Casting a glance est un film sur la Spiral Jetty de Robert Smithson. Une jetée en spirale, composée de rochers de basalte, sur un lac de l’Utah dont l’eau semble rouge. Construite en 1970 alors que le niveau du lac était particulièrement bas, elle disparut pendant 30 ans, puis ré-émergea en 2004.
Cette jetée, dans sa forme même, modifie notre perception de l’espace. L’horizon n’est plus loin devant, mais à l’intérieur. Le paysage semble s’être replié sur lui-même, ouvrant à l’intérieur de lui son étendue, son infini.
Et cet espace de la spirale est l’occasion pour James Benning de démultiplier les angles de vue. A chaque fois, à chaque retour vers l’œuvre, un angle différent est possible. Car la spirale ouvre l’espace.
Casting a glance, cela veut dire jeter un coup d’œil. Et c’est tout ce que l’on peut faire face à une telle œuvre, qui a pour unique qualité d’être là, sans permanence, possiblement submersible. Celui qui passe rapportera ce qu’il a vu ce jour-là : de la neige, un oiseau, rien, de l’eau, un chien, du sel, etcetera. C’est un peu comme si la Joconde avait été peinte avec des peintures très volatiles, farceuses, et que les singapouriens ayant fait des milliers de kilomètres pour la voir au Louvre puissent ne rien voir le jour de leur visite, ou seulement une petite tache verte sur le mur.
En fait, la Spiral Jetty est un repère. Smithson a marqué un lieu d’une œuvre que les gens viennent voir – mais les gens, au final, ne voient que le lieu. Et c’est alors le paysage qui existe, qui prime sur l’œuvre. (On vient rarement au Louvre voir l’état du papier peint, et pourtant c’est aussi ce que l’on voit – en fait, on vient au Louvre voir Paris, comme on vient à l’Empire State Building voir New York.)
Aussi Benning ne peut-il livrer qu’une collection de moments variés. Le temps de l’œuvre, et sa durée, dépassent largement toute perception humaine singulière. C’est la somme des collections d’impressions autour de la Spiral Jetty qui font son histoire. Par ses multiples venues, le cinéaste livre un fragment de cette histoire.
La question que pose l’œuvre (et le film, par extension), est celle du spectateur. Le spectateur est ici celui qui expérimente. Qui reporte ce qu’il voit à un moment donné d’un lieu particulier. La subjectivité n’est plus seulement liée aux êtres, à leur vécu, à leur culture ou à leur sensibilité, mais aussi aux circonstances.
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