Ce n'est pas aussi 'maîtrisé' que le film d'Almodovar (note à venir), ni aussi 'sublime' que celui de Lars von Trier, mais c'est 100 fois plus léger et 100 fois moins mièvre. Pourquoi l'intelligence et le questionnement philosophique sans tricherie viennent-ils d'un gros blockbuster hanté par une motion-capture spectaculairement hideuse, et non du cinéma d'auteur ? Mystère... Il y a des gens qui savent travailler avec l'argent, et d'autres qui laissent leur cinéma crouler sous leur prétention monnayée. D'un côté, deux filous qui ne vont pas au bout de ce qu'ils avancent ; de l'autre, un artisan plutôt habile mais sans goût qui parvient à dire des choses malgré tout, parce qu'il ne résume pas le cinéma à une affaire de goût.
La réussite de ce film tient avant tout à sa façon d'aborder le fatalisme. Fatalisme d'un prequel, et le titre le rappelle : on sait ce qu'il va se passer, il n'y aura pas d'issue. C'est sans conciliation possible, et Rupert Wyatt ne peut pas jouer sur le suspense d'une alternative, ni avancer l'hypothèse d'un autre monde possible. Une erreur a été commise, et les causes de la fin du règne humain ne peuvent être attribuées qu'à l'homme. Ce que les singes voient n'est pas une possibilité de prendre le pouvoir, mais une nécessité pure et simple. Il n'est d'ailleurs pas question de pouvoir ici, ni même de méchanceté ou de Mal, mais d'erreur. Les humains ont commis une erreur, et, d'une certaine manière, ils auraient pu en prévoir les conséquences. C'est donc un film plus noir que Melancholia, plus abrupt philosophiquement, puisqu'il fait le procès froid non d'un espoir, mais d'un souhait : comme si l'Homme avait cherché à disparaître. La fin du monde (ou du moins la fin de sa présence au monde), l'homme la détient en lui, comme mode d'être au monde, et c'est ce qu'il choisit. C'est ce vers quoi ses activités très organisées tendent. Il n'y a pas une scène qui ne soit pas d'urgence, et cette urgence, à chaque plan, est moins le signe d'un divertissement que celui d'une logique droite et sans appel. La brutalité numérique des singes révoltés investissant San Francisco et son gros pont rouge opte pour la ligne droite (ils traversent toits et bureaux à vitesse constante, seuls les dégâts causés changent), voire pour le trait, qui s'épaissit grâce au nombre improbable de singes convertis. La ligne est guerrière, le cercle est un affaiblissement : les singes prisonniers de l'arène sont sans force, et César efface le cercle qu'il a tracé sur le mur de sa cage. Car La planète des singes, les origines, aussi paradoxal que cela puisse paraître, est un film spectaculaire contre le spectacle. Ce qui vient après lui, c'est la poésie - celle du film désolé de Franklin J. Schaffner, celle de la verticalité retrouvée : l'être, après avoir dit non, est à sa juste hauteur, et la statue de la Liberté s'enlise sur une plage déserte (le clin d'oeil du prequel est attendu, mais malin - comme tout le film, prévisible mais fonceur).
L'autre grand éclat, plaçant le film à contre-courant de la majorité des productions hollywoodiennes, c'est son anti-paternalisme radical. Le père n'est pas sauvé, il est même carrément répudié, et le fils ne peut plus se réconcilier ; c'est trop tard : il diffère. Cela s'effectue à plusieurs niveaux.
D'une part entre James Franco et son père, qu'il aurait aimé sauver, mais non (la mort est une donnée invariable que l'homme ne supportera jamais). James Franco, en tant que fils, est lui-même incapable d'être père. C'est son père qui donnera un nom à l'enfant-singe. Plus tard seulement, après la mort de son père, James Franco comprendra qu'il est le vrai père de ce singe et qu'il faudra en payer les conséquences.
