jeudi 16 juillet 2009

Whatever works - Woody Allen & Public enemies - Michael Mann

Woody Allen vit dans un monde parfait. Une jeune fille belle mais simplette (et acceptant de le rester) tombe amoureuse d'un vieux raté se faisant passer pour un génie, une bigote devient artiste et partouzarde, un père de famille plein de convictions républicaines finit par trouver l'amour auprès d'un homme. Le réel semble s'être soumis aux fantasmes du cinéaste. Rien ne résiste. Fin, donc, de l'adversité, de l'acuité du regard sur le monde, et du cinéma aussi - il n'y a plus, dans le cinéma de Woody Allen, qu'un vague charme suranné, des bouffées qui nous font nous souvenir de films meilleurs et moins heureux, deux ou trois blagues de vieux copain collant mais duquel on ne parvient pas à se débarrasser. La façon dont est surlignée l'adresse au public, seule 'audace' du film, fait peur. Mais pour qui nous prend Woody Allen ? Whatever works relève d'un jeu d'apparences qui s'effondrent sans trembler, puis qui sont remplacées par d'autres apparences.
Le film d'un homme satisfait, cela pourrait être touchant, s'il ne se gonflait d'une morale destinée à écraser le moindre doute, la moindre aspiration dépressive. Whatever works, tout pourvu que ça marche - ou plutôt : tout marche - ou encore : fais n'importe quoi, mais travaille. Reste une certaine forme d'autorité (cf le dernier Eastwood : les vieux se sont assis, ne pouvant se résoudre à s'absenter).

Michael Mann a visiblement chaussé les mêmes pantoufles que Woody Allen. Croyant se débarrasser de l'encombrante notion de 'point de vue', il en adopte un 'malgré lui' (du moins je l'espère) : Dilinger était une star. C'est le même point de vue que ceux qu'adoptent Paris Match ou Secret Story (ou Scorsese dans Aviator - bien que Scorsese ait tenté de s'inscrire dans la lignée de Gatsby le magnifique), la même fausse et paresseuse fabrication d'une histoire, d'un personnage, sans ligne de force, sans quête de vérité, sans la moindre esquisse d'une problématique. Qu'en est-il de la mort, du danger, de la traque, de l'errance, du corps ? On n'en saura rien - ce qui nous est présenté ne vaut pas plus qu'une partie de chasse entre aristocrates.
S'emparer d'un (semblant de) mythe pour ne rien en faire, c'est la pire des paresses. Bien sûr, Mann voudrait nous faire croire aux fulgurances poétiques, cosmiques de son film - mais il occulte l'univers, et peine à raconter ce que c'est qu'un homme seul (dans Miami Vice, il y avait Miami, et dans Collateral aussi il y avait une ville jamais filmée ainsi, jamais mise en rapport de cette façon avec des personnages de cinéma - là, il y a un studio et des projecteurs). Le cahier des charges est trop lourd (le train à vapeur...), et les costumes sont pleins de puces (on dirait un film français : Public enemies est de la même veine que Coco avant Chanel). Désincarné (les acteurs n'ont rien à jouer : Johnny Depp reprend par moments des tics de Pirate, Bale capitalise sur son rôle précédent de Batman, Cotillard fait la fille), archétypal - là encore, rien ne pose problème, rien ne résiste à la routine Mannienne, et le résultat, plus qu'un film heureux, est un film assis et affecté.
On peut voir dans Public Enemies une Histoire de l'Amérique - on nous a déjà fait le coup pour History of violence, Benjamin Button et Gangs of New York. Evidemment ! Quel Américain n'est pas porteur d'une Histoire de l'Amérique ? Même Lynch incarne quelque chose de son pays, tout le monde, et même les étrangers, même les films de Rohmer disent par défaut quelque chose de l'Amérique - l'Amérique est tellement bavarde...
Ce film et celui de Allen ressemblent aux aliments déshydratés qu'on donne aux cosmonautes pour aller dans l'espace : une idée de nourriture - une vague idée de ce qu'aurait pu être un film, si nous ne vivions pas tous sur Saturne depuis dix ans (vingt, trente ?).

On remarquera que les Américains peinent désormais à raconter des histoires. Leur cinéma semble s'être affranchi d'une certaine naïveté. C'est au centre de Miami Vice (l'histoire cubaine, réminiscence de quelque chose que la première partie pressentait, distillait déjà, sous forme de nostalgie), c'est Le nouveau monde (acte de foi retrouvée, et de dépossession de cette foi dans des jardins anglais), c'est aussi très présent, mais de manière plus irrévérencieuse, chez James Gray (qui impose le dénouement tragique comme un pied de nez - pas étonnant qu'il projette de tourner son prochain film en forêt amazonienne). Difficile alors de distinguer désir et fabrication.
En même temps, ça rend le cinéma d'aujourd'hui suffisamment retors pour être intéressant : il n'y a plus de certitudes dans des 'valeurs', il y a des cinéastes qui peuvent s'effondrer à tout moment, revenir à la charge, puis disparaître. Comme si on ne pouvait plus aimer que les films, et plus les cinéastes. Les films forts d'aujourd'hui sont des îles, et plus des mondes.

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