Où l’on circule sans trêve, emprunte trains, trottoirs et escaliers, voitures ou portes, pour quadriller ce qui nous sert d’espace.
Et le déplacement est toujours un trait. Benning, à sa manière frontale, en rend compte. C’est un gigantesque travail d’épure de l’image – il la débarrasse de tout ce qui pourrait l’encombrer de significations autres. Il ne veut rien montrer d’autre que le mouvement de quelques êtres dans des plans aux géométries prononcées. C’est son angle. Et c’est à partir de cet angle et seulement de celui-ci qu’il dira quelque chose de ces êtres, de ces villes, de ces espaces. Il se tend des pièges : un panneau publicitaire occupe presque la totalité d’un plan, mais le plan ne vaut pas pour ce que le panneau dit de son temps, le plan ne vaut que parce qu’un train le traverse, s’engouffrant entre les jambes de la pin-up qu’il représente, et ressortant par sa tête.
Le spectateur observe distances et territoires. Chacun occupe son espace, ainsi la femme à l’évier, l’homme fumant à la table, et le garçon sortant de la douche au fond du couloir. Chacun occupe, investit les réseaux de circulation et d’action qu’on a créé pour lui.
Ville ou campagne, champs, rues, routes, espaces habités ou non, intérieurs ou extérieurs, ce sont toujours des lignes. L’humain trace des lignes dans un plan plus vaste que lui, occupe des cases. Et même sur le corps de l’autre : une caresse est une ligne, un corps est un espace qu’on appréhende ainsi, par la trace.
Benning mélange les codes : une cheminée d’usine, une chanson de Dylan. Il dit la coexistence d’éléments dissemblables. Il dit le conflit et sa résolution spatiale.
Il veut surprendre aussi : les deux corps allongés, on ne s’en rend pas compte immédiatement, sont deux corps de femmes ; un être surgit dans le plan, qui se trouvait dans la voiture, mais hors cadre on ne soupçonnait pas sa présence.
11x14 est un film brillant, sans vanité, mais froid. Benning n’a pas encore appris à laisser son cinéma s’illuminer. Il filme des intuitions (pas des idées, non), mais il ne filme pas encore avec ses intuitions.
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