La liberté c'est le paradis, c'est l'histoire d'un orphelin multipliant les évasions, trouvant refuge auprès de femmes belles et solitaires, apprenant par hasard qu'il a un père et que ce père voudrait le reconnaître, mais qu'il ne peut pas parce qu'il est en prison. C'est triste et c'est terrible.
Le film a de la fugue la sècheresse. A la fois concret et hallucinatoire, comme si la caméra avait faim, avait peur, avait sommeil, nous traversons, avec ce jeune garçon blond qui louche, une terre où la lumière est trop faible et où les hommes sont violents et sexués. Tout ce qu'ils font (manger une pastèque, recevoir un massage, surveiller des trains) est monstrueux, plein de sous-entendus terrifiants. Sans scène choc, Sergei Bodrov parvient à représenter la terreur.
Les femmes échappent au bestiaire d'un régime déchu - et elles ouvrent, pour le jeune garçon, des échappatoires (avec une pomme, un dollar, ou un lien de parenté factice).
Par bien des aspects, La liberté c'est le paradis rappelle le magnifique livre de Mario Vargas Llosa, La ville et les chiens - même crudité, même monstruosité, même façon d'appréhender un pays à travers ses écoles, ses prisons, et son armée.
Bouge pas, meurs, ressuscite, je ne l'avais pas revu depuis dix ans, je crois qu'on n'en parle qu'avec des larmes.
Ca se passe en Russie, à Soutchan, et ce sont deux enfants épris l'un de l'autre, et d'amour et de haine. Ils vendent du thé pendant les marchés. La jeune fille est débrouillarde (mais bouriate), le garçon, fils d'une femme facile, livré à lui-même, est plus enclin aux quatre-cent coups, jusqu'à faire dérailler un train - ce qui le force à fuir Soutchan. Il a cette manie de dévisager les gens qu'il rencontre jusqu'à l'épuisement - et le cinéaste a ce même regard (pour se souvenir ?) sur chacun de ses acteurs, principaux ou figurants de passage. On ne quittera pas le bal tant que les deux éclopés ne seront pas sortis, enlacés, s'offrant des béquilles pour conjurer l'infirmité doublée d'ivresse. On fixera l'homme au pigeon, on suivra le petit cochon, on fera fuir la chouette, mais tout sera long et compliqué, car la caméra de Vitali Kanevski est un piège, une lumière où viennent se brûler les papillons de nuit. Ce sont des plans qui capturent, qui volent, qui conjurent les destins et le temps. On n'oublie rien ni personne. On peine à chasser un plan pour passer à un autre, comme dans certains poèmes où on ne peut passer au vers suivant, trop imprégné de ce qu'on a lu déjà, et compris, et ressenti. On quitte chaque séquence à regret.
C'est un cinéma à la fois obscène et bouleversant. Mais protecteur aussi, car distancié, d'une beauté formelle éblouissante, plein d'humour, d'inventions, d'invraisemblances volontaires. Et je suis très surpris que ce film ne soit pas plus célébré, tant il a su inventer, au début des années 90, un cinéma nouveau, ouvrir des pistes, et s'affranchir radicalement du passé.
Chaque année, c'est la même chose. Pendant l'été a lieu le festival du film russe, dans un cinéma du quartier latin (l'année dernière c'était à l'Arlequin, cette année au Reflet). Mais pourquoi seulement l'été ? Pourquoi si peu de séances pour des films aussi singuliers et inventifs ? Et pourquoi se tourner avec une telle obstination vers l'Ouest, quand l'Est aurait tant à nous apprendre ? Je ne recense plus le nombre de rétrospectives Nicholas Ray, Billy Wilder, Woody Allen, Orson Welles, Stanley Kubrick... Elles sont trop nombreuses, et trop envahissantes. J'aime ces cinéastes, mais n'y aurait-il pas une place plus juste à accorder à Alexei Guerman, Sergei Paradjanov, Mark Donskoi, Artavazd Pelechian, Elem Klimov, Vitali Kanevski, Sergei Bodrov, Igor Minaiev, ou Lopushansky ? On ne voit que trop rarement (et pour certains : jamais !) leurs films. Et pourquoi restreindre Eisenstein au cadre universitaire ? Pourquoi ne réédite-t-on pas tout Sharunas Bartas en dvd ? Pourquoi n'offre-t-on pas des sorties dignes de ce nom aux films méconnus de Sokurov ? Par paresse, peut-être... Parce qu'alors, le cinéma changerait de visage. Et les abonnés ne retrouveraient plus leurs marques.
