1. L’Apollonide, souvenirs de la maison close – Bertrand Bonello
2. La dernière piste – Kelly Reichardt
3. L’autobiographie de Nicolae Ceausescu – Andrei Ujica
4. Les champs brûlants – Stefano Canapa & Catherine Libert
5. Ceci n’est pas un film – Jafar Panahi & Mojtaba Mirtahmasb
6. Il était une fois en Anatolie – Nuri Bilge Ceylan
7. A dangerous method – David Cronenberg
8. La guerre est declarée – Valérie Donzelli
9. Palazzo delle aquile – Stefano Savona, Alessia Porto & Ester Sparatore
10. La grotte des rêves perdus – Werner Herzog
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samedi 31 décembre 2011
vendredi 8 juillet 2011
Old joy - Kelly Reichardt

Et puis la tristesse est une trop belle excuse pour prendre peu de risque. Enthousiaste à l'idée de voir ce film, après le choc qu'a été La dernière piste, et le plaisir modeste pris à Wendy et Lucy, je m'aperçois que Kelly Reichardt fait des films de plus en plus forts. Lui manque encore une rage, et ce sera bon.
mardi 5 juillet 2011
La dernière piste - Kelly Reichardt - Meek's cutoff

Ce n'est pas le seul problème des films de Gus van Sant. L'autre chose, qui me semble très claire depuis que j'ai vu La dernière piste, c'est ce que le cinéaste fait de la radicalité : du mash-mallow. L'errance est un truc cool, le plan-séquence est glissant, l'ennui atmosphérique, la mort mélancolique, le silence déprimé et la parole pas mieux : tout est joli et gratuit. Gratuit plutôt qu'absurde. On colle parfois à Gerry l'étiquette 'beckettien'. Mais Beckett n'est ni joli ni gratuit, Beckett est âpre, violent, crevé de partout, pointu et jamais mou.
(Sofia Coppola est de cette école-là, faisant débander ce qui ne demande qu'à crever des yeux : easy-thinking.)
La dernière piste n'a rien de gratuit. Ce que Kelly Reichardt raconte est très clair, très large, très ambitieux. C'est la conquête de l'Ouest, c'est l'Histoire des Etats-Unis, et, par extension, c'est l'Irak, c'est l'immigration, c'est le statut de l'immigré, c'est la façon dont on perçoit l'étranger, c'est les raisons pour lesquelles on fait une guerre. La cinéaste ouvre son film sur de possibles interprétations. Quelque chose entre John Ford, Robert Bresson et Le magicien d'Oz. Le paysage, les figures, l'action et le mythe. A l'origine du film, il y a un trop-plein d'hypothèses, il y a un magma. Le film se charge de donner forme à ça.
Ce qui est absurde, violemment absurde dans La dernière piste, c'est la matière-même de ce qu'on voit : des femmes avec des robes trop longues traînant dans le désert, et trois carrioles trop lourdes et trop fragiles. Une parfaite inadaptation de l'homme au paysage qu'il traverse. Une ignorance fondamentale. Un espoir maigrelet d'arriver un jour quelque part et de commencer peut-être quelque chose qui ressemblerait à une vie.
Incohérence avec le monde que la cinéaste creuse, à la manière des chercheurs d'or, obstinément, sans rien épargner de la répétition, de la durée et du manque de joie. La bande-son est grinçante (saletés de carrioles), nuits et jours passent mécaniquement, postures et paysages se répètent, variant jusqu'à l'insignifiance, l'indifférence. Le paysage progresse vers un nulle part et le corps vers la soif et la mort.

Un petit garçon qui pose sa tête sur les genoux de sa mère tandis qu'elle lit.
Une coupelle d'eau donnée de main à main par la femme blanche à l'Indien. Le retour de cette coupelle, poussée par terre par l'Indien en direction de la femme blanche. Des gestes incroyablement secs et vibrants, chargés des mondes quittés et des mondes espérés.
Entre la femme et son mari, plus tard, cette scène superbe où il surmonte sa jalousie et confie la direction des opérations à sa femme, marquant son absolue confiance, son immense amour, mais ayant besoin de marquer ça.
Ou encore, quand il va falloir voter pour décider du sort de l'Indien, le regard des femmes qui savent qu'elles ne participeront pas au vote mais pensent si fort que leur opinion traverse leur regard.
Une chaise jetée par l'arrière d'une carriole : voilà ce qu'on laisse, déjà-vestige d'une civilisation qui n'existera peut-être jamais.
Deux coups de feu pour prévenir les hommes lorsque l'une des femmes rencontre pour la première fois l'Indien : le mélange de précipitation et d'application dans le geste, le génie lent et tendu de cette scène.
Un inventaire microscopique de gouffres soudain révélés par des situations d'une clarté folle.
Dialogues limpides, rien à jeter, la réserve de sens nécessaire. On lit la Bible (ce sont les premiers mots du film) comme on lirait le journal : car les hommes qu'on voit font le journal, font l'Histoire, et ce qu'ils veulent lire doit les rattacher au divin et à l'éternité, eux qui ont pris le risque de se tenir si loin de ça.
En même temps, il y a d'autres régimes d'images. Le cinéma de Kelly Reichardt ne se construit pas sur de l'interdit. La cinéaste ouvre son film au maximum, elle tente plein de choses, comme ce plan, un des plus beaux que j'ai vu, où deux images se fondent l'une dans l'autre : les trois carrioles avancent vers nous, et on les retrouve dans le ciel, suivant le contour d'un nuage. C'est E.T., c'est Le magicien d'Oz, c'est un partout qui montre un nulle part, c'est un dédoublement qui crée un enfermement, un vol plané minéral.
Le mythe du magicien d'Oz se trouve ranimé par le personnage de Meek, l'entourloupeur, qui propose un raccourci et provoque finalement la perte. Meek est filmé, lui, au contraire des migrants, comme par une télévision. Il raconte des histoires, il rit, il s'emporte, il a des passions : c'est la civilisation, son idéologie que Kelly Reichardt met en scène. Meek est celui qui égare, qui terrifie, qui se confesse, qui monte les gens les uns contre les autres. Il occupe tout le plan. Il annule les paysages. Jusqu'à ce que, son troupeau perdu, il se retire, en pyjama rouge, dans les bords des cadres. Et sa manière de se retirer est une autre forme du triomphe : "vous verrez bien, j'ai raison". Meek n'appartient pas à ceux qui se perdent : il ne craint pas la mort. C'est sa puissance.

