jeudi 20 septembre 2012

Péché mortel, de John M. Stahl (Leave her to heaven, 1945)

Gene Tierney est terrifiée par les mauvaises pensées que lui inspire la banalité de la vie de l'homme dont elle vient de tomber amoureuse. Dans la première partie du film, elle fait ce qu'elle croit qu'on lui demande de faire, elle joue l'épouse modèle, prépare les repas, s'occupe du petit frère handicapé de son mari, accepte même d'annuler son voyage de noces pour que son mari soit plus vite aux côtés de celui-ci. Elle sourit en toutes circonstances, jusqu'à complètement craquer. Elle vit dans une maison reculée avec son mari (un peintre, qui, venu étudier les Beaux Arts à Paris, et ayant renoncé parce qu'il ne gagnerait pas assez d'argent, s'est mis à écrire des best-sellers immondes, qu'elle n'aime pas lire), le petit frère de son mari (un lien clairement incestueux unit ces deux-là), et le garde chasse (une brute qui chante dès quatre heures du matin), dans une maison reculée près d'un lac, où les cloisons sont très fines. Le tout est filmé en Technicolor, et les cadres que Stahl compose relèvent d'une certaine tradition bucolico-familiale : les images sociales du bonheur. Il faut voir l'impassibilité du visage de Gene Tierney au moment où elle n'accomplira pas un tout petit geste qui aurait pu éviter un grand drame. Et le plaisir qu'elle prend, hystérique, dans sa soif de destruction d'un monde qui n'est pas fait pour elle - pas fait pour la passion. La scène de l'escalier (je n'en dirai pas plus) est un moment absolument terrible et réjouissant. L'actrice est là pour faire exploser les cadres. Le problème du film, c'est qu'il ne choisit pas de s'attacher à Gene Tierney. Il prend une pente plus morale, plus convenue - celle du mari dépassé par la violence de l'amour. La fin est en ce sens absolument désastreuse, parce qu'elle ruine le projet initial : cette belle idée de dresser le portrait d'une femme qui ne parvient pas à s'adapter aux rêves de confort, de tendresse, et de banjo au coin du feu.

Aucun commentaire: