RR est composé de 43 plans où passent des trains. James Benning joue sur plusieurs variables : la vitesse du train, le nombre de wagons, leurs couleurs, leur hauteur, la distance de la caméra à la voie ferrée, le bruit que produit le train en entrant dans le champ, son parcours dans l’espace (est-ce qu’il vient vers nous, est-ce qu’il s’éloigne, est-ce qu’il traverse ?…). Ces variables se multiplient, et ces 43 trainspottings sont une petite partie éloquente de l’infinité des points de vue possibles.
On peut voir le film comme un hommage au cinéma, bien sûr. C’est ainsi qu’il a commencé, à La Ciotat avec les frères Lumière. Et ce commencement se démultiplie. Longue vie d’un art dont on ne peut faire le tour.
En prenant le train comme sujet, Benning cartographie le paysage américain : champs, lacs, rivières, déserts, montagnes, zones industrielles, bourgades… Le train agit comme le révélateur de cet espace, en sciant d’une ligne claire une étendue polymorphe.
Le train est comme un sablier : c’est lui, c’est le temps qu’il met à sortir du plan, qui détermine le temps de l’observation de cet espace. Après son passage, la vision se referme. Et pourtant, son entrée dans le champ souvent couvre, cache une partie de l’espace. Le son qu’il fait, également, prend le pas sur le son commun du lieu choisi. Mais c’est bien parce qu’il est modifié que le paysage nous interpelle. Parfois, après le passage d’un train, une illusion d’optique se crée : le paysage semble bouger, vibrer, tourner.
De cette succession de points de vue fixes figurant les mouvements des trains, naît l’impression d’un voyage. Mais un voyage qui ne serait pas une simple ligne sur une carte : un voyage étoilé, multidirectionnel, fait d’arrêts ouvrant vers des ailleurs.
Le train est une abstraction. Il contient, à sa façon géométrique, les besoins des populations dispersées. Ce qu’il contient, nous ne le savons pas : nous voyons simplement des blocs de couleurs serpenter à travers les paysages américains. On a, voyant tous ces trains passer, l’impression d’une charge, d’un surcroît de matière.
Et puis le dernier train s’arrête dans le champ, entouré d’éoliennes et de pneus à l’abandon. Le bruit du vent dans les éoliennes recouvre celui du train. Ce dernier plan est comme le cimetière d’une civilisation. Benning marque la fin d’une ère.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire