Ca pourrait être juste un document, où l'on entendrait l'écrivain de retour au pays natal s'exprimer sur toutes sortes de sujets. Notre place de spectateur serait alors réduite à aimer/pas aimer, être d'accord/pas d'accord, avoir envie de le lire/avoir envie de brûler les livres qu'on a lus de lui. Déceler aussi chez lui, sous quelques piques réactionnaires, l'immense blessure, à la fois singulière et profondément russe. Mais le film de Sokourov est bien plus que cela.
D'abord, c'est, pour le cinéaste, une façon de s'acquitter d'une dette. Une dette nationale envers un grand écrivain volontairement ignoré (le terme est faible) - envers une vérité refusée. Les premiers mots du cinéaste, retraçant brièvement la vie de l'écrivain, sont pleins de cette charge émotionnelle : Sokourov endossera le rôle de la Russie (pas moins) face à Soljenitsyne.
Ensuite, c'est une ballade dans un parc. Le cinéaste et l'écrivain marchent ensemble, regardent les arbres, écoutent les oiseaux. L'écrivain montre le tilleul foudroyé, dit son amour pour le chant du coq et pour l'humidité, parle de son exil américain, entraîne le cinéaste sur ses sentiers favoris, lui propose de s'asseoir sur chacun des trois bancs du parc. Sokourov pose quelques questions brèves, Soljenitsyne répond longuement, se sachant admiré - et se sachant aussi responsable d'une transmission : il instruit le jeune cinéaste, qui ne demande que ça. La relation est ainsi posée : ce sera le maître et l'élève. Lui apprendre à penser, à vivre, à marcher, à travailler.
La seconde partie présente l'écrivain au travail, son bureau, ses objets, sa façon de corriger un manuscrit (Sokourov, abusé par son admiration, face à un bureau où règne un chaos total, dira : "chaque chose est à sa place" - c'est à la fois assez comique, et très tendre, tant on sent dans cette affirmation un désir de comprendre, de rendre limpide une adoration). Soljenitsyne accepte la proximité de la caméra, sans faire de numéro, assez humblement, et par envie aussi de transmettre quelque chose d'unique à Sokourov - désir de devenir matière, lui qui vit là, face à la forêt, dans des pièces pleines de mots et de lumière.
Et puis, il se passe quelque chose : Sokourov prend les mains de Soljenitsyne. A partir de ce moment à la fois infime et spectaculaire, tout change. Le cinéaste, qui cherchait surtout à comprendre, cherche désormais à se faire comprendre. Sa voix devient plus incisive, il n'hésite pas à couper son interlocuteur, à changer de sujet quand ça ronronne, à contredire - bref, à entrer dans le dialogue. Ce n'est plus le filmeur et le filmé, c'est Sokourov, qui, le temps d'un film, veut franchir un cap, se hisser au niveau de conscience de Soljenitsyne, l'atteindre (humainement). C'est donc un documentaire où l'on entend la parole précieuse d'un écrivain majeur au seuil de sa vie, mais aussi un film où une icône idolâtrée devient un ami (où du fantasme on passe à la vie). Film d'engagement, s'il en est, philosophiquement décisif.
D'abord, c'est, pour le cinéaste, une façon de s'acquitter d'une dette. Une dette nationale envers un grand écrivain volontairement ignoré (le terme est faible) - envers une vérité refusée. Les premiers mots du cinéaste, retraçant brièvement la vie de l'écrivain, sont pleins de cette charge émotionnelle : Sokourov endossera le rôle de la Russie (pas moins) face à Soljenitsyne.
Ensuite, c'est une ballade dans un parc. Le cinéaste et l'écrivain marchent ensemble, regardent les arbres, écoutent les oiseaux. L'écrivain montre le tilleul foudroyé, dit son amour pour le chant du coq et pour l'humidité, parle de son exil américain, entraîne le cinéaste sur ses sentiers favoris, lui propose de s'asseoir sur chacun des trois bancs du parc. Sokourov pose quelques questions brèves, Soljenitsyne répond longuement, se sachant admiré - et se sachant aussi responsable d'une transmission : il instruit le jeune cinéaste, qui ne demande que ça. La relation est ainsi posée : ce sera le maître et l'élève. Lui apprendre à penser, à vivre, à marcher, à travailler.
La seconde partie présente l'écrivain au travail, son bureau, ses objets, sa façon de corriger un manuscrit (Sokourov, abusé par son admiration, face à un bureau où règne un chaos total, dira : "chaque chose est à sa place" - c'est à la fois assez comique, et très tendre, tant on sent dans cette affirmation un désir de comprendre, de rendre limpide une adoration). Soljenitsyne accepte la proximité de la caméra, sans faire de numéro, assez humblement, et par envie aussi de transmettre quelque chose d'unique à Sokourov - désir de devenir matière, lui qui vit là, face à la forêt, dans des pièces pleines de mots et de lumière.
Et puis, il se passe quelque chose : Sokourov prend les mains de Soljenitsyne. A partir de ce moment à la fois infime et spectaculaire, tout change. Le cinéaste, qui cherchait surtout à comprendre, cherche désormais à se faire comprendre. Sa voix devient plus incisive, il n'hésite pas à couper son interlocuteur, à changer de sujet quand ça ronronne, à contredire - bref, à entrer dans le dialogue. Ce n'est plus le filmeur et le filmé, c'est Sokourov, qui, le temps d'un film, veut franchir un cap, se hisser au niveau de conscience de Soljenitsyne, l'atteindre (humainement). C'est donc un documentaire où l'on entend la parole précieuse d'un écrivain majeur au seuil de sa vie, mais aussi un film où une icône idolâtrée devient un ami (où du fantasme on passe à la vie). Film d'engagement, s'il en est, philosophiquement décisif.
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