sorte de making-off en nature morte des courts-métrages projetés (le tout étant très mal éclairé). Rien de vraiment renversant, ni nécessaire, donc, dans l'installation au musée de l'oeuvre du cinéaste.
Rien, sauf la dernière salle.
Apichatpong Weerasethakul aime couper ses films en deux - mais si pour le cinéma il le faisait dans le temps continu de la projection, jetant des génériques en plein milieu, pour cette salle (et ce film : Primitive), c'est le regard du spectateur qu'il partage entre deux écrans. Deux écrans qui sont comme deux amants, lovés l'un contre l'autre, en creux. Le spectateur est invité à se glisser dans l'angle laissé libre, à son tour embrassé d'images et de sons. Ce que nous propose le cinéaste, c'est une étreinte.
Si les films de cinéma de Apichatpong Weerasethakul jouaient, par leur nature frontale obligatoire, avec notre mémoire, notre capacité à nous souvenir et reconnaître, Primitive, plus mêlé, confondant, compte sur notre habileté. Beaucoup plus d'immédiates fulgurances, de réponses directes grâce aux deux écrans, entre un visage et un feu, entre une voix et un groupe humain, entre un corps en contre-jour et un paysage ennuité.
Le cinéaste travaille les synesthésies, amplifie les échos d'un monde à l'autre, d'un corps à un monde, d'un temps contenant passé et futur et d'une voix qui sait et qui craint de ne plus savoir, d'un spectateur et d'un film, d'un film et de sa fabrication, d'un décor et de son avenir dans le paysage, d'un geste et de sa déperdition ou de ses répercussions.
L'idée est bien sûr de parler d'un lieu abîmé par la guerre, d'ajouter des images où plus grand chose du passé n'est visible. Il trouve dans la destruction son rythme, sa niche, son spectre. Il voit à travers la poussière, comme il nous pousse à voir à travers la nuit et les éclairs. Quelque chose d'ancien se réanime, par le présent de corps endormis, par le futur d'une science-fiction.
Si Blissfully Yours, Tropical Malady et Syndromes And A Century se déployaient comme des serpents bigarrés, mutants, Primitive éclate par salves - on y voit des feux, d'artifices, d'armes, d'éclairs ou de joie. Ce sont les figures formelles du film, ses motifs cinétiques.
Les trois précédents longs-métrages traquaient dans les images un secret, une modification possible, celui-ci, assumant plus profondément encore sa mystique, affronte l'invisible - on en sort avec ces questions : qu'est-ce que je n'ai pas vu ? qu'est-ce qui m'a échappé ? pourquoi ne resterais-je pas toute ma vie devant ce film qui toute ma vie me semblera différent ? Car bien sûr notre regard choisit d'occulter telle ou telle seconde d'un écran ou de l'autre - il choisit d'entrer dans un dialogue en le morcelant, sachant que sa totalité nous échappe. Sa totalité est une invitation, et c'est nous qui créons le dialogue entre les deux écrans (on pourrait dire : la partition, tant il y a une musique des images) - c'est du moins la sensation qu'on a : liberté pleine, mêlée à une certaine fascination, plastique, érotique, philosophique. On ressort toujours des films d'Apichatpong Weerasethakul avec l'impression d'une perception accrue et magnifiée, décrassée - on a vu des choses que personne d'autre n'a pu voir, et entendu des voix lointaines, résonnant avec plus ou moins de prégnance sur nos vies vécues ou rêvées, conscientes ou pas.
Bizarrement, ce cinéma ne s'essaie pas à la transe. C'est un cinéma plein (à la fois une étreinte et un ventre, quelque chose qui nous caresse et nous contient), posé, d'immersion. A l'image de ce vaisseau spatio-temporel construit pour le film et laissé dans un champ, le temps que d'autres l'habitent, l'investissent, le rêvent. Sans accélération.
Primitive est un film qui est comme un lieu - un film-espace. Le temps du film dépasse le film lui-même, comme si le film était toujours là, comme si c'était toujours le temps du cinéma. Les films de cette exposition sont comme des phases, comme les nombreuses incarnations d'une même vie.
Apichatpong Weerasethakul ne cache pas son geste. Il dévoile la fabrication, car elle est le film. Mais il n'en tire pas de conclusion ni de mythification, il ne se repose pas sur l'effet de mise en abime. La fabrication est liée à l'instant, à son dépérissement, à son enfouissement, à l'oubli qui ne saurait tarder, à sa résurrection déformée. Mais cela est la même âme, le même esprit résolu aux multiples.
C'est aussi cela qui est contemporain chez Apichatpong Weerasethakul : il n'y a plus de tournage à proprement parler, il y a toujours un tournage, toujours du désir et des images, et quand il n'y en a pas c'est aussi un temps de cinéma. Il y a toujours un film possible - et l'impossible est un autre possible.

