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jeudi 16 août 2012

Holy motors - Leos Carax


Leos Carax se demande : qu’est-ce qu’un artiste ?
L’artiste, d’abord, est post-lynchien. Il s’agit de trouver la porte au milieu des sycomores et d’entrer dans la Black Lodge. Quiconque ne trouve pas le passage dort encore. L’hypothèse, sous forme de papier peint et de passage dérobé vers une salle de cinéma où personne ne bouge, est stimulante.
L’artiste, ensuite, est une pute protéiforme. Il va où on lui demande, il fait ce qu’on lui dit, il répond aux désirs de ses nombreux et singuliers clients : ici une jeune fille demande une leçon, là un mannequin voudrait qu’on la souille, ailleurs un homme désire mourir à côté de son frère jumeau.
L’artiste, enfin, est un voyageur las. Dans sa limousine il traverse la ville, et pense aux forêts qui sont loin. L’artiste est un loup devenu chien. Ceux qui l’engagent sont des primates. Et le travail est incessant bien que toujours interrompu, tandis que l’existence échappe lentement. Tout pourrait s’arrêter.

Il y a, dans le film, deux superbes séquences. L’une est une suite parisienne du Merde tokyoïte, l’autre est une scène de cyber-sexe acrobatique. Il y a aussi quelques blagues, des phrases, des narrations éparses, de la provocation, une chanson, des tristesses. On pourrait parler de descente aux enfers. Tous les signes sont là ; ils sont référencés : quelque chose d’un film coréen, Cars, Cocteau, Les yeux sans visage, une réminiscence des Amants du Pont-Neuf. Tout est symbole, rien n’est mystère. Et c’est là le problème du film. Son post-lynchéisme est bancal, l’avant-garde visée a parfois des relents d’emphase vieillote et affectée. Comme si on avait chargé un vieux sac de toile usée avec mille bricoles fluos. Les scènes sont sans espace, sans durée pour se développer. Les images s’enchevêtrent sans qu’aucune sorte d’univers ou de mouvement global ne les mette en regard les unes des autres. Le film, au final, n’est pas grand-chose de plus qu’une suite de sketches inégaux, pas tous aboutis.
Pourquoi Carax n’a-t-il pas fait six courts-métrages ? Il comptait sans doute sur le voyage en limousine pour tout relier. Mais le propos a quelque chose de suffisant, debordien à peu de frais. Si Carax décrit bien l’artiste et sa mélancolie (et Denis Lavant est génial dans ce rôle), il échoue à parler du public. « Qu’est-ce qu’un artiste ? », la question est passionnante, mais y répondre sans se demander une seconde ce que sont les spectateurs est à mon sens la raison de l’étroitesse du film. Il n’y a pas de dialogue possible, il n’y a que deux réclusions qui s’ignorent. A vrai dire, Carax se pose la question. Mais il y répond rapidement : « la beauté est dans l’œil de celui qui regarde ». C’est vite dit et pas filmé. Et puis ce n’est qu’une citation. Encore une fois, l’artiste en regarde un autre. L’art a les yeux rivés sur l’art. Qu’en pense Carax ? Il y répond encore : le public est une bande de primates qui s’ennuie. Il ne se révolte pas, n’a aucune sorte de défiance envers le spectacle qu’on lui propose. Est-ce bien vrai ? L’artiste apparaît dès lors comme intouchable. Est-ce seulement juste ? Les spectateurs sont dans une salle de cinéma, immobiles, changés en statues. Un enfant s'avance dans l'allée. Un regard neuf, donc : c'est le souhait du cinéaste dans les premières images du film. Pourtant, il fait un film de cinéphile, plombé de références que peu de scènes dépassent.
Les citations abondent, le film est ivre d'allusions. Il y a quelque chose de maladroit là-dedans, et je me suis parfois demandé où était Carax. Je voyais Holy Motors et je trouvais ça beau, ce n’était pas un problème de beauté. Mais la beauté que je voyais n’était pas celle du film. Elle était un souvenir d’autres plus anciennes, plus secrètes. C’est comme si Carax n’avait pas fait son film. Comme si les souvenirs l’avaient fait à sa place.