D'autre part entre James Franco et son patron, lequel, après avoir sermonné sévèrement son génial employé, tout en faisant preuve d'un certain laxisme mielleux à son égard, voudrait le racheter, mais non (l'opposition politique et éthique des deux est bien trop forte pour qu'il y ait une quelconque entente sur la situation présente).
Aussi dans le personnage du tortionnaire des singes, qui travaille pour son père, dans la prison folle que celui-ci a construite - le fils oeuvrant donc pour la perpétuation de la maladie du père. Le film s'acharne contre les cycles incestueux. Le singe presqu'homme (car joué par un homme) est, par extension, ce qu'il y a de plus sauvage en l'homme, et il est le seul à pouvoir venir à bout de la répétition infernale des mêmes erreurs.
Enfin, entre James Franco et le singe qu'il a élevé puis fait enfermer. James Franco lui ouvre la porte de sa cage et lui propose de revenir à la maison : c'est trop tard, le singe est blessé, il n'y aura pas de deuxième chance, il ne rentrera pas dessiner de jolis cercles sur les murs de sa chambre, il a d'autres plans, d'autres nécessités que la douceur. A la fin du film, James Franco retourne voir le singe enfui avec sa meute et tente un dernier coup de bluff à l'émotion filiale : la réaction du singe est nette, il parle désormais, et, fort de cette parole, est devenu autonome - sa maison est le monde.
Il faudrait dès lors distinguer 'humain' de 'être', car le film joue sur cette ambiguïté, autour de la notion de parole. Etre humain, c'est un truc qui est donné à tous les humains, qu'ils parlent ou pas. Mais être, simplement être, ça se devient. A travers la parole, donc, que les Américains adulent, adorent, la prêtant même à des souris qui s'appellent Mickey ou à des trucs verts qui s'appellent Schreck ou à des idiots faulknériens. Parole simple, "non", "i want to go home", "file-moi du fric", mais pleine d'enjeux philosophiques. E.T., parlant, ne devient pas un être humain - il s'affirme au contraire absolument comme être extraterrestre. Sa parole le déshumanise, et, le déshumanisant, lui restitue toute sa puissance - soit l'inverse de Wall-E, d'emblée machine, humanisée par le soupir-affect.
Le singe César dit non, et son non n'a rien d'humain. Son non est un devenir-singe même si l'homme peut le dire aussi. Car le langage n'est pas une spécificité. On peut se l'approprier, le faire sien - mais il reste universel, et pas au sens de rassembleur. Le langage est cosmique.
La réussite de ce film tient avant tout à sa façon d'aborder le fatalisme. Fatalisme d'un prequel, et le titre le rappelle : on sait ce qu'il va se passer, il n'y aura pas d'issue. C'est sans conciliation possible, et Rupert Wyatt ne peut pas jouer sur le suspense d'une alternative, ni avancer l'hypothèse d'un autre monde possible. Une erreur a été commise, et les causes de la fin du règne humain ne peuvent être attribuées qu'à l'homme. Ce que les singes voient n'est pas une possibilité de prendre le pouvoir, mais une nécessité pure et simple. Il n'est d'ailleurs pas question de pouvoir ici, ni même de méchanceté ou de Mal, mais d'erreur. Les humains ont commis une erreur, et, d'une certaine manière, ils auraient pu en prévoir les conséquences. C'est donc un film plus noir que Melancholia, plus abrupt philosophiquement, puisqu'il fait le procès froid non d'un espoir, mais d'un souhait : comme si l'Homme avait cherché à disparaître. La fin du monde (ou du moins la fin de sa présence au monde), l'homme la détient en lui, comme mode d'être au monde, et c'est ce qu'il choisit. C'est ce vers quoi ses activités très organisées tendent. Il n'y a pas une scène qui ne soit pas d'urgence, et cette urgence, à chaque plan, est moins le signe d'un divertissement que celui d'une logique droite et sans appel. La brutalité numérique des singes révoltés investissant San Francisco et son gros pont rouge opte pour la ligne droite (ils traversent toits et bureaux à vitesse constante, seuls les dégâts causés changent), voire pour le trait, qui s'épaissit grâce au nombre improbable de singes convertis. La ligne est guerrière, le cercle est un affaiblissement : les singes prisonniers de l'arène sont sans force, et César efface le cercle qu'il a tracé sur le mur de sa cage. Car La planète des singes, les origines, aussi paradoxal que cela puisse paraître, est un film spectaculaire contre le spectacle. Ce qui vient après lui, c'est la poésie - celle du film désolé de Franklin J. Schaffner, celle de la verticalité retrouvée : l'être, après avoir dit non, est à sa juste hauteur, et la statue de la Liberté s'enlise sur une plage déserte (le clin d'oeil du prequel est attendu, mais malin - comme tout le film, prévisible mais fonceur).