lundi 16 novembre 2009

Le ruban blanc - Das weisse Band - Michael Haneke

A ce film très impressionnant mais auquel je n’ai rien compris, je voudrais opposer trois remarques :
- la première porte sur une scène, furtive, pour laquelle on nous donne à la fin une explication (parce que chez Haneke, on ne laisse pas s’envoler le sens comme ça – dès qu’il y a une possible signification, on saute dessus – dès qu’une scène est furtive, on peut être sûr d’y revenir dans les deux heures qui viennent). Le médecin rend visite à l’enfant trisomique auquel on a fait du mal. L’enfant prend dans sa main la main du médecin et ne veut plus qu’il parte. On peut le deviner, mais on nous l’affirme par voix-off un peu plus loin : le médecin est le père de l’enfant trisomique. Trisomique, mais rusé ! Il y a du ‘mais’, dans la caméra de Haneke, et ce ‘mais’ est une figure de style un peu désagréable, un peu répétitive (religieux, mais violent ; obéissant, mais qui n’en pense pas moins ; etc…). C’est un ‘mais’ particulièrement hautain et déplacé, qui prend le spectateur pour plus idiot qu’il n’est (et qui surtout crée une différence de classe intellectuelle entre l’auteur et le spectateur) ;
- la seconde porte sur une autre scène, comportant un ‘hors-champ’ - l’autre marque de fabrique du film. Une scène absolument brillante. On s’apprête à battre deux enfants. La fille descend l’escalier, le garçon sort de sa chambre. Ils s’avancent dans le couloir, conduits par la mère. Au bout du couloir il y a une porte qu’on referme. On entend la voix du père. Le garçon ressort, referme la porte, va chercher quelque chose dans sa chambre, retraverse le couloir, ouvre la porte : on voit ce qu’il est venu chercher – une cravache. Il referme la porte derrière lui. On comprend. On sait ce qu’il va se passer. La tension est là, le spectacle de la punition magnifiquement amené, tout est parfait. Mais une fois la porte fermée, Haneke ne peut plus s’arrêter. Il ne montre pas la scène de la punition, mais il la bruite. On entend la cravache, et on entend les cris et les supplications de l’un des deux enfants. Et ce, à six reprises. Alors on peut effectivement parler de la formidable maîtrise du hors-champ de Haneke, mais on ne peut pas parler de délicatesse. Il me fait l’effet d’une strip-teaseuse qui ne voudrait pas enlever sa culotte mais qui en aurait mis une transparente. Le hors-champ de Haneke n’a rien de moral ni de juste, il n’est pas un effort éthique bouleversant, il est un simple cache-sexe sur un plaisir qu’il n’a pas pu s’empêcher de prendre. Le hors-champ de Haneke, c’est un gros carré blanc à l’usage des adultes éduqués, qui recouvrirait tout l’écran. En somme, ça n’est rien de plus que du prêche.
Il y a un présupposé, dans l’œuvre de Haneke, qui est la différence entre monstration et suggestion. Mais ses suggestions sont si lourdes, si appuyées, qu’elles finissent par ne différer en rien de la monstration. Ceci a de lointaines racines : la peur de Dieu (ou la peur de son absence). Laisser vide le centre (de nos préoccupations de spectateur), c’est perdre le contrôle du sens du film. Je crois que le cinéma de Haneke est profondément chrétien. Ce n’est pas un problème – le problème est qu’il s’en défend. Les films de Haneke ne cessent d’affirmer qu’ils sont ce qu’ils ne sont pas ;
- la troisième remarque continue dans cette direction. Il me semble que Le ruban blanc pose un problème esthétique. Que nous dit le cinéaste ? Qu’il faut se débarrasser de nos notions de pureté (car bien sûr il y a un choc à montrer un pasteur battre ses enfants et un médecin humilier une femme), qu’il faut s’affranchir de la traditionnelle répartition du Bien et du Mal, parce que le Mal est partout, tentaculaire, infiltré… Mais alors que faire de l’esthétique de l’image, de ses blancs très marqués, de ses visages purs, des larmes du pasteur face à l’oiseau de substitution que lui porte le plus petit et le plus mignon de ses enfants après que le sien ait été mutilé (poésie !), des alignements géométriques et musicaux des corps ? Que faire de cette image tellement conforme aux canons de la pureté, dans un film sensé les démonter, les désosser un à un ?
Je me demande si Le ruban blanc n’est pas au fond un film de délateur. Dans la manière de ne pas clairement résoudre l’intrigue policière qu’il met en place, il y a quelque chose de l’ordre de l’appel anonyme. Et c’est pour cela que Michael Haneke ne sera jamais aussi grand que Thomas Bernhardt : il est bien trop prudent pour s’engager, et cette prudence, il la nomme « Morale ».