L'incroyable invention plastique du film repose sur cette notion de travers : la disposition des corps dans le paysage, la façon dont le corps ouvre le paysage, ouvre la vision, et dont vision et paysage se referment sur les corps. Tous les équilibres toujours menacés, tous les rôles sans cesse et illusoirement redistribués. Jusqu'à cet arbre, dernière vision du film, vert en sa base et décharné en son sommet, cumulant les saisons, le temps, l'eau et la sécheresse, la foudre et la clémence, cumulant à lui seul toutes les hypothèses d'une vie. On ne peut plus que regarder à travers. Ceux qui traversent l'espace voient à travers le temps.
vendredi 10 avril 2009
Wendy & Lucy - Kelly Reichardt

On se dirige vers l'Alaska, mais on est loin d'Into the wild. D'abord, Kelly Reichardt ne nous explique pas les raisons du départ de Lucy. Son film n'affirme pas immédiatement sa dimension critique - pas de réquisitoire contre les standards existentiels américains. D'ailleurs, Wendy semble désespérément, socialement non conforme à ces standards. Elle n'a pas le choix, mais elle en fait un (celui de l'Alaska, donc). La frontière entre ce qui est subi et ce qui est désiré est très fine. Et c'est peut-être parce qu'il n'y a pas de choix qu'il y a du désir (qu'il y a le désir d'investir cette vie-là, et pas une autre).
Ensuite, on sait comment Wendy mange, où elle dort, comment ses journées se passent. C'est une aventure concrète, qui ne se veut pas d'emblée métaphysique (ou exemplaire). Ca pourrait passer pour de la prudence (au sens de tiédeur), mais c'est avant tout de la méthode et de l'humilité.
La première séquence est splendide : un travelling sur Wendy jouant avec sa chienne Lucy dans les bois. Rien de plus. Un moment - ou plutôt l'invention d'un moment, qui ne feint pas l'exaltation, mais qui y vient, peu à peu, à force de construction. On entend Wendy fredonner quelque chose. On sent qu'elle cherche à habiter l'espace, à habiter le lien qu'elle a avec sa chienne - c'est une décision : interrompre le voyage pour fabriquer le plus simplement possible la mémoire de celui-ci. Pas une carte postale, pas un souvenir, mais un temps.
Tout le film est ainsi, sans facilité ni évidence. A partir d'une situation scénaristique, Kelly Reichardt enregistre la marche d'une jeune fille dans un monde inconnu, et plutôt hostile. Pas de raccourci ni de salut aléatoire - au contraire, la situation se durcit au fur et à mesure, et plus le film avance, plus il semble simple et vrai. La ville où Wendy fait une étape un peu forcée existe, les personnages secondaires ne sont pas des envoyés de Dieu ni des figures oedipiennes, et encore moins les symboles d'une idée qui serait inhérente à la tenue du film (si on excepte la croix très brillante autour du cou du vigile). Plus les choses existent, s'affirment, plus la cinéaste doute. Et elle rend compte, sans effet, au travers de ce doute, d'une épreuve, d'un dépouillement progressif, de la défaite d'un espoir et de ses préconceptions.
Ensuite, on sait comment Wendy mange, où elle dort, comment ses journées se passent. C'est une aventure concrète, qui ne se veut pas d'emblée métaphysique (ou exemplaire). Ca pourrait passer pour de la prudence (au sens de tiédeur), mais c'est avant tout de la méthode et de l'humilité.
La première séquence est splendide : un travelling sur Wendy jouant avec sa chienne Lucy dans les bois. Rien de plus. Un moment - ou plutôt l'invention d'un moment, qui ne feint pas l'exaltation, mais qui y vient, peu à peu, à force de construction. On entend Wendy fredonner quelque chose. On sent qu'elle cherche à habiter l'espace, à habiter le lien qu'elle a avec sa chienne - c'est une décision : interrompre le voyage pour fabriquer le plus simplement possible la mémoire de celui-ci. Pas une carte postale, pas un souvenir, mais un temps.
Tout le film est ainsi, sans facilité ni évidence. A partir d'une situation scénaristique, Kelly Reichardt enregistre la marche d'une jeune fille dans un monde inconnu, et plutôt hostile. Pas de raccourci ni de salut aléatoire - au contraire, la situation se durcit au fur et à mesure, et plus le film avance, plus il semble simple et vrai. La ville où Wendy fait une étape un peu forcée existe, les personnages secondaires ne sont pas des envoyés de Dieu ni des figures oedipiennes, et encore moins les symboles d'une idée qui serait inhérente à la tenue du film (si on excepte la croix très brillante autour du cou du vigile). Plus les choses existent, s'affirment, plus la cinéaste doute. Et elle rend compte, sans effet, au travers de ce doute, d'une épreuve, d'un dépouillement progressif, de la défaite d'un espoir et de ses préconceptions.
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