lundi 29 mars 2010

Les films rêvés - Eric Pauwels - festival du cinéma du réel #6

Les films rêvés, de Eric Pauwels

Résumé ainsi par le programme du festival : un jour, un homme, un cinéaste, fait un rêve : il rêve qu'il fait un film qui contiendrait tous les films qu'il a rêvé de faire.

En réalité, il s'agit d'un film à la fois encyclopédique et rêveur. Il contient un millier d'histoires, certaines sont seulement évoquées, d'autres commencent à être tournées puis ne donnent rien, d'autres encore l'ont été mais se retrouvent ici, mélangées aux autres, découpées, rattrapées de justesse. Le premier plan du film est une araignée tissant sa toile (se faisant une toile ?). Le film a cette forme, cette patience, cette ténuité.

Le cinéaste vit dans une petite maison bleue cachée derrière un jardin. Les grenouilles se collent aux fenêtres. Un enfant aussi. Il y a de la lumière, tard le soir, des bougies, des abats-jours. Dans cette maison il y a des livres, des images, des cartes postales, des lettres, des souvenirs, des bibelots, des dessins. Son film ressemble à cette maison. Dans le dernier plan, le cinéaste éteint toutes les lumières et souffle les bougies : la maison disparaît dans la nuit.

Eric Pauwels a un voisin qui passe quelque fois, qui s'appelle Jean-Marie, qui tremble beaucoup et qui dit des choses fabuleuses sur le cinéma et sur le paradis. Sur le cinéma : il ne faut pas recadrer les images, sinon tu blesses les gens que tu as filmés. Il sourit très largement chaque fois que Eric Pauwels veut faire un portrait de lui. Sur le paradis : tout le monde l'imagine, mais tout le monde est déçu, alors ça ne vaut pas la peine de s'en faire trop d'idées.

Aujourd'hui c'est Jean-Marie, autrefois c'était Jean Rouch qui passait souvent. Eric Pauwels lui demande ce qu'est le cinéma. Jean Rouch répond : c'est comme avec ton chien, tu lances quelque chose qu'il puisse te rapporter. Il appelle ça le potlatch.

Eric Pauwels n'a jamais cessé de lancer des choses, des désirs, des idées. Mais certaines ne sont pas revenues. Certaines se sont heurtées à l'impossible. Comme ce film qu'il commence à tourner avec Jean-Marie, mais Jean-Marie meurt. Ou ce documentaire qu'il voulait faire sur Jean Rouch, mais Jean Rouch est mort. Alors il filme ce qu'il reste d'eux. Il filme leurs âmes. Des nuées d'oiseaux au-dessus des arbres. Une collection de rails dans tous les coins du monde. Des petites figurines qu'il découpe et qu'il colle sur les poteaux autour de chez lui, et qu'il filme une fois que le temps les a rongées. Ou bien cette falaise, dont Jean Rouch lui parlait, qu'il se représente ainsi, sur la plage, comme un tout petit tas de sable, ne révélant la supercherie qu'à la fin. Il révèle toujours la supercherie : le mensonge ne vaut que pour l'humour qu'il génère.

Eric Pauwels ne voyage plus. Ce n'est plus la peine. Un ami à lui est parti faire le tour du monde en voilier et lui envoie des images de tous les endroits qu'il traverse. Il dit ceci : " si des images il y en a trop, des regards il en manque, et des histoires il en reste". Il évoque le dernier tableau de Gauguin, qui s'ennuyait ferme dans les îles, qui voulait rentrer en Europe, mais à qui on avait déconseillé de revenir, car alors tout le monde se serait moqué de lui. Son dernier tableau fut vendu aux enchères comme représentant les chutes du Niagara. On l'avait posé à l'envers. En vérité, il avait peint les toits enneigés de son village breton.

