Il y a de belles choses dans le dernier film de Rabah Ameur-Zaïmeche, mais il n'y en a pas que des belles.
Il y a, c'est évident, le désir de dire quelque chose de politique, de représenter un autre monde, celui des bandits de grands chemins, flibustiers du réel, pirates de l'Histoire de France, et de faire des ponts avec le présent. Mais cela se réduit trop souvent à une série de postures. Tout est trop évanescent, cadrages, durées, corps, couleurs, tout cela est laissé au hasard - et le hasard ne fait pas l'anarchie, mais plutôt le brouillon - pas le désordre, mais le jugement. Le film n'est traversé par aucune nécessité : il affiche sa couleur et s'en contente. En fait, il y a peu de cinéma. On a plutôt l'impression d'assister à la réunion d'une bande de potes d'extrême-gauche - on connaît bien ces réunions, ce n'est pas là qu'on fait la révolution. Par contre, on y vide quelques bouteilles. Mais RAZ a caché les bouteilles et les fumigènes, il ne veut pas parler d'amitié, il veut parler d'une bande, il veut faire trembler la Terre comme il croit qu'il le fait le vendredi soir au café.
Une forme d'esprit de sérieux plombe le film : ce poids sur chaque mot, chaque geste -
" - Vous campez depuis longtemps ?
- Depuis que nous sommes nés." -
comme si Rabah Ameur-Zaïmeche se croyait seule conscience de gauche du cinéma français. Cette conscience se pare d'atours XVIIème siècle. Jamais le trivial ne se mêle à tout ça. La matière est noble, trop sans doute, Pasolini l'avait compris, on est loin de son cinéma, loin de sa puissance. La musique très cool peine à palier aux faux-rythmes incessants du film, à son esthétique aléatoire, à son jeu d'acteurs épouvantable. Finalement, ce sont les mêmes fêtes qu'à droite, mais pas la même musique qu'on écoute, ni les mêmes noms qu'on cite ("Voltaire : excellent choix!"). Tout est pose, et Mandrin n'est rien de plus qu'une autre idole, une idole bon ton, un Papa meilleur que les Papas des autres.
La viscosité formelle du film devrait relever d'une anarchie de fond : elle met en lumière la paresse à l'oeuvre. Les chants de Mandrin ne sont bons que dès lors qu'ils se contentent de produire des images, les voleurs venant de la forêt et passant par la fenêtre dans la pénombre d'une maison abandonnée, les chevaux dans le soleil, la barricade dressée devant le spectateur... RAZ constitue des figures esthétiques quasi-publicitaires, mais c'est seulement là qu'il excelle, finalement. Les corps mous sont guindés. Que font les acteurs, si ce n'est correspondre (plus par leur gueule que par leur corps, d'ailleurs - comme chez Audiard père) à des présupposés ? Jean-Luc Nancy et Jacques Nolot ont été rameutés : ils estampillent RAZ, on entend retentir le "il est des nôtres" des pochtrons fiers d'être ce qu'ils sont, c'est de la reconnaissance, mais certainement pas du collectif : de l'entre-soi. Cette façon qu'a RAZ de toiser le nouveau venu Nolot en lui tournant autour avec son cheval qu'il ne sait pas monter est invraisemblablement puérile. Le spectateur est accueilli de la même façon : suspect d'abord, puis assimilé. Le ralliement ne fait pas le cinéma.
A un moment du film, RAZ nous montre deux régimes de travail (l'imprimeur et son ouvrier, puis le général et son soldat) face à un même objet (le livre de Mandrin). L'imprimeur dit à son ouvrier qu'il sait celui-ci fier de publier un tel livre (ce qui laisse à penser qu'il l'a lu et qu'il approuve son propos) ; le général dit à son soldat de brûler les livres et préfère qu'il ne sache pas de quoi il s'agit. D'un côté, on a une hiérarchie de la connaissance, de l'autre, une hiérarchie préservant l'ignorance. Malgré tout, c'est le même rapport : le patron a la parole, l'ouvrier se tait. Comme RAZ, qui ne cesse de se filmer, de se donner les meilleures répliques, dans sa bande de voleurs soi-disant sans chef. Les femmes, quant à elles, ne parlent qu'une fois, et c'est pour dire merci parce qu'on les déshabille.
Il y a, dans Les chants de Mandrin, une suffisance un peu pénible, quelque chose de très fermé et très dans l'air du temps, et qui n'invente rien. C'est, finalement, un film capitaliste : un film qui fait état de sa culture comme d'un patrimoine. La première question à se poser, quand on fait un tel film, n'est peut-être pas "qui sont les grandes figures révolutionnaires ?", mais "qu'est-ce qu'un corps révolutionnaire ?" Rarement des personnages à la conscience soi-disant si éveillée ne m'ont paru si endormis.
Il y a, c'est évident, le désir de dire quelque chose de politique, de représenter un autre monde, celui des bandits de grands chemins, flibustiers du réel, pirates de l'Histoire de France, et de faire des ponts avec le présent. Mais cela se réduit trop souvent à une série de postures. Tout est trop évanescent, cadrages, durées, corps, couleurs, tout cela est laissé au hasard - et le hasard ne fait pas l'anarchie, mais plutôt le brouillon - pas le désordre, mais le jugement. Le film n'est traversé par aucune nécessité : il affiche sa couleur et s'en contente. En fait, il y a peu de cinéma. On a plutôt l'impression d'assister à la réunion d'une bande de potes d'extrême-gauche - on connaît bien ces réunions, ce n'est pas là qu'on fait la révolution. Par contre, on y vide quelques bouteilles. Mais RAZ a caché les bouteilles et les fumigènes, il ne veut pas parler d'amitié, il veut parler d'une bande, il veut faire trembler la Terre comme il croit qu'il le fait le vendredi soir au café.
Une forme d'esprit de sérieux plombe le film : ce poids sur chaque mot, chaque geste -
" - Vous campez depuis longtemps ?
- Depuis que nous sommes nés." -
comme si Rabah Ameur-Zaïmeche se croyait seule conscience de gauche du cinéma français. Cette conscience se pare d'atours XVIIème siècle. Jamais le trivial ne se mêle à tout ça. La matière est noble, trop sans doute, Pasolini l'avait compris, on est loin de son cinéma, loin de sa puissance. La musique très cool peine à palier aux faux-rythmes incessants du film, à son esthétique aléatoire, à son jeu d'acteurs épouvantable. Finalement, ce sont les mêmes fêtes qu'à droite, mais pas la même musique qu'on écoute, ni les mêmes noms qu'on cite ("Voltaire : excellent choix!"). Tout est pose, et Mandrin n'est rien de plus qu'une autre idole, une idole bon ton, un Papa meilleur que les Papas des autres.
La viscosité formelle du film devrait relever d'une anarchie de fond : elle met en lumière la paresse à l'oeuvre. Les chants de Mandrin ne sont bons que dès lors qu'ils se contentent de produire des images, les voleurs venant de la forêt et passant par la fenêtre dans la pénombre d'une maison abandonnée, les chevaux dans le soleil, la barricade dressée devant le spectateur... RAZ constitue des figures esthétiques quasi-publicitaires, mais c'est seulement là qu'il excelle, finalement. Les corps mous sont guindés. Que font les acteurs, si ce n'est correspondre (plus par leur gueule que par leur corps, d'ailleurs - comme chez Audiard père) à des présupposés ? Jean-Luc Nancy et Jacques Nolot ont été rameutés : ils estampillent RAZ, on entend retentir le "il est des nôtres" des pochtrons fiers d'être ce qu'ils sont, c'est de la reconnaissance, mais certainement pas du collectif : de l'entre-soi. Cette façon qu'a RAZ de toiser le nouveau venu Nolot en lui tournant autour avec son cheval qu'il ne sait pas monter est invraisemblablement puérile. Le spectateur est accueilli de la même façon : suspect d'abord, puis assimilé. Le ralliement ne fait pas le cinéma.
A un moment du film, RAZ nous montre deux régimes de travail (l'imprimeur et son ouvrier, puis le général et son soldat) face à un même objet (le livre de Mandrin). L'imprimeur dit à son ouvrier qu'il sait celui-ci fier de publier un tel livre (ce qui laisse à penser qu'il l'a lu et qu'il approuve son propos) ; le général dit à son soldat de brûler les livres et préfère qu'il ne sache pas de quoi il s'agit. D'un côté, on a une hiérarchie de la connaissance, de l'autre, une hiérarchie préservant l'ignorance. Malgré tout, c'est le même rapport : le patron a la parole, l'ouvrier se tait. Comme RAZ, qui ne cesse de se filmer, de se donner les meilleures répliques, dans sa bande de voleurs soi-disant sans chef. Les femmes, quant à elles, ne parlent qu'une fois, et c'est pour dire merci parce qu'on les déshabille.
Il y a, dans Les chants de Mandrin, une suffisance un peu pénible, quelque chose de très fermé et très dans l'air du temps, et qui n'invente rien. C'est, finalement, un film capitaliste : un film qui fait état de sa culture comme d'un patrimoine. La première question à se poser, quand on fait un tel film, n'est peut-être pas "qui sont les grandes figures révolutionnaires ?", mais "qu'est-ce qu'un corps révolutionnaire ?" Rarement des personnages à la conscience soi-disant si éveillée ne m'ont paru si endormis.
3 commentaires:
J'étais également sans a-priori, bien que j'aie vu 2 autres films de ce cinéaste - mais je ne m'étais toujours pas fait d'opinion précise quant à son cinéma. A vrai dire je n'ai toujours pas d'opinion, j'attends que le cinéma arrive.
Et je ne suis pas certain que les idées du film aillent si fondamentalement contre celles du pouvoir. Au contraire, il est toujours question de la même chose : on regarde la France toujours de la même hauteur, que ce soit celle d'un trône ou celle d'une potence.
Je ne partage pas votre avis sur le jeu des acteurs, mais c'est presque un détail. "Dernier maquis" est un film qui m'avait donné l'envie très forte de découvrir le travail de RAZ que je ne connaissais pas encore. Et ce qui me trouble finalement est que ce dernier film n'en est pas tellement éloigné : pourtant l'un me semble trouver son point d'équilibre, et l'autre pas du tout (je souscris à pratiquement tout ce que vous pointez, en "enviant" une nouvelle fois votre précision).
Un côté "Canada dry" pour moi, en quelque sorte. Quelque chose de très triste et d'un peu écoeurant.
Je reste intrigué par le travail avec Jacques Nolot, qui est comme un autre monde en lui-même, et je trouve que sa présence fonctionne très bien, que cela produit des choses, notamment dans la scène finale (en excluant sa toute fin). Enfin, c'est avec ce côté-là que je garde un espoir de voir ce cinéma se "relever". Je suis bien conscient que plein de gens trouvent ce film formidable, mais à ce jour, pour moi, il est presque plus grave qu'un simple (et bien normal) ratage.
C'était assez douloureux comme séance, en fait. Votre texte, lui, m'a fait du bien. Je le trouve très stimulant, au-delà du film.
Oui, c'est un film qui indique quelque chose de peu réjouissant concernant ce cinéma. Comme s'il avait déjà tout donné.
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