vendredi 13 novembre 2009

Visage - Tsai Ming-Liang

C'est une épure qui déborde, une abstraction qui plonge absolument dans le figuratif, ou encore une quintessence malade du travail de Tsai Ming Liang.
Ce qu'il y a de beau, c'est de voir à quel point les symboles ne veulent plus rien dire. L'appartement est plein d'eau - ce n'est plus qu'un jeu, plus que l'occasion renouvelée de confronter Lee Kang Shen à l'éternel problème de la fuite. On croise toutes les figures du cinéaste taïwanais - et en même temps Visage n'a rien à voir avec L'amour en fuite de Truffaut. Ce n'est pas nostalgique, il n'y a pas même l'essai de dire quelque chose. On retrouve Jeanne Moreau, Fanny Ardant et Nathalie Baye pour un dîner, mais le dîner n'aura pas lieu, Nathalie Baye sortira de sous la table, Jeanne Moreau marmonnera une conversation pour elle-même ("j'aurais dû amener un livre"). Visage, c'est un éclat de rire - un luxe - une commande du musée du Louvre qui tendrait plus vers le caniveau que vers l'accrochage - un geste un peu abscons au premier abord mais quand même très fort.
On peut préférer la pente douce de Tsai Ming Liang, ses I don't want to sleep alone ou La rivière ou Les rebelles du Dieu Néon, plus unis, plus égaux. Mais Visage est plein de joyeuses scories, de séquences incroyables (le feu, l'inondation, le cerf, Salomé, Léaud enterrant quelque chose sous un chant oumesque...), et d'autres ratées, ou qui s'étirent un peu trop. C'est un vrai fourre-tout, ni modeste ni prétentieux, assez troublant dans son hommage à Truffaut lorsqu'il fait naître un amour impossible entre Fanny Ardant et Jean-Pierre Léaud, accolant leurs visages l'un contre l'autre. Troublant parce qu'incestueux. C'est d'ailleurs un adjectif qui pourrait assez bien décrire le cinéma de Tsai Ming-Liang.

jeudi 12 novembre 2009

Collectif Medvedkine - Sochaux 11 juin 1968, Les trois-quarts de la vie, Week-end à Sochaux, Avec le sang des autres & Septembre chilien

Ce qui est impressionnant, dans les six heures que durent les films Medvedkine, c'est la somme de rencontres qu'on y fait. C'est la parole, qui n'a jamais été aussi libre. C'est le lien entre les hommes qui pourrait se réinventer.
Dans les films bisontins, il y avait une femme, Suzanne, qui portait à elle seule toute une Révolution. Dans cette partie sochalienne, moins joyeuse, qui sent la fin de l'aventure, c'est une jeune caissière de supermarché Ravi, dont l'esprit critique acerbe se mêle à un désespoir poignant.