Un millier d'histoires, véridiques ou inventées, peu importe : Moitessier, le premier navigateur qui aurait pu remporter le Golden Globe s'il n'avait soudain refusé de rentrer en Europe ; Jeanne Barret, la première femme à avoir fait le tour du monde, déguisée en homme pour suivre son amant, puis démasquée au bout d'un an de voyage - il n'y a pas d'image d'elle, sauf celle d'une fleur, à laquelle son amant botaniste a donné son nom ; le faussaire Van Meegeren, qui avait vendu à l'Allemagne du troisième Reich un faux Vermeer, lequel n'avait pas été reconnu comme faux lors de son procès, ensuite, pour complicité avec l'ennemi, et qui peignit en prison un autre faux Vermeer pour finalement être acquitté ; ou encore cet Anglais qui plutôt que de partir à pied pour Jérusalem préféra parcourir la même distance autour de son château... Des lieux imaginaires ou pas, des aventuriers plus ou moins menteurs - avec tous ces voyages, Pauwels dessine une carte du monde très intime (sur du papier, ou bien sur une poire, ou encore dans son film rapiécé), qui n'appartient qu'à lui, au fil de ce qui l'a passionné, de ce à quoi il a consacré des parties de sa vie, pour comprendre, pour rêver.

Il y a aussi cet homme qu'il est allé filmer, et qui a vécu 18 ans dans un lieu inscrit sur aucune carte : un bagne au Maroc. 18 ans dans une cellule privée de la moindre lumière. Cet homme, pour ne pas perdre la vue, a fabriqué un petit miroir et l'a glissé, à l'aide d'une branche, à travers le conduit d'aération de sa cellule. Alors il a revu sa main, sa peau, son corps, et il pleurait de joie. Il y avait aussi un pigeon qui était venu le voir. Il avait renvoyé le pigeon à l'air libre. Mais le pigeon était revenu. Et il ne cessait de le libérer et le pigeon ne cessait de revenir près de lui. Une fois libre, il avait peur de se réveiller et de se rendre compte que sa liberté n'était qu'un rêve.

Tous les films manqués d'Eric Pauwels se retrouvent là, dans cette longue rêverie de trois heures, absolument passionnante par la générosité avec laquelle elle diffuse son savoir, et par la façon très douce, très tendre que le cinéaste a de nous donner des méthodes pour être au monde. C'est un film lumineux, où la moindre blague fait mouche, où tout se mélange selon une alchimie délirante et joyeuse - ainsi cette séquence où le cinéaste colle mille sons de sa radio à mille paysages qui n'ont rien à voir les uns avec les autres ; l'intuition le guide vers des correspondances sublimes, inattendues, précieuses. Il y a de la grâce qui passe dans ces images ultrarapides où le cinéaste poursuit avec sa caméra les feuilles qui tombent des arbres, tandis qu'on entend des enfants chanter. Il y a des plans que je n'oublierai jamais. Voir un film aussi nu, aussi peu prétentieux, aussi juste dans sa façon de relier le fond et la forme, pauvre de moyens mais riche d'une centaine de vies, est une chose rare. On a rarement regardé avec autant d'acuité et de fantaisie ce qui existe, ce qui n'existe pas, et ce que peut être la mort.

2 commentaires:

Gilles Arnaud a dit…

Bonjour c'est Gillou,

Je te/vous remercie pour cette présentation du film d'Eric Pauwels. J'avais entendu parler de cette immersion de trois heures, il y a de cela quelques années. Puis, comme un imbécile distrait, j'ai oublié.
Dans mon souvenir, je m'attendais à voir, expérimenter, ce que tu/vous décris/décrivez. Dans ce type d'appréhension, de désir, j'attends mon heure, en prenant le risque de passer à côté de moments précieux faits d'images en mouvements.
Je viens de commander le dvd.

J'ai suivi un lien de D&D, bien m'en a pris. Un beau lieu.

à bientôt
Gillou

asketoner a dit…

Merci Gillou ! Il n'y a pas d'heure pour Les films rêvés. A bientôt !