mardi 10 mars 2009

sur Robert Zemeckis et puis sur Eric Roth (Retour vers le futur, Forrest Gump, Benjamin Button)


Zemeckis, dont je vois ou revois les films ces derniers jours, chez moi, en rentrant du travail, m'apparaît comme un cinéaste aux obsessions ludiques et passionnantes - ouvertement commercial, tout en imposant une façon de faire du cinéma qui n'appartient qu'à lui. Les plans de ses films sont semblables au jeu des sept erreurs : la reconstitution d'un chromo parfait, et la présence, en son sein, d'anomalies. Ainsi, dans Retour vers le futur, Marty, rebaptisé Calvin Klein par sa mère adolescente, croyant, comme une femme des années 50, que sur son slip est brodé son nom ; ainsi le passage de John Lee Hooker vers Jimy Hendrix, face à une foule d'abord conquise puis médusée, lors d'une fête du lycée en 1955. Ces anomalies (les baskets au Far-West, l'anorak considéré comme un costume de garde-côte...) sont des éléments à la fois comiques (car anachroniques) et plastiques - il s'agit de décrypter, à la fin des années 80, les mythologies spontanées des objets du quotidien, et de les transposer en univers 'hostile' (ce serait le versant ésthétique et temporel des Lettres Persanes).
Dans le troisième volet, Marty choisit son nom (de scène - car il en est beaucoup question chez Zemeckis, Forrest Gump faisant le récit de son histoire depuis une sorte d'estrade filmée frontalement) : il s'appellera Clint Eastwood. D'un Calvin Klein subi à un Clint Eastwood choisi, c'est le trajet de l'expérience du jeune homme, apprenant, au fur et à mesure des trois volets, à surmonter ses névroses, à corriger ce qui en lui est 'destiné' (tout le contraire de Forrest Gump, où le destin est plutôt bienfaisant - sauf lors de quelques 'coups' émotionnels apparemment nécessaires à la fabrique hollywoodienne - mais de toute façon sans alternative possible), et même à se défaire de l'idéal (Clint Eastwood renoncera au duel).
Le génie du second volet de Retour vers le futur est de rejouer exactement le premier - rejouer la structure (altercation au bar, fuite en skate), les motifs, puis, carrément, les images, lorsque Marty et le Doc se trouvent contraints de retourner en 1955, à la date exacte où s'est déroulée le premier volet. On retrouve là le goût de Zemeckis pour le jeu des sept erreurs - la suite n'est pas seulement une évidence économique, elle pose un problème conceptuel majeur, auquel le cinéaste répond par une manière de 'refaire le film' sur les bobines du précédent.
Plus lourdaud est Forrest Gump, malgré quelques amusants collages (Tom Hanks et Kennedy, Tom Hanks au Vietnam, Tom Hanks et l'histoire des Etats-Unis d'une manière générale). Le film est plombé par le scénario d'Eric Roth, déjà responsable de ceux du Facteur, de L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux, de Munich, et de Benjamin Button. Eric Roth est un scénariste qui a pour fonction primordiale de tuer toute tentative de cinéma, toute liberté éthique et esthétique. Il fabrique des récits anesthésiants, s'arrangeant toujours pour que le film se dillue dans les clichés, que les lieux ne soient plus que des cartes postales, et que les personnages ne valent pas mieux que l'idée qui les a fait naître. On se souvient de la péniche hollandaise, du café italien, et du marché français dans Munich - il y a chez lui un côté Connaissances du Monde affligeant (voir l'Inde, dans Benjamin Button, "terre spirituelle", pourrait-on titrer).
Benjamin Button est d'ailleurs un calque de Forrest Gump. On y trouve le même amour d'enfance perdurant toute une vie, la même maison-hôtel, le même thème de la 'différence', le même bateau, le même rapport à la guerre et à la réussite sociale, la même façon de tirer l'intime vers l'historique événementiel. Notons que le fou des crevettes s'appelle Benjamin Bufford Blue. S'il y en a bien un qui n'a jamais pensé à l'idée de la redite, c'est Eric Roth, petit faiseur mesquin, déguisant son ressassement sous d'imposants flux émotionnels.
Pour Zemeckis, par contre, ça reste à suivre.

1 commentaire:

Life-boat a dit…

ce que vous dites à propos du plombage par Éric Roth de toute histoire, de tout personnage, se vérifie d'autant mieux pour Benjamin Button que le récit original est signé Francis Scott Fitzgerald !

Serait-ce la réponse ironique et grinçante d'Hollywood - d'un autre Hollywood, devenu entre temps lourdeau - aux tentatives de Fitzgerald de voir ses histoires et ses scénarios porter à l'écran ?