Deux films de Pierre Creton étaient présentés aujourd'hui au festival Filmer l'invisible à Beaubourg.
Le premier, Deng Guo Yuan, fait partie d'un recueil de 4 courts-métrages, et les programmateurs du festival ont cru bon de l'isoler. C'est dommage, car ce portrait d'un peintre chinois au travail est un peu sec, sans véritable déploiement ni proposition cinématographique fulgurante. Sans doute a-t-il une autre résonance au regard des trois autres.
Je dis sans doute, parce que le second film de Pierre Creton présenté aujourd'hui révèle un cinéaste extraordinaire. Cela s'appelle L'heure du berger, et l'on pense à l'heure du loup des films de Bergman, crépuscule où se réveille, malgré la vieillesse, le désir.
Au début des années 2000, Pierre Creton rencontre Jean et tourne un film avec lui, sur leur histoire d'amour naissante. Jean meurt pendant le tournage. Sept ans après sa mort, le cinéaste a racheté la maison de son ami et y vit. Il est ainsi question de l'occupation d'un territoire hanté par une absence, et de comment ce territoire se repeuple.
C'est un cinéma humble, fait de minuscules observations, de moments saisis selon la seule intuition du cinéaste et aucun scénario pré-écrit - et comment Pierre Creton pourrait-il écrire un scénario, lui a qui a vu le sujet principal de son précédent film disparaître en plein tournage ?
C'est donc une maison peuplée d'un cinéaste, d'animaux et d'amants, que nous voyons vivre pendant 40 courtes minutes.
Ce qui caractérise la méthode du cinéaste, ce qui la rend si particulière, c'est son attention extrême au concret. La magie de ce qui se passe et de ce que le film dit, sa dimension surnaturelle, n'est pas prédéterminée. Elle 'a lieu'. Mais pour cela, il faut définir le lieu, le délimiter, le circonscrire.
Et c'est ce qui survient lorsque le cinéaste filme une mouche prise au piège d'une toile d'araignée. Le plan est long, la mouche se débat mais ne parvient pas à se détacher de la toile, et l'araignée arrive, tricote, emballe sa proie et la tracte hors du cadre.
Le film est ainsi composé de séquences plutôt longues et d'autres presque imperceptibles, de plans quasi subliminaux. Cette couture, ce bricolage intuitif et puissamment évocateur, n'est pas sans rappeler les superbes Films rêvés d'Eric Pauwels. Ayant pour figures communes la toile d'araignée et la maison, ces deux films font du cinéma un art lié à la vie, au quotidien, aux expériences de chaque jour. Ce sont des creusets où toute une existence, aussi disparate soit-elle dans sa composition, vient se fondre en une même matière.
Parmi les séquences marquantes, il y a celle, haletante, où le cinéaste enfouit sa main nue dans un essaim d'abeilles. Il y a là à la fois un danger et une sensualité qui me font dire qu'on a devant les yeux le film d'un cinéaste intelligent et aventureux, sachant faire d'un moment tout un monde, tout un temps.
Plus tard, Pierre Creton est au lit, lisant, peu à peu colonisé par ses cinq chats et son chien. La séquence, là encore, est plutôt longue, et dit très bien l'absence qu'on tente de conjurer. La dit très bien, c'est-à-dire la dit discrètement, sans appuyer, sans rien filmer d'autre que ce qui est présent (que ce qui se présente).
D'autres images défilent mystérieusement : que veulent dire ces plans où le cinéaste, également coiffeur, coupe les cheveux de ses amants et filme les petits tas de cheveux amassés sur la table ? que signifie celui où le cinéaste, également dessinateur, coud l'image d'une maison, traversée par un fil ? L'heure du berger est composé de toutes ces choses hétéroclites, de tous ces moments choisis, de toutes les pratiques d'un homme habitant la maison d'un mort aimé. Film on ne peut plus vivant.
La première séquence révèle le passé du cinéaste. C'est une archive. Pierre Creton et son ami Jean lisent en même temps deux textes différents, assis autour de la table de la cuisine. Séquence naïve et joyeuse. On trouve dans celles de 2008 la même naïveté du geste, le même enthousiasme à filmer, mais la joie est imprégnée du souvenir.