Ce qui est vraiment intrigant dans Holy Motors, c'est la forme du film, ultra-linéaire, lente et que rien n'arrête bien qu'elle ne soit faite que d'arrêts. Si Weerasethakul ou Lynch offrent à leurs films éclatés des superpositions magiques ou des spirales métaphysiques, Carax, lui, ne retient rien. Les images sont sans mémoire, comme l'homme que nous suivons, qui avance de vie en vie, n'apprend rien, et rêve d'un retour. Mais vers où? Quelle porte va s'ouvrir? "Revivre", la chanson de Gérard Manset, éclate sur les plans les plus tristes du film, où Denis Lavant semble être retourné plus loin que prévu, enfoui trop profondément dans les strates du temps humain. Si Carax aligne les scènes, elles ne s'additionnent pas, ne se répondent pas. Des fragments, rien que des fragments. Le cinéaste tente de capter ce qui dans la vie se brise, s'isole et s'oublie. Ce qui tient l'ensemble, c'est le corps. Mais le corps peut tout à la fois, mourir, ressusciter, claudiquer, courir, danser, s'asseoir, tanguer, baiser, ployer. Le corps de Denis Lavant n'est pas un phénomène de foire. Ou alors la foire est ce qui se rapproche le plus de la vie.

A lire ici, le papier des Spectres du Cinéma.

lundi 4 juin 2012

Les amants du Pont-Neuf - Leos Carax, 1991





incandescence des corps amoureux

brûlure du visible





trouver refuge dans la nuit et l’ombre





menace de l’aveuglement







mercredi 16 mars 2011

les années 90

Onze indispensables :

Bouge pas, meurs et ressuscite - Vitali Kanevski
Close-up - Abbas Kiarostami
Few of us - Sharunas Bartas
Khroustaliov ma voiture - Alexei Guerman
L'abécédaire de Gilles Deleuze - Pierre-André Boutang
Le songe de la lumière - Victor Erice
Les amants du Pont-Neuf - Leos Carax
Les idiots - Lars von Trier
Lost Highway - David Lynch
Sailor et Lula - David Lynch
Satantango - Bela Tarr

Quelques essentiels (22) :

Chronique d'une disparition - Elia Suleiman
Clean, shaven - Lodge Kerrigan
Corridor - Sharunas Bartas
Echos d'un sombre empire - Werner Herzog
En mémoire d'un jour passé - Sharunas Bartas
En présence d'un clown - Ingmar Bergman
Et la vie - Denis Gheerbrant
Hélas pour moi - Jean-Luc Godard
L'arbre, le maire et la médiathèque - Eric Rohmer
L'hôpital et ses fantômes - Lars von Trier
L'humanité - Bruno Dumont
La vie de Jésus - Bruno Dumont
Le goût de la cerise - Abbas Kiarostami
Le vent de la nuit - Philippe Garrel
Level Five - Chris Marker
Moe no suzaku - Naomi Kawase
Où est la maison de mon ami ? - Abbas Kiarostami
Out of the present - Andrei Ujica
Petit Dieter doit voler - Werner Herzog
Rez-de-chaussée - Igor Minaiev
Twin Peaks - David Lynch
Twin Peaks, la série

Et d'autres superbes (42) :

A brighter summer day - Edward Yang
Body snatchers - Abel Ferrara
Casino - Martin Scorsese
Cerro Torre, le cri de la roche - Werner Herzog
Charisma - Kiyoshi Kurosawa
Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) - Arnaud Desplechin
Contact - Robert Zemeckis
Conte d'automne - Eric Rohmer
Conte d'hiver - Eric Rohmer
Docteur Chance - FJ Ossang
El valley centro - James Benning
Et la vie continue - Abbas Kiarostami
Eyes wide shut - Stanley Kubrick
Happy together - Wong Kar Wai
Jackie Brown - Quentin Tarantino
Journal intime - Nanni Moretti
L'antre de la folie - John Carpenter
L'esprit de Caïn - Brian de Palma
L'impasse - Brian de Palma
La belle noiseuse - Jacques Rivette
La rivière - Tsai Ming Liang
La sentinelle - Arnaud Desplechin
La vie des morts - Arnaud Desplechin
Le garçu - Maurice Pialat
Le pouvoir de la province du Kangwon - Hong Sang Soo
Leçons de ténèbres - Werner Herzog
Les rebelles du dieu néon - Tsai Ming Liang
Minuit dans le jardin du bien et du mal - Clint Eastwood
My own private Idaho - Gus van Sant
New Rose Hotel - Abel Ferrara
Pages cachées - Alexandre Sokourov
Pulp fiction - Quentin Tarantino
Secret défense - Jacques Rivette
Serial mother - John Waters
Smoking & No smoking - Alain Resnais
Snake eyes - Abel Ferrara
The hole - Tsai Ming Liang
The king of New York - Abel Ferrara
The second circle - Alexandre Sokourov
Trois jours - Sharunas Bartas
Utopia - James Benning
Xiao Wu, artisan pickpocket - Jia Zhang-Ke

