lundi 22 novembre 2010

Festival Filmer l'invisible #4 - La colonie, de Sergei Loznitsa & Dehors, de Marcin Sauter

Dehors, de Marcin Sauter

Quelques enfants dans la cour d’une ferme. L’une se bat avec un t-shirt, une autre raffole d’une glace, un autre encore se cache dans un pot. Le cinéaste les filme à leur hauteur, comme Ozu dans Bonjour, comme Edward Yang dans Yi Yi. Nous entrons dans leur monde. Nous voyons du monde ce qu’ils en voient, avec nos yeux de spectateurs adultes. Mais c’est un monde débarrassé de nous, de nos règles, bienséances, et structures d’accueil. Un monde sans école : une vacance. Il y a une innocence et une liberté qui confinent à l’anarchie. Et parvenir à saisir cela est la preuve d’un grand talent. En tout cas, c’est un très beau court-métrage.


La colonie, de Sergei Loznitsa

On voit des hommes travailler la terre. Ils bêchent, dispersent le foin, traversent des champs, s’amusent des bêtes. L’image noir et blanc nous parle d’un hors-temps, d’une ruralité vieille de mille ans (on pense aux photographies d’August Sander). Mais dans ces scènes champêtres, cartes postales d’une Russie trop idéale pour être honnête (où sont les machines, où sont les fils électriques, les publicités, les couleurs criardes du présent ?), il y a une étrangeté. Les corps ne répondent pas parfaitement aux figures imposées. Les visages ne sont pas tout à fait présent. On suspecte l’un d’être un peu simplet, l’autre de ne pas savoir se servir de ses jambes. On ne sait pas encore où on est. Quelque chose cloche. Un doute dans la tradition bucolique. On émet l’hypothèse d’une ferme collective ignorant tout de la perestroïka.

Et puis on voit une première infirmière, une seconde, une troisième. On les voit attendre les paysans. On voit un réfectoire. On s’approche des visages et alors on comprend : il s’agit d’une institution psychiatrique. Les trop vieilles images, le trop vieux monde est hanté par des fous, et la folie qu’on voit n’est pas psychologique, pas individuellement attribuée, mais elle est politique, mondiale, esthétique. Comme si elle était l’œuvre du temps.

La fin du film bouleverse, lorsque Loznitsa enchaîne les portraits en gros plans de malades luttant contre des années de souffrances pour sourire à la caméra ou pour s’en empêcher. Ce qu’il saisit là des hommes et de la lumière qui émane d’eux, de l’histoire dont leur visage semble être le livre, est sidérant. C’est l’élégie d’un voyage arrêté.

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