Sochaux, 11 juin 1968

Un long travelling dans l'allée d'une usine, une chanson religieuse parodiée par la cgt, et soudain, des photos d'une altercation, des coups de fusil, un carton : "11 juin 68, 22ème jour de grève à Peugeot Sochaux, 4h du matin, les ouvriers qui viennent relayer les piquets de grève aux portières trouvent leurs camarades matraqués". Un visage pensif, sans voix, se mordant les lèvres. Un autre carton : "les forces de police ont reçu l'ordre d'envahir l'usine et d'en chasser les ouvriers par tous les moyens". Un autre visage - autre silence. Et des cartons supplantant la parole : "on a fait de l'usine un champ de bataille" / "en une journée, 150 blessés, 2 morts".
C'est à ce moment-là que débute l'aventure sochalienne du collectif Medvedkine. C'est dans le silence de ces visages que le cinéma s'inscrit. Il s'agit de leur redonner la parole.
Les muets retrouveront le langage à la fin du film. Ils ne représentent rien, ils ne sont pas des figurines, ils deviennent des personnages. Ce qui est retenu de leur parole, c'est tout ce qui décroche de l'attendu : un sourire, une affaire de famille révélée dans une bataille, un trouble, une revendication métaphysique ("ce n'était pas seulement les ouvriers de Peugeot qui étaient attaqués, c'était le monde ouvrier").
Tous les moyens du cinéma sont convoqués pour faire rentrer dans l'écran ce nouveau monde.

L'hyper-efficacité du montage n'ôte rien à la finesse du propos - clairement engagé mais pas borné, pas encarté. Ce qui intéresse le cinéma Medvedkine, c'est avant tout l'humain. C'est dans l'humain que s'enracine le politique (si l'humain meurt le politique meurt, et non l'inverse).
On croise le conducteur des bus de l'usine, nous expliquant dans le détail les conditions de son métier, et les fameux deux jours de la semaine pendant lesquels il ne peut pas manger, à cause de la nausée ("le lundi, le mardi, il faut mieux pas y compter").
"Pendant 10 ans j'ai fait ça, et il y en a 18000 qui le font chez Peugeot, il y en a 18000 qui le font tous les jours, il y a en a 18000." Plus que la parole d'un ouvrier, il s'agit de sa langue - très différente de celle des représentants politiques ("quand Peugeot éternue, c'est toute la région qui s'enrhume").

Les trois-quarts de la vie & Week-end à Sochaux

"Le cinéma peut devenir une arme efficace pour le prolétariat, puisqu'il l'est pour la bourgeoisie."
La direction que prennent les films Medvedkine est triste. Le moteur n'est plus seulement celui du désir - de l'envie s'est immiscée. Les trois-quarts de la vie est un joli petit essai, et pour une raison de conformité petite-bourgeoise, il a fallu l'allonger, l'étirer, lui faire perdre toute substance : il devient Week-end à Sochaux. La révolte semble s'être installée. Il n'y a plus rien de sauvage. Restent quelques rencontres, heureusement.

