J'ai revu récemment Et la vie continue, de Abbas Kiarostami. Ce qui m'a le plus frappé, c'est la façon dont les personnages, malgré l'action, malgré l'intrigue, malgré ce qui leur arrive, ne cessent de négocier. D'un côté le père, négociant son chemin sur les routes endommagées, de l'autre le fils, persuadé que le match de la coupe du monde diffusé le soir du tremblement de terre opposait l'Ecosse au Brésil, et non l'Argentine, comme le prétend son père. Si Kiarostami parle du tremblement de terre, s'il parle de la détresse des survivants, il filme surtout la victoire d'un père sur une route pourtant interdite, et la victoire d'un fils sur son père ; rien de lourdement oedipien là-dedans, il s'agit seulement d'avoir raison, de franchir ce qui est infranchissable.
On voit cela souvent dans le cinéma iranien. Chez Kiarostami d'abord, dans Où est la maison de mon ami ?, quand le petit garçon explique à sa mère qu'avant de faire ses devoirs, il doit d'abord et avant tout rendre le cahier que par mégarde il a pris à son ami. Sa mère s'oppose à sa volonté. Il s'obstine. N'obtient l'accord de personne. Finit par s'affranchir de l'interdiction pour accomplir ce qui lui semble le plus juste et le plus nécessaire (et nous savons, nous, spectateurs, que l'enfant a absolument raison - il en va du destin de son ami et de l'injustice à laquelle il serait confronté si le cahier ne lui était pas rendu).
Chez Jafar Panahi également, dans Hors-jeu, quand un groupe de jeunes filles passent une heure trente à tenter d'assister à un match de football, malgré les interdictions qui s'opposent à elles.
Et aussi dans le récent A propos d'Elly, de Asghar Farhadi, où chacun a son avis sur la manière d'annoncer à quelqu'un la disparition de sa petite amie. Le problème est sérieux mais ne trouve pas de consensus. Tous les détails sont soumis à la discussion. Il n'y a rien de général dans la façon que chacun a d'envisager le monde. (à suivre)
On voit cela souvent dans le cinéma iranien. Chez Kiarostami d'abord, dans Où est la maison de mon ami ?, quand le petit garçon explique à sa mère qu'avant de faire ses devoirs, il doit d'abord et avant tout rendre le cahier que par mégarde il a pris à son ami. Sa mère s'oppose à sa volonté. Il s'obstine. N'obtient l'accord de personne. Finit par s'affranchir de l'interdiction pour accomplir ce qui lui semble le plus juste et le plus nécessaire (et nous savons, nous, spectateurs, que l'enfant a absolument raison - il en va du destin de son ami et de l'injustice à laquelle il serait confronté si le cahier ne lui était pas rendu).
Chez Jafar Panahi également, dans Hors-jeu, quand un groupe de jeunes filles passent une heure trente à tenter d'assister à un match de football, malgré les interdictions qui s'opposent à elles.
Et aussi dans le récent A propos d'Elly, de Asghar Farhadi, où chacun a son avis sur la manière d'annoncer à quelqu'un la disparition de sa petite amie. Le problème est sérieux mais ne trouve pas de consensus. Tous les détails sont soumis à la discussion. Il n'y a rien de général dans la façon que chacun a d'envisager le monde. (à suivre)
2 commentaires:
contestations et négociations dans le cinéma iranien
oui, d'accord avec ton approche - c'est pertinent, cela pourrait aisément faire l'objet d'une analyse poussée.
tu évoques hors-jeu à juste titre ! La négociation, c'est le thème panahien par excellence. Dans le ballon blanc ( le meilleur film de panahi - enfin, mon préféré), scénarisé par Kiarostami (tiens, tiens...), tu retrouves la victoire de "l'enfant". La petite fille fait preuve d'une pugnacité instinctive, et use de toute son innocence pour arriver à ses fins, on pourrait presque dire qu'il s'agit un axe d'éducation prioritaire, typiquement iranien ! Dans Le cercle et dans Sang et or (encore Kiarostami au scénar !), il est fortement question de franchir l'infranchissable comme tu dis. C'est également le sujet principal de La pomme de Samira Makhmalbaf, où l'assistante sociale et le père indigne ne cessent de vouloir imposer leur point de vue, et on quand on fait mine de céder à l'autre, on transgresse dès qu'il a le dos tourné. Dans le Temps pour l'ivresse des chevaux et les Tortues volent aussi, les enfants composent constamment avec les adultes, et transgressent. Mais comment pourrait-il en être autrement dans ce pays qui vit dans l'oppression et le conflit depuis quatre décennies ? L'art est le refuge des révoltés...Sujet passionnant.
Je voulais te dire aussi que j'ai lu très attentivement tous tes rapports sur les films de Werner Herzog, un très très beau voyage que tu as fait là. Tu m'as définitivement convaincu de compléter le mien ! J'ai déjà vu Rescue Dawn, Grizzly Man, Invicible, Ennemis intimes, Nosferatu, Coeur de verre et L'énigme de Kaspar Hauser (que j'adore énormément, il serait probablement dans un top cent si j'en faisais un)...J'ai très très hâte de découvrir ses documentaires. bon allez, a+
Je ne me souvenais plus du tout de l'histoire de La pomme, et je me demandais justement s'il n'était pas aussi question de ça dans ce film. Ce n'est donc pas un principe seulement kiarostamien, c'est quelque chose de plus largement iranien, donc. C'est superbe, surtout quand tu vois que les premiers films de Kiarostami ont été produits par l'institut pour le développement intellectuel et moral de l'enfant et de l'adolescent. Jamais de consensus, toujours l'intuition. Kiarostami est un cinéaste que je rapprocherai volontiers de Spinoza.
Herzog, oui, ça a été (ça l'est toujours) un grand moment dans ma vie. J'ai adoré découvrir ses films. Ils tombaient parfaitement bien. Ils posaient différemment des questions que moi aussi je me posais.
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