La deuxième saillie de Blue Velvet, après le gag de l’arroseur arrosé foudroyé, nous met en garde : n’écoutez pas. Une oreille a été trouvée dans l’herbe, arrachée. Quel organe reste au cinéma ? L’œil – nous sommes de l’autre côté du Chien Andalou* – et maintenant voyez. Voir est une action. Le cinéma de David Lynch est celui d’un bonimenteur malade, qui met notre œil en appétit en découpant une oreille, qui place dans ses plans des figures improbables pour éclairer la figure centrale, qui pose un drap sur la tête d’un homme-éléphant et joue avec son ombre pendant trente minutes avant de nous le présenter, crûment ou presque, brutalement en tout cas, puisque son vrai visage n'apparaît d'abord que mis en scène dans une sombre histoire de soubrette apportant sa pitance au chevet de celui que tout le monde craint et que tout le monde désire. C’est donc un cinéma qui attire l’œil, le dilate, et puis lui fait subir des saillies prodigieuses telles qu’il n’en attend plus.
Voir est une ligne séparant deux espaces : d’un côté il y a l’invisible, l’inimaginable, l’interdit (qui est bien sûr la première chose qu’on voit, qu’on imagine, et vers laquelle on va) – on pourrait parler de pôle positif ; de l’autre il y a la réserve, la peur, l’effroi – pôle négatif : les deux s’aimantent, et si voir les sépare, voir les réunit également car, si l’invisible finalement vu crée de l’effroi, c’est peut-être aussi l’effroi qui tenait invisible ce qu’on a finalement vu**. Voir l’œuf et voir la poule, et se tenir sur cette ligne du voir, entre l’œuf et la poule, au temps présent, et dans la confusion des origines et des fins, dans l’échec à comprendre ce qui est cause et ce qui est conséquence, dans ce lieu où les images se succèdent hors-logique, selon des associations non explicatives mais jamais dénuées de sens. Jeffrey ne sait plus pourquoi il est dans le placard de Dorothy – l’est-il parce qu’il la désire, ou bien parce qu’il craint Franck ? Désire-t-il Franck, craint-il Dorothy ? Et cette jeune fille qui l’attend dans la voiture au bas de l’immeuble, pourquoi n’est-il pas avec elle ? A-t-il peur de son amour ? Mais son amour est né parce qu’elle l’accompagnait dans ses recherches, alors continue-t-il ses recherches parce qu’il veut continuer de la désirer ? C’est toute une mécanique du désir qui se met en place.
De la même manière que Blue Velvet, Elephant Man jette un trouble sur les causes et les conséquences. John Merrick, l’homme-éléphant, est-il à l’hôpital parce qu’il craint la roulotte foraine ou parce qu’il aime le médecin mieux que le bonimenteur qui le frappe ? Ou bien est-il à l’hôpital parce qu’il aimait tellement le bonimenteur qu’il s’est laissé frapper par lui ? Et quelle est la différence fondamentale de regard entre celui que portent sur lui les scientifiques émerveillés par son corps inguérissable et celui des badauds qui veulent connaître le frisson de leur vie ? Tous paient la même somme, tous se tiennent sur la même ligne de jonction/démarcation. Mais, dans un cas, l’homme-éléphant meurt jeune, tandis que dans l’autre il vit un peu plus longtemps (et peut donc rapporter plus car être exploité plus longtemps). Est-ce que c’est la façon dont on traite l’objet du désir qui change la nature de ce désir ? Et est-ce qu’un même objet n’induit qu’un seul et même désir ? Il semble bien pour Lynch que Elephant Man ait ouvert, malgré sa facture classique un peu corsetée, tout un pan de réflexion sur le cinéma, en répondant aux questions que le scénario, habile, posait, et en y répondant de façon très deleuzienne : il n’y a pas d’objet de désir, il n’y a que des agencements. Ce ne sont pas les objets qu’on désire, mais bien la façon dont on va les comprendre et les retourner, et les intégrer à une vision globale.
