vendredi 5 novembre 2010

Le dernier voyage de Tanya - Ovsyanki - Aleksei Fedorchenko

"Une éblouissante découverte", dixit le Monde.
"Quelque chose de fort et de puissant", dixit Les inrocks (et pourtant ce n'est pas un film gay).
"Un voyage funèbre au charme simple et profond, avec des aspects très prosaïques et une sensibilité vibrante", dixit le Figaroscope.
Pas de nouvelle de Libé (ben non, il n'y a qu'un critique de cinéma gay sur deux qui se déplace pour aller voir un film russe hétéro traitant d'une cérémonie funéraire païenne).

Si j'avais 80 ans et que j'avais vécu toute mon existence reclus dans un hôtel particulier du 15ème arrondissement, j'aurais été ravi.
D'abord il y a une histoire. Et puis elle est facile à suivre. Facile à suivre parce qu'elle nous est à la fois montrée et racontée par la voix-off du narrateur, lequel est aussi un personnage du film - du coup, c'est pratique, on sait ce qu'il pense, et en général il pense ce qu'il dit, même s'il ne dit pas grand chose (c'est l'âme slave, ça, à ce qu'on dit).
Le récit est d'autant plus lisible que les étapes importantes nous sont sans cesse rappelées. Une femme est morte, deux hommes vont la brûler près d'une rivière. Ils font ensemble un long trajet en voiture. Et au cas où on ait oublié, pendant les scènes de voiture où l'on voit les deux hommes de dos, le cinéaste insère des plans du cadavre sur la banquette-arrière. C'est dur, mais c'est très slave, ça, encore.
D'ailleurs, avec eux, il y a une cage à oiseaux avec deux passereaux dedans. Parce que les oiseaux c'est la poésie, et la Russie aussi (Pouchkine et tant d'autres). Donc deux oiseaux. C'est bien, ça allège le côté mortifère de l'ensemble. Sinon ce serait lourd. La poésie sert à ça, à alléger.
Et puis le père du narrateur était poète, alors le film est comme un poème. Des phrases comme "seul l'amour est éternel", "j'aimerais mourir noyé", etcetera. Très plaisant. Pas désagréable.
Ensuite, c'est instructif. Voilà de l'inédit : un rituel funéraire païen. La voix-off ne cesse de nous rappeler que nous vivons là un moment privilégié : les traditions disparaissent. Alarmiste, mais pas faux. Cela dit, elles disparaissent moins vite chez les Slaves (c'est aussi ce que dit la voix-off, peut-être bien dix fois, ce qui m'a permis de le retenir).
Le mieux, c'est quand même les flash-backs. Parce que la mort sans la vie, ça n'a pas de sens. Alors le cinéaste nous montre la morte avant qu'elle meurt. Elle faisait beaucoup l'amour et son mari l'aimait. Elle, moins, parce qu'elle ne pouvait pas avoir d'enfants. Il y a aussi deux prostituées dans le film. Une maigre et une grosse. Les Russes sont comme ça : douleur extrême, et puis la fête. Prosaïques, comme dit le Figaroscope. La morte s'attachait même des trucs aux poils pubiens.
Et aussi, le plus joli dans tout ça, c'est l'image (d'ailleurs, le narrateur est aussi photographe). Parfois des tons chauds, parfois des tons froids, des reflets, des surfaces, et je dois dire que ça se laisse regarder. On aimerait bien avoir des photogrammes du film pour les mettre dans la salle de bains. Peut-être pas ceux avec les femmes nues, mais ceux des paysages. Russes. On sent une âme. Et cette âme est un capital. Un tas de fumier très prolifique.
Tiens, je vais citer Le Monde, qui sait vraiment parler à ses lecteurs : "On est en Russie, où la mélancolie est parfois si voluptueuse qu'elle en devient désirable."

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