Avec le sang des autres, de Bruno Muel

C'est la première fois qu'au générique apparaît une tâche assignée à chacun des participants. C'est un film Medvedkine, mais de Bruno Muel - autant dire un film de patron, réalisé avec l'aide des travailleurs de l'usine Peugeot de Sochaux - autant dire avec le sang des autres (le titre ne ment pas). Ce fait souligne cruellement l'ambiguïté de la position du collectif désormais désuni.
Malgré cela, c'est un film immense.
Un film de parole et de suffocation. Ou comment le bruit de la chaîne devient le bruit du monde entier. Comment le travail dévore la vie. Comment le rythme de production contraint la parole, brime la pensée.
Il y a des images (sorties d'usine, femmes qui étendent le linge, enfants d'ouvriers), il y a des documents (la famille Peugeot, les villages ouvriers, l'idée que les grèves naissent des chaînes et la manière qu'ont eu les patron de les réarranger de sorte à ce que personne ne puisse plus se parler), il y a de l'inédit (des images de la chaîne, jusqu'alors interdites, finalement obtenues - on voit les hommes au travail, mais surtout : on entend), il y a des voix ("le bonheur on n'y croit plus, on y croit par morceaux, c'est tout, on croit même plus au socialisme"), mais il y a surtout un texte, magnifique, d'un ouvrier racontant la chaîne.
"la peur d'y aller
la peur qu'ils me mutilent encore davantage
la peur de ne plus jamais parler"
"j'ai tellement mal aux mains
je sens que je pouvais faire des choses avec
la peau s'en va
je veux pas l'arracher
c'est Peugeot qui me l'arrachera".

Alors c'est sans doute un film de professionnels, mais il est riche de cinq années des travaux précédents du collectif, riche de cinq années de désir et d'espoir. Les choses ont changé, les auteurs-propriétaires ont refait surface, les ouvriers sont redevenus anonymes, mais le film est là, pensé, formellement puissant, plein de rencontres et de voix. Il est le chant du cygne d'une utopie fatiguée.

Septembre chilien, de Bruno Muel et Théo Robichet

Les cinéastes ont quitté Sochaux. Ils ont rejoint le Chili après le coup d'état. Ils sont venus filmer les opprimés. Parce qu'ils sentent que la souffrance chilienne peut entrer en dialogue avec la souffrance sochalienne.
Je retiendrai une scène de ce documentaire terrible, où l'on voit des femmes attendre des prisonniers retenus et torturés dans des stades changés en camp de concentration, où l'on voit des rues pleines de militaires - où l'on ne voit rien, parce que les journalistes étrangers sont tenus de rester discrets et de filmer ce qu'on leur indique. Une scène, donc : il s'agit de la mort de Neruda, quelques jours après le coup d'état. C'est le premier rassemblement populaire dans les rues. C'est sans doute la présence des journalistes qui aura préservé la foule du massacre. Et c'est une foule en larmes, inconsolable. On sent dans ces larmes que la flamme socialiste n'est pas morte, que la justice est encore possible. Et c’est un poète qui permet ça.

dimanche 8 novembre 2009

Nachmittag - Angela Schanelec

Le premier plan : une scène de théâtre, un rideau mécanique s'ouvrant avec fracas, un chien, une actrice avec un sac. L'actrice appelle l'accessoiriste - pour jouer, elle veut enlever sa bague (c'est un joli détail - Schanelec prête beaucoup d'attention à ce genre de détails, qui rendent ses scènes douces plus que réalistes, qui créent du romanesque sans histoire). Elle va pour caresser le chien - on change de plan et d'espace : c'est un paysage, c'est un lac, il y a du soleil. On a l'impression que le chien contenait ce lac, et que la caresse de l'actrice l'a fait apparaître. On est dans le rêve du chien. J'aime passionnément ce début, le reste moins.
Schanelec a voulu adapter
La mouette de Tchekhov, et bizarrement, Marseille était plus tchekhovien. Elle a l'intelligence de ne pas insister sur la transposition au contemporain - c'est là, c'est une donnée. Tout a été plutôt finement réécrit, les dialogues sont beaux, les personnages sont fidèles à la pièce sans l'être vraiment. C'est parfait, mais dans le filmage, on ne retrouve pas la magie de Marseille. Les événements sont plus 'séparés', alors qu'ils étaient si fluides. Il y a plus de lourdeur aussi, alors que Marseille n'avait que de la fragilité. Les plans s'apesantissent - certains semblent s'écrouler.
J'ai eu cette étrange impression : Schanelec a essayé de ne pas dire ce que la pièce déjà ne disait pas. Il y a peut-être quelque chose de trop confortable dans le fait d'adapter Tchekhov et de le mettre en sourdine.

Ce qui est beau dans le film, c'est le personnage de Nina. Sa demande d'amour si intense, sa façon de circuler autour de Treplev, de passer du temps avec lui, de se remplir de son amour en même temps que son identité se creuse et dépérit, d'être attentive au moindre signe, de capturer son attention. Ce que Schanelec a réussi, c'est la magnifique intranquillité de Nina. On se souvient d'elle - mais le film n'est pas complètement à son image.

vendredi 6 novembre 2009

Marseille - Angela Schanelec

Angela Schanelec essaime quelques indices. On ne sait jamais vraiment ce que Marseille raconte. On l'apprend, comme par surprise, au détour d'un dialogue. Il y a de la fiction qui surgit dans un temps qui n'est pas celui du récit, mais celui de la captation. On a l'impression que ce qui est raconté l'est par hasard, que des liens très secrets se tissent entre les images. Il n'y a pas de définition, il y a de l'attente. Une attente anxieuse qui tient le film et sa matière plutôt évanescente dans une énergie compacte. C'est une contemplation qui n'est pas molle - il y a des choix très clairs, sur le hors-champ notamment - mais dans ces choix il y a du temps et du mystère - il y a de la place.

Une fille arrive à Marseille. Une amie (on croit que c'est une amie, on apprendra plus tard qu'elles ne se connaissent pas) lui offre un plan. Elle est étrangère, elle n'a presque pas d'accent - elle vient d'Allemagne, on le comprend quand son amie lui chante une chanson en allemand. Elles ont échangé leur appartement.
Elle se retrouve seule dans cette ville qu'elle ne connaît pas (et elle dit cette chose très belle : "une ville qu'on ne connaît pas, ça ne veut rien dire"), elle l'arpente, elle la photographie, elle s'arrête aux endroits interdits. Elle se paie le luxe de l'errance, elle prend des bus jusqu'à leur terminus, elle achète de nouvelles chaussures.
Les achats sont les premiers liens qu'elle tisse avec la ville : des fruits, un café, des chaussures, louer une voiture. Alors il y a une rencontre : le garagiste, en face du marchand de fruits, peut lui en prêter une.
On ne sait pas pourquoi elle est là, ce qu'elle fuit, si elle fuit, ce qu'elle cherche, si elle cherche quelque chose - on sait juste qu'elle a une plante dans son appartement en Allemagne, et qu'elle voudrait que quelqu'un l'arrose.
Elle rend la voiture, le garagiste lui offre un verre, elle parle, il rit. "Tu as fait ce que tu as voulu ?", lui demande-t-il. "C'est seulement en le faisant que je me suis rendu compte de ce que je voulais." Là, un lien se crée. Elle ne marche plus seule, il la raccompagne jusque chez elle. Ce n'est pas une histoire d'amour, c'est quelque chose de plus flottant que ça : c'est une rencontre.
Du verre au bar, on passe à la fête. Quelqu'un lui pose des questions sur son appareil photo - des questions tellement précises, tellement matérielles, qu'elles semblent hors de propos. Ce n'est pas ce qui se joue ici. Ce n'est pas la question d'avoir un flash ou de ne pas en avoir, ce n'est pas la question de pouvoir prendre une photo dans un lieu obscur ou de ne pas pouvoir - il faut essayer, c'est tout. C'est plus simple que ce qu'on croit.
Et soudain, sans prévenir, le film redevient allemand - on le comprend à la langue, à la lumière aussi, moins cassante, moins poussiéreuse. On voit un enfant, une femme qui cherche un texte, une forêt, un train. On ne sait plus ce qu'on voit, qui sont ces gens - la cinéaste a pris le risque d'effacer tout ce que la première demie-heure de son film avait mis en place - ce sera à nous de reconnaître ce que l'on retient du voyage, comment le quotidien semble être contaminé par cet ailleurs découvert.
Sophie travaille pour ces personnes, garde l'enfant - à moins que cette femme ne soit sa soeur. Il y a des conversations où il est question du désir, et d'aller chercher l'enfant à l'école. Tout s'entremêle légèrement, gracieusement. Les grandes questions émergent au milieu des petites, mais elles sont mises sur le même plan, elles sont noyées.
Ensuite, il y a une séquence magnifique. Des ouvrières ou des employées s'assoient sur une chaise près d'une fenêtre, et quelqu'un qu'on ne voit pas les prend en photo. Il y a en a une qui est gênée, parce que sur son badge est écrit son vrai prénom, Desdemona, alors que tout le monde l'appelle Mona. Elle se demande si ce sera lisible sur la photo qu'on fait d'elle, et si Demi Moore s'appelle Desdemona. Il y a une ouvrière à laquelle le photographe demande d'enlever son bandeau, il y en a une autre qui est jalouse parce qu'il ne lui demande pas de l'enlever.
Ensuite, il y a encore un autre lieu, d'autres personnes - c'est une répétition d'une pièce de théâtre. On croit reconnaître la mère d'Anton. Dans son pays, on ne cesse de perdre Sophie, mais on la retrouve. Elle occupait le centre du cadre marseillais, elle se dissout en Allemagne - il y a une existence (des existences) qui la font ployer, se dissoudre dans l'image, dans les événements.
On pense à Tchekhov bien sûr, parce que l'enfant s'appelle Anton, mais aussi pour ce ton, dissimulé, léger, grave, profond, éclatant - tout à la fois. Il est d'ailleurs fait mention de Tchekhov. Anton parle de sa mère qui jouait dans un pièce où elle disait : "je suis une mouette" - et depuis il pense qu'il est possible pour un humain de devenir une mouette.
Je ne raconte pas la fin : le film dit soudain quelque chose de la fragilité qui m'a semblé bouleversant.