De part et d’autre de la ligne du voir, il y a l’affect et il y a la mise en scène. Le cinéma de David Lynch n’est ni l’un ni l’autre. Le cinéma est cet espace divisé où voir est rendu nécessaire. Ni affect ni mise en scène ne suffisent : il faut, pour le cinéaste, tracer aussi une ligne sur laquelle le spectateur puisse se tenir. On dit de Lynch qu’il est doté d’un imaginaire fort. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire qu’il dispose, dans ses films, des figures dont les spectateurs peuvent s’emparer. Je connais beaucoup de gens qui, après avoir vu un film de Lynch, ont rêvé d’un des personnages du film. Or cela ne tient pas, je crois, aux figures elles-mêmes (un bonhomme aux lèvres trop rouges avec un caméscope à la main, ou une femme qui fait danser ses yeux globuleux, ce n’est finalement pas grand-chose), mais bien à la façon dont David Lynch rend possible l’appropriation de ces figures : le spectateur les ramène à la maison, et les dispose dans son délire à lui, dans son désir. Le cinéma de David Lynch, s’il joue, en effet, sur les codes de l’imaginaire, est avant toute chose érotique, au sens où il se dissémine.***
Aller vers l’érotisme, c’est investir l’effroi. Prendre part à l’horreur : tel est l’apprentissage des héros lynchiens, si bons et si purs que le moindre dérèglement les bouleverse. Laura Dern ne verra plus jamais les rouge-gorge comme de simples symboles : ils ont dans le bec des vers qui se trémoussent avant d’être engloutis. Alors l’amour qu’ils symbolisent est entaché d’une cruauté acceptée, cruauté qui est la condition-même du désir. L’homme-éléphant est quant à lui tellement gentil, tellement incapable de la moindre cruauté, qu’il se retrouve incapable du moindre désir, sauf s'il est poussé dans ses retranchements, poursuivi par des enfants dans des pissotières londoniennes, ou au seuil de sa vie face à une cathédrale en carton qu’il a construite parce qu’il n’en voyait pas la totalité depuis la fenêtre de sa chambre. On en vient même à se demander si la cause de sa difformité n’est pas précisément une incapacité à se défaire d’un fantasme de pureté, à aller au-delà d'une déception fondamentale ("alors la vie c'est ça ?"). Aussi le monstre est-il d’autant plus monstrueux qu’il essaie de ne pas l’être et se heurte sans cesse à l’impossibilité d’éprouver quoi que ce soit d’efficace pour investir cette vie, ce monde, ce temps. Le monstre est celui qui ne nous désire pas, qui ne nous comprend pas dans son désir. Qu’on mette face à lui un miroir, et on lui fera alors la pire offense qui soit : il réalisera brusquement qu’il n’arrivera à rien, puisqu’il ne peut se voir et s’accorder aux quelques petites choses de ce monde qui lui plaisent. Il est exclu de son propre désir, exclu de tout miroir, comme le vampire, comme la plupart des monstres.
Il faut dire qu’il y a un terrorisme du désir (au même titre qu’il y a un terrorisme du réel, et désir et réel ont, pour Lynch, tout à voir, comme l’érotisme et la normalité, comme le bonheur et la conformité). L’invisible est très vite atteint. Qu’il s’agisse de Dorothy Vallens ou de John Merrick, de la pute ou de l’éléphant, on entre dans la chambre de la première aussi facilement que dans celle du second. L’un comme l’autre ont cette particularité de détourner en direction de leur personne tout un monde, voire plusieurs qui s’affrontent. Ils donnent l’impression d’être cause et conséquence de toutes les violences, de toutes les cruautés. Si bien que David Lynch n’a plus qu’à esquisser les mouvements de ces mondes : personnages ivres que l’ivresse a figés, tête de mashmallow et voix de démon, femme et bûche, monosourcil et béquille, autant d’associations/dissociations que l’image incorpore sans pour autant définir leur rôle. Nul besoin. La présence de ces êtres n’intéresse qu’en tant qu’elle désigne le début d’un monde désirant, les premières formations d’un désir, comme des incitations à les prolonger. Cette image d’un camion chargé de bûches passant devant un diner n’est désirable que parce qu’elle est prise dans un ensemble ; ce petit spectacle scintillant auquel assiste l’homme-éléphant n’est soutenable que parce qu’il est un élément au sein d’un tout dont le spectateur hérite. L’incomplétude, que Lynch développera plus encore dans les films suivants, sera, après la saillie, le deuxième mouvement de son cinéma. C’est à une drôle de transformation que nous avons assisté avec ce cinéaste : de films en forme de bite, durs et giclants, brusques et pénétrants, nous avons peu à peu glissé vers des films très ouverts, très humides et pleins de vagues étranges et lentes ; nous sommes pourtant restés sur cette même ligne : c’est sans doute qu’elle fait se rejoindre, outre l’invisible et l’effroi, ou l’affect et la mise en scène, les genres, les sexes.
*L’oreille coupée contre l’œil tranché du Chien Andalou : le cinéma de David Lynch est-il une alternative au surréalisme ? Un prolongement ? Le drap sur la tête de l'homme-éléphant appelle-t-il celui des amants de Magritte ?
**Voir est donc une action, mais celle-ci génère du statisme, c’est-à-dire un état, lequel contribue à l’action – en effet quoi de plus utile au délire érotique qu’un public ? Si voir est une action statique, l’état du voyeur est actif – et même son statisme l’est, dans le sens où il participe à l’action : que l’homme-éléphant vienne assister à la représentation d’une pièce de théâtre donne du sens, et donc une cause, à la représentation de cette pièce (« nous jouons pour l’homme-éléphant », dit approximativement l’actrice émue, au point que le public se lève et se tourne vers le spectateur singulier comme s’il était lui-même le spectacle du soir) ; de la même façon, dans Blue Velvet, que Jeffrey Beaumont soit caché dans le placard de Dorothy Vallens tandis que Franck Booth ordonne à celle-ci de ne pas le regarder, et qu’elle le sache, donne aux yeux fermés de Dorothy une valeur érotique supplémentaire : elle peut se laisser aller totalement à la démence de son amant, puisque quelqu’un voit pour elle (comme si elle avait mis sa conscience de côté).
*** Et il est lui-même le résultat d'une dissémination. En effet il y a sans doute beaucoup de Fenêtre sur Cour dans Blue Velvet. Et Hitchcock et Lynch ont ceci en commun d’avoir moins cherché à montrer comment ils prennent du plaisir qu’à placer les spectateurs au sein d’un dispositif, assez rigide, où ceux-ci peuvent encore désirer parce qu'on ne cherche pas à leur faire croire qu’ils ne sont pas au cinéma et qu’ils vont bientôt toucher les seins de la star alors que c'est une autre star qui les touchera. Hitchcock et Lynch ne se masturbent jamais devant les spectateurs, mais ils mettent devant les yeux de ceux-ci des images, des situations, des figures et des émotions qu’ils vont vouloir former et éprouver à leur tour, à leur manière, et quand ils veulent. Aussi les films de David Lynch ne cherchent-ils pas à attirer à eux le désir présupposé du spectateur en le déterminant, mais bien à se laisser traverser par ce désir quel qu'il soit, voire à le susciter - ce qui donne lieu, évidemment, à de nombreux malentendus (le cas Inland Empire est en ce sens frappant).
Voir est une ligne séparant deux espaces : d’un côté il y a l’invisible, l’inimaginable, l’interdit (qui est bien sûr la première chose qu’on voit, qu’on imagine, et vers laquelle on va) – on pourrait parler de pôle positif ; de l’autre il y a la réserve, la peur, l’effroi – pôle négatif : les deux s’aimantent, et si voir les sépare, voir les réunit également car, si l’invisible finalement vu crée de l’effroi, c’est peut-être aussi l’effroi qui tenait invisible ce qu’on a finalement vu**. Voir l’œuf et voir la poule, et se tenir sur cette ligne du voir, entre l’œuf et la poule, au temps présent, et dans la confusion des origines et des fins, dans l’échec à comprendre ce qui est cause et ce qui est conséquence, dans ce lieu où les images se succèdent hors-logique, selon des associations non explicatives mais jamais dénuées de sens. Jeffrey ne sait plus pourquoi il est dans le placard de Dorothy – l’est-il parce qu’il la désire, ou bien parce qu’il craint Franck ? Désire-t-il Franck, craint-il Dorothy ? Et cette jeune fille qui l’attend dans la voiture au bas de l’immeuble, pourquoi n’est-il pas avec elle ? A-t-il peur de son amour ? Mais son amour est né parce qu’elle l’accompagnait dans ses recherches, alors continue-t-il ses recherches parce qu’il veut continuer de la désirer ? C’est toute une mécanique du désir qui se met en place.