L'autre grand éclat, plaçant le film à contre-courant de la majorité des productions hollywoodiennes, c'est son anti-paternalisme radical. Le père n'est pas sauvé, il est même carrément répudié, et le fils ne peut plus se réconcilier ; c'est trop tard : il diffère. Cela s'effectue à plusieurs niveaux.
D'une part entre James Franco et son père, qu'il aurait aimé sauver, mais non (la mort est une donnée invariable que l'homme ne supportera jamais). James Franco, en tant que fils, est lui-même incapable d'être père. C'est son père qui donnera un nom à l'enfant-singe. Plus tard seulement, après la mort de son père, James Franco comprendra qu'il est le vrai père de ce singe et qu'il faudra en payer les conséquences.
D'autre part entre James Franco et son patron, lequel, après avoir sermonné sévèrement son génial employé, tout en faisant preuve d'un certain laxisme mielleux à son égard, voudrait le racheter, mais non (l'opposition politique et éthique des deux est bien trop forte pour qu'il y ait une quelconque entente sur la situation présente).
Aussi dans le personnage du tortionnaire des singes, qui travaille pour son père, dans la prison folle que celui-ci a construite - le fils oeuvrant donc pour la perpétuation de la maladie du père. Le film s'acharne contre les cycles incestueux. Le singe presqu'homme (car joué par un homme) est, par extension, ce qu'il y a de plus sauvage en l'homme, et il est le seul à pouvoir venir à bout de la répétition infernale des mêmes erreurs.
Enfin, entre James Franco et le singe qu'il a élevé puis fait enfermer. James Franco lui ouvre la porte de sa cage et lui propose de revenir à la maison : c'est trop tard, le singe est blessé, il n'y aura pas de deuxième chance, il ne rentrera pas dessiner de jolis cercles sur les murs de sa chambre, il a d'autres plans, d'autres nécessités que la douceur. A la fin du film, James Franco retourne voir le singe enfui avec sa meute et tente un dernier coup de bluff à l'émotion filiale : la réaction du singe est nette, il parle désormais, et, fort de cette parole, est devenu autonome - sa maison est le monde.
Il faudrait dès lors distinguer 'humain' de 'être', car le film joue sur cette ambiguïté, autour de la notion de parole. Etre humain, c'est un truc qui est donné à tous les humains, qu'ils parlent ou pas. Mais être, simplement être, ça se devient. A travers la parole, donc, que les Américains adulent, adorent, la prêtant même à des souris qui s'appellent Mickey ou à des trucs verts qui s'appellent Schreck ou à des idiots faulknériens. Parole simple, "non", "i want to go home", "file-moi du fric", mais pleine d'enjeux philosophiques. E.T., parlant, ne devient pas un être humain - il s'affirme au contraire absolument comme être extraterrestre. Sa parole le déshumanise, et, le déshumanisant, lui restitue toute sa puissance - soit l'inverse de Wall-E, d'emblée machine, humanisée par le soupir-affect.
Le singe César dit non, et son non n'a rien d'humain. Son non est un devenir-singe même si l'homme peut le dire aussi. Car le langage n'est pas une spécificité. On peut se l'approprier, le faire sien - mais il reste universel, et pas au sens de rassembleur. Le langage est cosmique.
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