Le sermon de Huie, de Werner Herzog (1980)
Le dispositif est très simple : un plan séquence d'une trentaine de minutes sur la transe logorrhéique d'un évêque de Brooklyn, impressionnant d'abord par ses amalgames (Iran, transexualité, crash boursier, etc...), mais surtout par sa force persuasive, vibrante, hallucinée - l'impression de voir un avion qui décolle, avec toute la lourdeur de la machine, et toute la grâce de son vol – vacarme et équilibre.
Ce plan séquence est coupé et suivi par quelques travellings dans les rues délabrées du quartier - mais ce n'est pas un travelling accusateur (du type "regardez comme il profite de la misère"), c'est un simple contrepoint qui montre combien la chaleur, l'ivresse, l'euphorie des dimanches matins au temple où officie Huie, semblent surnaturelles.
Le sermon de Huie, scandé par-delà l'épuisement, au-delà des mots et des limites du langage, ressemble à ce que Joyce aurait pu faire improvisant sur une scène (la culture en moins) - un mélange de James Joyce et de James Brown. On ne sait plus ce qui est dit, on n'entend plus qu'une énergie. La vie réduite à son squelette, et trouvant, dans le décharnement (ou la décivilisation), des ressources incroyables, primaires, chamaniques.
La force de Huie réside dans sa façon de communiquer la transe (pas seulement de la vivre, mais de la partager, ce qui demande autrement plus d'effort), d'être le médiateur d'une foi en un autre monde où le sens n'aurait aucune raison d'être et que la parole rendrait transparent.
Ce sont trente minutes éprouvantes et splendides, beaucoup moins 'dirigées' qu'un documentaire comme Jesus Camp (qui fait son beurre sur la bêtise des fidèles), grâce à la radicalité de son dispositif. Une longue ascension suivie d'un vol plané qui ne peut plus s'arrêter. Trente minutes pendant lesquelles on passe par toutes sortes d’impressions : l’effroi, le rire, le plaisir, le charme (au sens empoisonné du terme).
Un dernier plan nous permet d'échapper à l'emprise : Huie, face caméra, silencieux après la bataille, soudain statique et banal.
Fric et foi - l'homme de Dieu en colère, de Werner Herzog (1980)
Un film de montage sur Gene Scott, prédicateur de télévision, qui propose quelques séquences impressionnantes dans leur façon de mettre à nu le dispositif télévisuel. Ainsi, Gene Scott gardera le silence, boudeur, face caméra, tant que la somme récoltée ce soir-là ne passera pas les 250000 dollars – son silence est à la fois le spectacle et la menace du spectacle. Une fois la somme encaissée, il hurlera aux spectateurs sa rage, son dégoût pour leur paresse et leur avarice – le spectateur est ainsi violemment assigné à sa place de spectateur.
Ces extraits sont croisés avec un entretien réalisé par Herzog. On y entend un homme épuisé, qui tient tout son secret dans une valise noire ("un million de dollars, des chaussettes sales, mes mémoires?", s'amuse-t-il à nous narguer), et se désespère d'être stérile ("un jour, dans un orphelinat portugais, j'ai ramassé la tartine qu'un enfant avait fait tomber, et l'enfant s'est écrié "Papa !").
Le documentaire est un peu rapide, on aurait aimé qu’il s’étoffe.
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