mercredi 4 novembre 2009

Adventureland - Greg Mottola

Adventureland, c'est la victoire d'un genre cinématographique (la comédie romantique) sur un genre littéraire (le roman de voyage et d'apprentissage). Victoire forcée : James, le héros, n'a plus d'argent pour partir découvrir l'Europe avec ses amis diplômés, ses parents ayant été socialement déclassés. Mises en péril aussi ses études de journalisme. Le voici donc Américain contraint forcé, travaillant dans un parc d'attraction pendant l'été. Le fantasme ainsi mis en réserve, subsistent quelques questions primordiales : le sexe et les sentiments, et la très complexe conjugaison des deux.
Le film est d'autant plus touchant qu'il assume sa condition mineure, ni très drôle, ni très riche (au sens d'ostentatoire), plutôt sage et lent, attaché aux canons qu'il convoque et soigneux dans leur exécution - il reste centré sur l'infime, sur ce qui n'a jamais lieu, sur ce qui est à peine naissant.
Un adulte éclot comme par enchantement, au milieu des losers magnifiques (Frigo, échappé de Faulkner ; les gérants du parc ; ou le solo de batterie du garçon aux bouclettes), et loin de ses héros (la jeunesse huppée partie visiter les ruines du vieux monde et se révéler à soi-même). Comme par enchantement, ce n'est pas vrai : plutôt avec un immense effort, et aussi beaucoup de grâce - parce que faire autrement ne serait tout simplement pas possible.
On dirait James en voyage dans son propre pays : il découvre l'envers du décor, et il ne peut s'empêcher de trouver tout le monde très beau, même misérable, même menteur, même enfermé dans quelque chose qui n'offre aucune issue - parce qu'il n'est pas mieux loti que les autres, et parce que savoir et ne pas oublier est la seule solution pour se sortir de là.
Face à lui, une fille très belle, en proie à d'autres problèmes - un vrai personnage de fille, qui a tout compris et qui ne l'a pas supporté. On dirait ces deux personnages embarrassés d'un surcroît de conscience. La conscience est de toute façon ce qui définit les personnages de ce film : l'ami fumeur de pipes semble s'en accommoder, Frigo, lui, semble en être privé. C'est aussi ce qui fait l'humour des répliques : quand le gérant du parc d'attraction demande à james s'il a "bu de la drogue", par exemple.
James aura finalement vu des ruines. Elles n'étaient pas où il rêvait de les trouver, elles étaient sur les pelouses tondues et les allées surveillées de Pittsburgh, et il s'est mis à les aimer.