mardi 3 mars 2009

Occupe-toi d'Amélie - Claude Autant-Lara


La resortie de ce film est symptomatique. Les familles s'y précipitent, les pères y traînent leurs enfants. Pourtant, ce n'est pas un film de leur époque (1949). Ils sont nés après, ils n'ont pas grandi avec. Mais aujourd'hui, dire qu'on aime Danielle Darrieux, c'est être dans le coup. Redécouvrir le charme du cinéma d'après-guerre (et nier celui de la nouvelle vague), c'est bath. Pourtant, ce n'est pas un cinéma simple, intellectuellement défaillant, formellement fade. Les partis-pris sont nombreux, il y a des gouffres de radicalité - il y a bien, derrière tout ça, une idéologie.
On ne pourra pas pour autant parler de modernité - le jeu d'acteur navigue entre audace et convention d'un autre âge (ça s'agite beaucoup), et le décor ne cesse de marquer l'époque (froufrous, dentelles - pas d'épure). Mais ce qui est étonnant, c'est de voir à quel point la pièce de Feydeau, dont le film est l'adaptation, préfigure notre temps. Feydeau avait déjà perçu la façon dont le libéralisme allait contaminer la sphère intime, comment le politique (ou la démocratie) allait venir semer le trouble entre le vrai et le faux. En ce sens, Occupe-toi d'Amélie est un beau reflet de notre temps - il pourrait s'appeler Occupe-toi de Carla. Le calque le plus frappant (entre la pièce et le présent) est peut-être la perception du temps - les actions ne cessent de déborder, tout est retard, hystérie, course à la mort en parfaite insouciance (mais avec des plans) : une délinéarisation de l'existence (mener plusieurs activités de front).
Il y a aussi la mise en scène d'Autant-Lara, constamment en surchauffe, bourrée de mises en abimes, s'épuisant à dénoncer cinématographiquement la théâtralité du projet, et théâtralement les effets de cinéma - si bien qu'on n'est jamais nulle part - ou, plus précisément, jamais sûr d'être où l'on croit (donc perdu, donc séduit).
Ce flou très calculé fait d'Occupe-toi d'Amélie un film étrange - à la fois joyeux et déplaisant - déplaisant parce qu'imposant cette joie comme unique rapport possible au film. C'est un bel exemple de ce que pourrait être le cinéma français majoritaire aujourd'hui, s'il n'était pas si plein de mauvaise conscience : une façon de faire autorité. Et la satisfaction de se dire à la fin : on en a pour son argent.

3 commentaires:

Life-boat a dit…

L'ennui, c'est que les cinéastes de la Nouvelle Vague ont également fait preuve d'esprit de ressentiment...

Il n'y a pas assez de tranquillité dans le cinéma français. Parce qu'il n'y a pas assez de considération pour le territoire, et ce, toute expression artistique confondue. Comme rien ne s'enracine ou ne se déracine réellement, en France - c'est à dire, que rien ne passe ou ne se passe dans la géographie - à l'écran, il nous faut de l'agitation, de l'événementiel, historico-sociologique de préférence.

Donc, la majorité des films, tous genres confondus, est psycho-sociale et trouve sa doxa dans les tendance parisienne.

Les réalisateurs, quelque soit la vague, ne surfent pas sur la réalité pour en saisir les affects, les percepts, ils la commentent. Ils sont (ou se veulent) des critiques, des faiseurs d'opinion. "Où est-elle, la réalité ?" est la question que pose les meilleurs d'entre eux.

Quant à être un cinéaste marcheur, qui dé-couvre ce qui se présente à sa perception et dont la caméra saisit un supplément, un différend, que le montage, la composition, va intégrer à la vision générale d'une réalité, il faut quitter la production française pour le trouver.

asketoner a dit…

On peut trouver un joyeux contre-exemple : Jacques Rozier.
Mais je suis d'accord. Personne n'a encore su faire le portrait de Paris (Rivette peut-être, dans Paris nous appartient - mais il faudrait maintenant parler du Paris d'aujourd'hui, et ce n'est certainement pas Honoré qui va nous donner la piste). Peut-être est-ce aussi parce que la France porte sur elle les stigmates d'une vieillesse, et qu'alors il est difficile de s'incarner dans ce qui ressemble à un musée. C'est peut-être aussi la conjonction du musée et du journal (le fait historique, et le fait social - face aux faits, que faire ?)

Yacine a dit…

De mémoire, cette envie de maintenir un flou permanent dans le dispositif de lien entre le théâtre, la vie et le cinéma était une initiative de Aurenche & Bost, les scénaristes d'Autant-Lara qui mériteraient d'être considérés comme co-auteurs à part entière des films qu'ils écrivaient à cette époque, tant leur implication (sur le casting, le choix des sujets ou même le montage) était considérable ! Rien à voir avec aujourd'hui...