mercredi 31 décembre 2008

mercredi 12 novembre 2008

Boy meets girl - Leos Carax



Boy Meets Girl est le film rêvé. Le film où le fantasme du cinéma s'accomplit, s'incarne. D'abord fellinien dans la peinture des soirées mondaines où un homme raconte son voyage sur la lune, puis célinien, dans le borborygme, la macération de la rancoeur, beckettien dans la vision de l'amour comme une entrave à la liberté individuelle, "eustachesque" dans le discours amoureux - et, malgré toutes ces citations, toutes ces références, tout ce poids, le film s'affranchit. Parce qu'il trouve ses acteurs - Denis Lavant, éblouissant, et Mireille Perrier, qu'on aime intensément - parce qu'il prend des libertés, parce qu'il réinvente son langage, même si les mots sont piochés ici et là, même si les images et les histoires ont des sources connues. Le génie de Carax dans Boy Meets Girl, c'est le montage - la congruence de tous ces éléments sublimes détournés, transformés, détruits, et finalement ressuscités sous une forme infiniment personnelle et sensible, sous un jour (ou plutôt devrait-on dire une nuit) nouveau (une nuit nouvelle). Carax emprunte au renouveau musical (Steve Reich, par exemple) autant qu'à celui de l'art contemporain l'idée de collages, de mixages, de transformation d'éléments déjà présents mais détournés de leur discours originel. C'est un cinéma à la fois brut et cultivé, sincère et profond. Et son sujet - son cadre aussi - c'est la nuit. La nuit, avec l'inquiétude du jour qui ne reviendra jamais, de la vie qui ne peut plus continuer, du corps qui croit qu'il va mourir, envahi par trop de désirs, et une incapacité à les communiquer pleinement. Une envie du plein qui ne trouve d'issue que dans le meurtre. Parce qu'alors, l'infini (ou ce qu'on prenait pour tel) de la vie, de l'existence, des possibilités, se résout dans la mort, dans le corps inanimé - la passion s'incarne dans le sang.

dimanche 26 octobre 2008

Tokyo ! - Michel Gondry, Leos Carax, Bong Joon-Ho


Passons sur le Gondry, futile apéritif, et sur le Bong Joon-Ho, in-digestif lourd et niais : le seul vrai film de Tokyo !, c'est Merde.
On a pu lire ça et là que Merde était un remix syncopé des précédents Carax - à mon sens, pas du tout. C'est un Carax nouveau, loin du jubilé posthume, plutôt jubilatoire et bien vivant.
Merde, c'est l'histoire d'une démarche inopportune - l'histoire d'un homme qui, marchant dans les rues de Tokyo, sème la terreur. Les trois films du programme tendent à faire de Tokyo un corps social étroit, où la sympathie n'est même plus feinte, ou l'humanité est neutralisée. Le film de Carax n'échappe pas à ce constat, mais il est le seul à l'affronter violemment (Bong Joon-Ho fait son Cinquième Elément, "appuie sur mon bouton LOVE et la Terre tremblera" ; Gondry reste dans la chronique au fantastique passif et décoratif), envoyant Denis Lavant dans la rue, en Chaplin sale et dangereux, aimant la vie mais pas les gens, sauf sa maman et son dieu.
L'humour comme arme de survie : les gags interviennent comme des éléments non identifiés, dysfonctionnels, transgressifs. Des bâtons de dynamite dans les rouages des Temps Modernes. Mais ce n'est pas l'industrialisation ni le stakhanovisme qui sont ici visés - plutôt la morale qui a fini par embaumer et remplacer le capitalisme. Morale du corps éteint, tordu, disparaissant, et de la voix forte. Morale du danger et de la sécurité. Morale de l'utile et de l'agréable. Carax fonce, il n'a peur de rien, il se prend pour Zarathoustra, il est obscène, scato, réac, il croit à la joie et au miracle, il tente tout. Le traitement de l'image vidéo est bouleversant, plus encore que chez Lynch ou Costa : les plans sont des tableaux, des fresques, des collages baroques, nourris par des siècles d'histoire de l'art, mais jamais poussiéreux, d'une force intacte, voire renouvelée.
On ne peut pas raconter le film - ce sont trente minutes de surprises incessantes (telle la voix de Monsieur Merde, qui surgit tardivement et fait basculer le film, deuxième donnée d'un corps inattendu et révoltant), trente minutes frénétiques, de montage, d'esthétique, et de révolution.

vendredi 22 décembre 2000

en 1991, dix films

1. Les amants du Pont-Neuf – Leos Carax
2. Close up – Abbas Kiarostami
3. Twin Peaks, la série – David Lynch’s team
4. Et la vie - Denis Gheerbrant
5. Trois jours – Sharunas Bartas
6. La belle noiseuse – Jacques Rivette
7. La vie des morts – Arnaud Desplechin
8. Alice - Woody Allen
9. La cabale des oursins – Luc Moullet
10. A scene at the sea – Takeshi Kitano