Inland nous propose de suivre quelques jours dans la vie d'un géomètre. D'abord seul, chez lui, puis en ville, dans un bureau, auprès de sa femme de laquelle il divorce doucement, puis dans un village miné, en mission, pour apporter l'électricité, et enfin à l'aventure, avec une femme rencontrée par hasard, dans le désert, à travers les steppes. Les lieux changent toujours. Téguia cultive une instabilité, un déséquilibre permanent, avec un sens de la distance inouï.
Distance d'abord au sens d'une séparation : des personnages parlent de politique, le géomètre ne participe pas à ces discussions. Distance d'avec le monde. Une position, depuis laquelle on observe les changements. Une voiture kiarostamienne, un centre d'échanges (de regards, de services, de paroles). On voit, on écoute, on recueille (pour un temps).
Distance ensuite au sens d'un éloignement. L'histoire est celle d'une fuite - et le plus beau est que cette fuite est aussi un retour au monde. C'est dans la fuite, dans la disparition, que le géomètre découvre une possible incarnation. Dans la mort de soi que le soi apparaît.
Distance enfin au sens d'un parcours. Le héros arpente, quadrille l'espace, apporte de l'électricité, et donc du lien, ouvre des routes dans la steppe, en funambule entre les mines, fait de son corps le lieu où viennent naître et mourir tous les paysages traversés, tous les visages rencontrés ou rêvés. Il élabore un chemin. Un autre chemin, pour laisser l'accès libre vers les choses aimées, mais s'en protéger aussi, s'en défaire, au gré du désir, trop turbulent pour s'établir.
Cette triple étude de la distance trouve mille solutions plastiques (au moins une par plan) : des cadres dans le cadre, des paysages vus à travers des vitres par temps de pluie, des flous, des tremblements, etc... Toujours quelque chose protège du visible, interrompt, s'intercale dans le rapport de l'être au monde, mais cadre aussi, donc précise l'attention, représente plus proche, à travers soi : une manière de replacer le paysage au coeur de l'être (pas seulement contemplatif, donc - car il s'agit de s'inscrire, d'exister ici et maintenant, tout en restant absolument exigeant).
Toute unité est menacée : la famille n'existe plus que comme possible refuge, une nuit, pour s'échapper d'une chambre d'hôtel trop blanche ; le travail est abandonné ; le pays est miné, divisé, et on touchera la frontière. On change de lieux sans cesse (et pourtant on ne voyage pas : on va, on accompagne), mais de personnages aussi : soudain surgissent deux poètes marchant dans le désert, comme un autre film possible.
Téguia envisage tous les possibles, multiplie les fuites, et, bizarrement, ne nous perd jamais - ce qui tient le film, c'est sa temporalité. Sans réalismes, sans annotations, Inland déploie du temps comme une matière concrète, comme un fil, un point d'ancrage se dévidant. Alors, parce qu'on suit ce temps, ce sont les possibles qui s'ouvrent, et le désir, et la beauté et la sauvagerie de ce désir qui exclut tout le reste, mais peut aussitôt se remettre à désirer le reste. Exiger l'absolu - mais le laisser éclore, peu à peu, de lui-même. Aucune prétention, aucune construction trop imposante, rien que du temps et des images desquelles on s'éloigne. L'impression de quitter un monde, et l'impression d'avoir toujours connu ce monde alors qu'on n'a rien fait d'autre que le quitter. S'incarner dans la disparition, dans la fuite.
Quelques rencontres éblouissent l'être (et donc l'image) : un jeune homme désoeuvré, des bergers nomades, une communauté noire, une jeune fille - trente amours à la seconde. Inland est un film exalté, touchant à l'être dans ce qu'il a de plus impermanent, et donc de plus cinématographique (ou vrai : car on se rend compte alors que le cinéma - du moins celui de Téguia - est l'art de la vérité).
1 commentaire:
Bonjour,
je voudrais prendre contact avec vous.
Pouvez-vous me contacter ?
Merci
(f.benzaquen@cinematheque.fr)
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