Le cinéaste cite Cesare Pavese, dont les livres ont accompagné le tournage de L'heure du berger : « Un certain type de vie quotidienne (heures fixes, mêmes personnes, formes et lieux de piété) amenait des pensées surnaturelles. Sortir de ce schéma et les pensées s'envolent. » Formule appliquée à la lettre, hypothèse mise en pratique et vérifiée.
Il y avait aussi un court film de Boris Lehman, intitulé Choses qui me rattachent aux êtres. C'est un inventaire. Boris Lehman, chez lui, présente chaque objet venant d'ailleurs en les nommant et en les rattachant aux personnes qui les lui ont léguées. C'est aussi simple qu'un catalogue : le parapluie de Jeanne, la valise de Mathilde, le tableau de Félicie, etc... Ce sont des vignettes assez drôles, que le cinéaste accumule, en vue d'un autoportrait par l'altérité, d'une définition de lui-même par ce qui ne lui appartient pas.
Dans la deuxième partie du film, on assiste à un strip-tease à l'envers : le cinéaste s'habille de quelques vêtements oubliés par d'autres que lui. Je est un autre, je est un millier d'autres.
Ce court-métrage donne envie de découvrir plus amplement l'oeuvre de Boris Lehman.
Ricercar, de Henry Colomer, fait le portrait sans distance de gens très satisfaits d'eux-mêmes : quelques facteurs de clavecins et leurs amis interprètes. On les voit pendant une heure se regarder les uns les autres, ébahis par leurs prodiges respectifs, et pleins de cette fausse humilité traditionaliste qui consiste à dire qu'on fait de notre mieux, mais qu'on ne parviendra jamais à égaler les maîtres (morts au XVIIIème siècle pour les plus récents). Pourtant, la moindre petite boiserie fait l'objet d'une extase collective invraisemblable. Tout le monde sourit, tout le monde aime tout le monde, et on se chauffe au feu de bois. Il n'y a bien que le bruit des voitures qui entrave la béatitude générale. Rarement groupe de personnes ne m'avait paru aussi antipathique (la dernière fois, c'était dans La vie au ranch).
Le premier, Deng Guo Yuan, fait partie d'un recueil de 4 courts-métrages, et les programmateurs du festival ont cru bon de l'isoler. C'est dommage, car ce portrait d'un peintre chinois au travail est un peu sec, sans véritable déploiement ni proposition cinématographique fulgurante. Sans doute a-t-il une autre résonance au regard des trois autres.
Je dis sans doute, parce que le second film de Pierre Creton présenté aujourd'hui révèle un cinéaste extraordinaire. Cela s'appelle L'heure du berger, et l'on pense à l'heure du loup des films de Bergman, crépuscule où se réveille, malgré la vieillesse, le désir.
Au début des années 2000, Pierre Creton rencontre Jean et tourne un film avec lui, sur leur histoire d'amour naissante. Jean meurt pendant le tournage. Sept ans après sa mort, le cinéaste a racheté la maison de son ami et y vit. Il est ainsi question de l'occupation d'un territoire hanté par une absence, et de comment ce territoire se repeuple.
C'est un cinéma humble, fait de minuscules observations, de moments saisis selon la seule intuition du cinéaste et aucun scénario pré-écrit - et comment Pierre Creton pourrait-il écrire un scénario, lui a qui a vu le sujet principal de son précédent film disparaître en plein tournage ?
C'est donc une maison peuplée d'un cinéaste, d'animaux et d'amants, que nous voyons vivre pendant 40 courtes minutes.
Ce qui caractérise la méthode du cinéaste, ce qui la rend si particulière, c'est son attention extrême au concret. La magie de ce qui se passe et de ce que le film dit, sa dimension surnaturelle, n'est pas prédéterminée. Elle 'a lieu'. Mais pour cela, il faut définir le lieu, le délimiter, le circonscrire.
Et c'est ce qui survient lorsque le cinéaste filme une mouche prise au piège d'une toile d'araignée. Le plan est long, la mouche se débat mais ne parvient pas à se détacher de la toile, et l'araignée arrive, tricote, emballe sa proie et la tracte hors du cadre.
