C’est une banale histoire de jeunes : deux amis, une fille entre eux, l’un dénonce l’autre pour lui avoir proposé un joint. Un policier le suit et constate que chaque matin le jeune homme fume un joint derrière une école maternelle et le partage avec son ami et la fille. Il risque trois ans de prison pour incitation à la consommation de stupéfiants. Le policier se demande si un flagrant délit est vraiment nécessaire.
Policier, adjectif, oui, car connotant chaque plan. Corneliu Porumboiu prend le parti de limiter son point de vue à celui du policier. Ce sont des scènes de filature sans suspense, sur une affaire sans intérêt. Le cinéaste parvient à réduire son point de vue à l’extrême, sans pour autant atrophier son personnage. C’est un cinéma ironique, mais vivant. Chaque scène semble habillée : il est toujours question d’autre chose que de la question. Ainsi un repas entre mari et femme devient-il une discussion herméneutique sur une chanson d’amour épouvantable que la femme passe en boucle sur youtube ; une discussion entre collègues devient un monologue sur les tisanes trop chaudes ; une rencontre entre un employé et son supérieur devient une proposition de relance du tourisme en Roumanie ; et ainsi de suite. Tout dérive. Les scènes, qui s’apparentent à un genre, celui du film policier, prennent une tournure inattendue. Sauf les scènes d’enquête, qui ne peuvent être plus que ce qu’elles sont.
La position du cinéaste est une position critique. Il pose la question : que voit un policier ? Et définit alors ce qu’est un policier par ce qu’il voit. Un adjectif, assurément, pas un sujet. Car le point de vue adopté, on s’en rend compte lors des scènes de filature ou dans les rapports écrits filmés en gros plan, est inefficient. Le policier dépèce, évide, dévitalise une situation qu’il est incapable d’appréhender (que sa fonction-même l’empêche d’appréhender) – il attend derrière des colonnes de béton, et ramasse des mégots, c’est tout, ce sont ses seules armes cognitives. La loi est la béquille aveugle d’une éthique inatteignable, comme nous le démontre brillamment, par l’absurde, la dernière scène, fascinante, où le supérieur du personnage principal livre une leçon de maïeutique à la fois magistrale et navrante, examinant avec son employé le mot ‘consicence’.
Ces filatures sont aussi l’occasion pour le cinéaste de montrer l’évidence de l’espionnage dans l’architecture de cette ville roumaine. Comme si la ville avait été construite pour ça, pour que les gens s’espionnent. Et le cinéaste de rappeler que ‘police’ et ‘politique’ ont la même étymologie : "πόλις", la ville.
2 commentaires:
Beau film, belle note. A propos de la "dérive" des scènes, notamment. Le héros, d'ailleurs, lui-même, tente de faire dériver l'enquête et de faire accepter par sa hiérarchie une nouvelle orientation, puisqu'il s'aperçoit qu'il n'y a rien à débusquer dans ce réel-là (et c'est bien la mise en scène, le regard du cinéaste qui nous fait ressentir cela).
Le film de Porumboiu réalise un double tour de force : être ironique sans aucun mépris (exemple parfait : le déroulement de la séquence entre le flic et sa femme qui écoute sa chanson) et passionner en ne filmant rien de spécial.
absolument ! jamais de mépris, et pourtant une ironie constante.
cette séquence que vous citez est prodigieuse. d'abord l'ennui, on a vu ça cent fois, le spectateur émet l'hypothèse que c'est un couple qui ne s'aime pas, et puis la singularité, l'éclat d'un truc qui rend cette scène très particulière, et qui nous fait comprendre qu'il n'est même pas question d'amour ou de plus d'amour, mais d'un lien. UN lien. et ça c'est assez magnifique.
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