De la même manière que Blue Velvet, Elephant Man jette un trouble sur les causes et les conséquences. John Merrick, l’homme-éléphant, est-il à l’hôpital parce qu’il craint la roulotte foraine ou parce qu’il aime le médecin mieux que le bonimenteur qui le frappe ? Ou bien est-il à l’hôpital parce qu’il aimait tellement le bonimenteur qu’il s’est laissé frapper par lui ? Et quelle est la différence fondamentale de regard entre celui que portent sur lui les scientifiques émerveillés par son corps inguérissable et celui des badauds qui veulent connaître le frisson de leur vie ? Tous paient la même somme, tous se tiennent sur la même ligne de jonction/démarcation. Mais, dans un cas, l’homme-éléphant meurt jeune, tandis que dans l’autre il vit un peu plus longtemps (et peut donc rapporter plus car être exploité plus longtemps). Est-ce que c’est la façon dont on traite l’objet du désir qui change la nature de ce désir ? Et est-ce qu’un même objet n’induit qu’un seul et même désir ? Il semble bien pour Lynch que Elephant Man ait ouvert, malgré sa facture classique un peu corsetée, tout un pan de réflexion sur le cinéma, en répondant aux questions que le scénario, habile, posait, et en y répondant de façon très deleuzienne : il n’y a pas d’objet de désir, il n’y a que des agencements. Ce ne sont pas les objets qu’on désire, mais bien la façon dont on va les comprendre et les retourner, et les intégrer à une vision globale.
De part et d’autre de la ligne du voir, il y a l’affect et il y a la mise en scène. Le cinéma de David Lynch n’est ni l’un ni l’autre. Le cinéma est cet espace divisé où voir est rendu nécessaire. Ni affect ni mise en scène ne suffisent : il faut, pour le cinéaste, tracer aussi une ligne sur laquelle le spectateur puisse se tenir. On dit de Lynch qu’il est doté d’un imaginaire fort. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire qu’il dispose, dans ses films, des figures dont les spectateurs peuvent s’emparer. Je connais beaucoup de gens qui, après avoir vu un film de Lynch, ont rêvé d’un des personnages du film. Or cela ne tient pas, je crois, aux figures elles-mêmes (un bonhomme aux lèvres trop rouges avec un caméscope à la main, ou une femme qui fait danser ses yeux globuleux, ce n’est finalement pas grand-chose), mais bien à la façon dont David Lynch rend possible l’appropriation de ces figures : le spectateur les ramène à la maison, et les dispose dans son délire à lui, dans son désir. Le cinéma de David Lynch, s’il joue, en effet, sur les codes de l’imaginaire, est avant toute chose érotique, au sens où il se dissémine.***
Aller vers l’érotisme, c’est investir l’effroi. Prendre part à l’horreur : tel est l’apprentissage des héros lynchiens, si bons et si purs que le moindre dérèglement les bouleverse. Laura Dern ne verra plus jamais les rouge-gorge comme de simples symboles : ils ont dans le bec des vers qui se trémoussent avant d’être engloutis. Alors l’amour qu’ils symbolisent est entaché d’une cruauté acceptée, cruauté qui est la condition-même du désir. L’homme-éléphant est quant à lui tellement gentil, tellement incapable de la moindre cruauté, qu’il se retrouve incapable du moindre désir, sauf s'il est poussé dans ses retranchements, poursuivi par des enfants dans des pissotières londoniennes, ou au seuil de sa vie face à une cathédrale en carton qu’il a construite parce qu’il n’en voyait pas la totalité depuis la fenêtre de sa chambre. On en vient même à se demander si la cause de sa difformité n’est pas précisément une incapacité à se défaire d’un fantasme de pureté, à aller au-delà d'une déception fondamentale ("alors la vie c'est ça ?"). Aussi le monstre est-il d’autant plus monstrueux qu’il essaie de ne pas l’être et se heurte sans cesse à l’impossibilité d’éprouver quoi que ce soit d’efficace pour investir cette vie, ce monde, ce temps. Le monstre est celui qui ne nous désire pas, qui ne nous comprend pas dans son désir. Qu’on mette face à lui un miroir, et on lui fera alors la pire offense qui soit : il réalisera brusquement qu’il n’arrivera à rien, puisqu’il ne peut se voir et s’accorder aux quelques petites choses de ce monde qui lui plaisent. Il est exclu de son propre désir, exclu de tout miroir, comme le vampire, comme la plupart des monstres.
Il faut dire qu’il y a un terrorisme du désir (au même titre qu’il y a un terrorisme du réel, et désir et réel ont, pour Lynch, tout à voir, comme l’érotisme et la normalité, comme le bonheur et la conformité). L’invisible est très vite atteint. Qu’il s’agisse de Dorothy Vallens ou de John Merrick, de la pute ou de l’éléphant, on entre dans la chambre de la première aussi facilement que dans celle du second. L’un comme l’autre ont cette particularité de détourner en direction de leur personne tout un monde, voire plusieurs qui s’affrontent. Ils donnent l’impression d’être cause et conséquence de toutes les violences, de toutes les cruautés. Si bien que David Lynch n’a plus qu’à esquisser les mouvements de ces mondes : personnages ivres que l’ivresse a figés, tête de mashmallow et voix de démon, femme et bûche, monosourcil et béquille, autant d’associations/dissociations que l’image incorpore sans pour autant définir leur rôle. Nul besoin. La présence de ces êtres n’intéresse qu’en tant qu’elle désigne le début d’un monde désirant, les premières formations d’un désir, comme des incitations à les prolonger. Cette image d’un camion chargé de bûches passant devant un diner n’est désirable que parce qu’elle est prise dans un ensemble ; ce petit spectacle scintillant auquel assiste l’homme-éléphant n’est soutenable que parce qu’il est un élément au sein d’un tout dont le spectateur hérite. L’incomplétude, que Lynch développera plus encore dans les films suivants, sera, après la saillie, le deuxième mouvement de son cinéma. C’est à une drôle de transformation que nous avons assisté avec ce cinéaste : de films en forme de bite, durs et giclants, brusques et pénétrants, nous avons peu à peu glissé vers des films très ouverts, très humides et pleins de vagues étranges et lentes ; nous sommes pourtant restés sur cette même ligne : c’est sans doute qu’elle fait se rejoindre, outre l’invisible et l’effroi, ou l’affect et la mise en scène, les genres, les sexes.
*L’oreille coupée contre l’œil tranché du Chien Andalou : le cinéma de David Lynch est-il une alternative au surréalisme ? Un prolongement ? Le drap sur la tête de l'homme-éléphant appelle-t-il celui des amants de Magritte ?
**Voir est donc une action, mais celle-ci génère du statisme, c’est-à-dire un état, lequel contribue à l’action – en effet quoi de plus utile au délire érotique qu’un public ? Si voir est une action statique, l’état du voyeur est actif – et même son statisme l’est, dans le sens où il participe à l’action : que l’homme-éléphant vienne assister à la représentation d’une pièce de théâtre donne du sens, et donc une cause, à la représentation de cette pièce (« nous jouons pour l’homme-éléphant », dit approximativement l’actrice émue, au point que le public se lève et se tourne vers le spectateur singulier comme s’il était lui-même le spectacle du soir) ; de la même façon, dans Blue Velvet, que Jeffrey Beaumont soit caché dans le placard de Dorothy Vallens tandis que Franck Booth ordonne à celle-ci de ne pas le regarder, et qu’elle le sache, donne aux yeux fermés de Dorothy une valeur érotique supplémentaire : elle peut se laisser aller totalement à la démence de son amant, puisque quelqu’un voit pour elle (comme si elle avait mis sa conscience de côté).
*** Et il est lui-même le résultat d'une dissémination. En effet il y a sans doute beaucoup de Fenêtre sur Cour dans Blue Velvet. Et Hitchcock et Lynch ont ceci en commun d’avoir moins cherché à montrer comment ils prennent du plaisir qu’à placer les spectateurs au sein d’un dispositif, assez rigide, où ceux-ci peuvent encore désirer parce qu'on ne cherche pas à leur faire croire qu’ils ne sont pas au cinéma et qu’ils vont bientôt toucher les seins de la star alors que c'est une autre star qui les touchera. Hitchcock et Lynch ne se masturbent jamais devant les spectateurs, mais ils mettent devant les yeux de ceux-ci des images, des situations, des figures et des émotions qu’ils vont vouloir former et éprouver à leur tour, à leur manière, et quand ils veulent. Aussi les films de David Lynch ne cherchent-ils pas à attirer à eux le désir présupposé du spectateur en le déterminant, mais bien à se laisser traverser par ce désir quel qu'il soit, voire à le susciter - ce qui donne lieu, évidemment, à de nombreux malentendus (le cas Inland Empire est en ce sens frappant).
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