La resortie de ce film est symptomatique. Les familles s'y précipitent, les pères y traînent leurs enfants. Pourtant, ce n'est pas un film de leur époque (1949). Ils sont nés après, ils n'ont pas grandi avec. Mais aujourd'hui, dire qu'on aime Danielle Darrieux, c'est être dans le coup. Redécouvrir le charme du cinéma d'après-guerre (et nier celui de la nouvelle vague), c'est bath. Pourtant, ce n'est pas un cinéma simple, intellectuellement défaillant, formellement fade. Les partis-pris sont nombreux, il y a des gouffres de radicalité - il y a bien, derrière tout ça, une idéologie.
On ne pourra pas pour autant parler de modernité - le jeu d'acteur navigue entre audace et convention d'un autre âge (ça s'agite beaucoup), et le décor ne cesse de marquer l'époque (froufrous, dentelles - pas d'épure). Mais ce qui est étonnant, c'est de voir à quel point la pièce de Feydeau, dont le film est l'adaptation, préfigure notre temps. Feydeau avait déjà perçu la façon dont le libéralisme allait contaminer la sphère intime, comment le politique (ou la démocratie) allait venir semer le trouble entre le vrai et le faux. En ce sens, Occupe-toi d'Amélie est un beau reflet de notre temps - il pourrait s'appeler Occupe-toi de Carla. Le calque le plus frappant (entre la pièce et le présent) est peut-être la perception du temps - les actions ne cessent de déborder, tout est retard, hystérie, course à la mort en parfaite insouciance (mais avec des plans) : une délinéarisation de l'existence (mener plusieurs activités de front).
Il y a aussi la mise en scène d'Autant-Lara, constamment en surchauffe, bourrée de mises en abimes, s'épuisant à dénoncer cinématographiquement la théâtralité du projet, et théâtralement les effets de cinéma - si bien qu'on n'est jamais nulle part - ou, plus précisément, jamais sûr d'être où l'on croit (donc perdu, donc séduit).
Ce flou très calculé fait d'Occupe-toi d'Amélie un film étrange - à la fois joyeux et déplaisant - déplaisant parce qu'imposant cette joie comme unique rapport possible au film. C'est un bel exemple de ce que pourrait être le cinéma français majoritaire aujourd'hui, s'il n'était pas si plein de mauvaise conscience : une façon de faire autorité. Et la satisfaction de se dire à la fin : on en a pour son argent.
