mardi 6 novembre 2012

Into the abyss - Werner Herzog



Pendant le film, j'ai été fasciné par cette serrure cramée qu'on voit derrière le condamné Michael Perry, et de laquelle on ne dit rien. C'est l'histoire secrète d'un lieu - le parloir - plutôt froid pourtant, mais dont le passé égratigne la rigidité esthétique.

L'histoire secrète des lieux, et celle ouverte des visages, voilà la façon dont on pourrait définir les deux régimes d'images qui composent Into the abyss. En fait, Werner Herzog est obsédé par deux choses : d'une part le langage (comme narration, émotion, et singularité absolue de l'être humain), d'autre part le paysage (comme énigme, ou comme temps mondial décalant le temps humain, ou plutôt renvoyant le temps humain à sa dimension de feu follet).

Au milieu de ces mouvements très contraires, il y a quelques visages pris dans un statisme étonnant, à la fois filant et ancré, c'est-à-dire un statisme en attente (de quoi ? ce serait difficile de le déterminer systématiquement, mais globalement on pourrait parler d'empreinte : Herzog attend que les visages laissent dans le paysage - et dans le plan - leur empreinte). Les moments où la parole s'arrête, où l'histoire a été dite, où le langage a été épuisé, laissent le visage révéler sa place (au présent) dans le paysage filmé. Ces moments sont moins pathétiques qu'étranges (le sourire d'un condamné à mort, les larmes d'un pasteur qui vient de parler de golf et d'écureuils, l'assise d'un bourreau qui a décidé de quitter son métier), et, plus qu'étranges, ils sont politiques : Herzog situe, ne cesse de situer, de donner la situation des visages qu'il filme.

Malgré tout, il y a quelque chose qui me laisse un peu froid dans Into the abyss. Peut-être parce que Herzog n'a pas trouvé, contrairement à son habitude, des conteurs géniaux (les histoires m'ont semblé très confuses). Peut-être aussi parce qu'il y a un film de James Benning, Landscape Suicide, qui s'occupe des mêmes questions que Into the abyss, et qui s'en occupe mieux. Après, ce qu'il y a de formidable, avec Herzog, c'est qu'on ne peut jamais savoir ce que ses documentaires vont donner, et quelle sera la fiction qui en résultera. Herzog fait des documentaires en forme de tremplin - ses fictions sont les sauts à ski, les envols.

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