dimanche 4 janvier 2009

Grizzly Man - Werner Herzog



Grizzly man est un montage d'images d'archive de Timothy Treadwell, qui partait chaque année en Alaska à la rencontre des grizzlys, et d'interviews de ses proches après sa mort. D'un côté, des images fascinantes d'une nature sauvage et d'un être violemment tourmenté tentant d'être à la hauteur de cette sauvagerie, de l'autre, des témoignages doux, des échanges où Werner Herzog recueille un maximum de confiance et d'exigence, l'évocation d'une existence jamais réduite à ses quelques étapes symboliques.
Timothy Treadwell est tour à tour fascinant, irritant, comique, bouleversant, son existence est peu commune, et les images qu'il a ramenées de ses séjours sont uniques, simplissimes, élémentaires - et l'on voit s'y télescoper pur enthousiasme et angoisse qui lamine (la question de la présence au monde, de la joie d'être là et de l'imminence de la mort).
Timothy Treadwell observe les ours et se voit - Herzog, en observant Treadwell, se voit également. Cela pourrait être stérile (et l'on se serait bien passé de quelques commentaires en voix-off du cinéaste, qui non seulement objecte à la moindre assertion un peu trop rapide de Treadwell, mais commente aussi, interprète, au point que l'on se sent parfois prisonnier d'un dialogue auquel on ne peut participer. Ainsi, sur la dernière séquence tournée par Treadwell quelques heures avant qu'un ours ne le dévore, Herzog voudrait nous forcer à penser que son personnage se doute de quelque chose, parce qu'il peine à mettre un terme à son monologue, parce qu'il ne cesse de retarder le moment où il sortira du champ. Mais Treadwell ne cesse, que ce soit deux heures avant sa mort ou cinq ans avant, d'éhsiter à sortir du champ, de prolonger indéfiniment ses diatribes furieuses ou geignardes. Et c'est bien cela qui est fascinant chez lui : la possibilité de la mort est toujours quelque part dans sa conscience, et il lutte contre cela, il lutte pour sa présence immédiate, il ne cesse de survivre.)
cela pourrait être stérile, donc, si les expériences respectives de Herzog et Treadwell ne trouvaient pas de point de jonction. Or il y a, dans ce Grizzly Man, aussi bien chez Herzog que chez son personnage de documentaire, un questionnement commun : qu'est-ce qu'une vie extraordinaire ? Et chaque voyage en Alaska pour l'un, et chaque film pour l'autre, est l'occasion de remettre en jeu cette question, de remettre à l'épreuve le sens de la vie, l'amour du monde, et la pérennité de la personne humaine. Si bien que Herzog nous bouleverse lorsqu'il se prend d'affection pour Treadwell, et lui érige un tombeau digne, lucide et franc, amical, presque joyeux. Le cinéaste est du côté des vivants. Ce qu'il obtient des proches de Treadwell est toujours élégant. Il semble faire ce film pour eux. Et chaque film de Herzog est ainsi : laisser aux hommes du présent et peut-être à ceux du futur un manuel de survie en univers hostile, la trace d'une expérience pleine de doutes, d'erreurs, et parfois, peut-être, de grâce, mais cette grâce est toujours incertaine.
Herzog sermonne un peu parfois, mais c'est comme s'il voulait prévenir Treadwell du danger qu'il encourt - c'est toujours dans une forme de confrontation, ou de dialogue, avec un être qui a eu l'idée merveilleuse de laisser derrière lui des traces de sa vie exceptionnelle. Ainsi cette scène où le cinéaste écoute, de trois-quart dos à la caméra, dans un casque, les derniers mots et cris de Treadwell dévoré par le grizzly (la caméra de l'aventurier tournait à ce moment-là, mais le cache était resté sur l'objectif), sans nous infliger cette atrocité, et prévenant l'amie, qui détient l'enregistrement, de la violence qu'elle pourrait s'infliger si elle en venait à l'écouter. Elégant et magnifiquement suggestif : entre l'année où le film est sorti en France et sa seconde vision aujourd'hui, j'avais cru que Herzog nous avait montré les images du carnage. Ainsi regardons-nous Herzog regarder Treadwell regarder l'ours, et nous voyons tout très clairement. Grizzly Man offre au spectateur un surcroît de lucidité.
En fait, le film ressemble aux moments dépressifs de la pensée nietzschéenne, à ces aphorismes dont on se rend compte soudain qu'ils ont été trop rapides, qu'ils ont négligé l'objet de leur étude, à ces instants où Zarathoustra se décourage - la vie de Timothy Treadwell a tout l'air d'une erreur, et la force du documentaire de Herzog est de venir la prolonger, jusqu'à ce qu'elle atteigne un point sublime qu'elle n'avait cessé d'entrevoir.

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