Le film a de la fugue la sècheresse. A la fois concret et hallucinatoire, comme si la caméra avait faim, avait peur, avait sommeil, nous traversons, avec ce jeune garçon blond qui louche, une terre où la lumière est trop faible et où les hommes sont violents et sexués. Tout ce qu'ils font (manger une pastèque, recevoir un massage, surveiller des trains) est monstrueux, plein de sous-entendus terrifiants. Sans scène choc, Sergei Bodrov parvient à représenter la terreur.
Les femmes échappent au bestiaire d'un régime déchu - et elles ouvrent, pour le jeune garçon, des échappatoires (avec une pomme, un dollar, ou un lien de parenté factice).
Par bien des aspects, La liberté c'est le paradis rappelle le magnifique livre de Mario Vargas Llosa, La ville et les chiens - même crudité, même monstruosité, même façon d'appréhender un pays à travers ses écoles, ses prisons, et son armée.
Bouge pas, meurs, ressuscite, je ne l'avais pas revu depuis dix ans, je crois qu'on n'en parle qu'avec des larmes.
Ca se passe en Russie, à Soutchan, et ce sont deux enfants épris l'un de l'autre, et d'amour et de haine. Ils vendent du thé pendant les marchés. La jeune fille est débrouillarde (mais bouriate), le garçon, fils d'une femme facile, livré à lui-même, est plus enclin aux quatre-cent coups, jusqu'à faire dérailler un train - ce qui le force à fuir Soutchan. Il a cette manie de dévisager les gens qu'il rencontre jusqu'à l'épuisement - et le cinéaste a ce même regard (pour se souvenir ?) sur chacun de ses acteurs, principaux ou figurants de passage. On ne quittera pas le bal tant que les deux éclopés ne seront pas sortis, enlacés, s'offrant des béquilles pour conjurer l'infirmité doublée d'ivresse. On fixera l'homme au pigeon, on suivra le petit cochon, on fera fuir la chouette, mais tout sera long et compliqué, car la caméra de Vitali Kanevski est un piège, une lumière où viennent se brûler les papillons de nuit. Ce sont des plans qui capturent, qui volent, qui conjurent les destins et le temps. On n'oublie rien ni personne. On peine à chasser un plan pour passer à un autre, comme dans certains poèmes où on ne peut passer au vers suivant, trop imprégné de ce qu'on a lu déjà, et compris, et ressenti. On quitte chaque séquence à regret.
C'est un cinéma à la fois obscène et bouleversant. Mais protecteur aussi, car distancié, d'une beauté formelle éblouissante, plein d'humour, d'inventions, d'invraisemblances volontaires. Et je suis très surpris que ce film ne soit pas plus célébré, tant il a su inventer, au début des années 90, un cinéma nouveau, ouvrir des pistes, et s'affranchir radicalement du passé.
Chaque année, c'est la même chose. Pendant l'été a lieu le festival du film russe, dans un cinéma du quartier latin (l'année dernière c'était à l'Arlequin, cette année au Reflet). Mais pourquoi seulement l'été ? Pourquoi si peu de séances pour des films aussi singuliers et inventifs ? Et pourquoi se tourner avec une telle obstination vers l'Ouest, quand l'Est aurait tant à nous apprendre ? Je ne recense plus le nombre de rétrospectives Nicholas Ray, Billy Wilder, Woody Allen, Orson Welles, Stanley Kubrick... Elles sont trop nombreuses, et trop envahissantes. J'aime ces cinéastes, mais n'y aurait-il pas une place plus juste à accorder à Alexei Guerman, Sergei Paradjanov, Mark Donskoi, Artavazd Pelechian, Elem Klimov, Vitali Kanevski, Sergei Bodrov, Igor Minaiev, ou Lopushansky ? On ne voit que trop rarement (et pour certains : jamais !) leurs films. Et pourquoi restreindre Eisenstein au cadre universitaire ? Pourquoi ne réédite-t-on pas tout Sharunas Bartas en dvd ? Pourquoi n'offre-t-on pas des sorties dignes de ce nom aux films méconnus de Sokurov ? Par paresse, peut-être... Parce qu'alors, le cinéma changerait de visage. Et les abonnés ne retrouveraient plus leurs marques.
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