Le film est ainsi composé de séquences plutôt longues et d'autres presque imperceptibles, de plans quasi subliminaux. Cette couture, ce bricolage intuitif et puissamment évocateur, n'est pas sans rappeler les superbes Films rêvés d'Eric Pauwels. Ayant pour figures communes la toile d'araignée et la maison, ces deux films font du cinéma un art lié à la vie, au quotidien, aux expériences de chaque jour. Ce sont des creusets où toute une existence, aussi disparate soit-elle dans sa composition, vient se fondre en une même matière.
Parmi les séquences marquantes, il y a celle, haletante, où le cinéaste enfouit sa main nue dans un essaim d'abeilles. Il y a là à la fois un danger et une sensualité qui me font dire qu'on a devant les yeux le film d'un cinéaste intelligent et aventureux, sachant faire d'un moment tout un monde, tout un temps.
Plus tard, Pierre Creton est au lit, lisant, peu à peu colonisé par ses cinq chats et son chien. La séquence, là encore, est plutôt longue, et dit très bien l'absence qu'on tente de conjurer. La dit très bien, c'est-à-dire la dit discrètement, sans appuyer, sans rien filmer d'autre que ce qui est présent (que ce qui se présente).
D'autres images défilent mystérieusement : que veulent dire ces plans où le cinéaste, également coiffeur, coupe les cheveux de ses amants et filme les petits tas de cheveux amassés sur la table ? que signifie celui où le cinéaste, également dessinateur, coud l'image d'une maison, traversée par un fil ? L'heure du berger est composé de toutes ces choses hétéroclites, de tous ces moments choisis, de toutes les pratiques d'un homme habitant la maison d'un mort aimé. Film on ne peut plus vivant.
La première séquence révèle le passé du cinéaste. C'est une archive. Pierre Creton et son ami Jean lisent en même temps deux textes différents, assis autour de la table de la cuisine. Séquence naïve et joyeuse. On trouve dans celles de 2008 la même naïveté du geste, le même enthousiasme à filmer, mais la joie est imprégnée du souvenir.
Le cinéaste cite Cesare Pavese, dont les livres ont accompagné le tournage de L'heure du berger : « Un certain type de vie quotidienne (heures fixes, mêmes personnes, formes et lieux de piété) amenait des pensées surnaturelles. Sortir de ce schéma et les pensées s'envolent. » Formule appliquée à la lettre, hypothèse mise en pratique et vérifiée.
Il y avait aussi un court film de Boris Lehman, intitulé Choses qui me rattachent aux êtres. C'est un inventaire. Boris Lehman, chez lui, présente chaque objet venant d'ailleurs en les nommant et en les rattachant aux personnes qui les lui ont léguées. C'est aussi simple qu'un catalogue : le parapluie de Jeanne, la valise de Mathilde, le tableau de Félicie, etc... Ce sont des vignettes assez drôles, que le cinéaste accumule, en vue d'un autoportrait par l'altérité, d'une définition de lui-même par ce qui ne lui appartient pas.
Dans la deuxième partie du film, on assiste à un strip-tease à l'envers : le cinéaste s'habille de quelques vêtements oubliés par d'autres que lui. Je est un autre, je est un millier d'autres.
Ce court-métrage donne envie de découvrir plus amplement l'oeuvre de Boris Lehman.
Ricercar, de Henry Colomer, fait le portrait sans distance de gens très satisfaits d'eux-mêmes : quelques facteurs de clavecins et leurs amis interprètes. On les voit pendant une heure se regarder les uns les autres, ébahis par leurs prodiges respectifs, et pleins de cette fausse humilité traditionaliste qui consiste à dire qu'on fait de notre mieux, mais qu'on ne parviendra jamais à égaler les maîtres (morts au XVIIIème siècle pour les plus récents). Pourtant, la moindre petite boiserie fait l'objet d'une extase collective invraisemblable. Tout le monde sourit, tout le monde aime tout le monde, et on se chauffe au feu de bois. Il n'y a bien que le bruit des voitures qui entrave la béatitude générale. Rarement groupe de personnes ne m'avait paru aussi antipathique (la dernière fois, c'était dans La vie au ranch).
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