Affichage des articles dont le libellé est festival filmer l'invisible. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est festival filmer l'invisible. Afficher tous les articles

dimanche 28 novembre 2010

Lettre d'un cinéaste à sa fille - Eric Pauwels (2000) - festival Filmer l'invisible #5

Parce que sa fille lui a un jour demandé pourquoi il ne faisait pas des films pour enfants, Eric Pauwels a fait ce film. Qui n'est ni pour elle, ni pour les enfants. Qui touche à quelque chose d'universel.
Avec la toile d'araignée des Films rêvés, le cinéaste a gagné en ampleur. Mais cette Lettre, si simple paraît-elle quand on la compare aux ramifications complexes et magiques, à l'équilibre invisible, de son film suivant, n'est pas pour autant moins puissante.
Souvenirs, images sauvées de l'oubli, anecdotes et essais cinématographiques s'y côtoient selon une ligne droite, s'accumulant. Une ligne droite jusqu'au film pour enfants que sa fille lui réclamait, et que Pauwels résout en un hommage décalé au cinéma muet, une histoire infernale, atroce, "comme les aiment les petites filles". Les personnages de ce drame (un chien et une petite fille) réapparaîtront peu de temps après, sortant d'une épicerie dans une séquence qui n'appartient qu'au cinéaste. Il n'a pas pu s'empêcher de réintroduire de la banalité, du quotidien, dans le mystère un peu bancal qu'il venait de construire ex-nihilo. Il n'a pas pu s'empêcher de citer ses sources, de montrer autrement que par le spectacle ceux que le spectacle a à la fois magnifiés et épinglés. Pauwels n'est pas un taxidermiste. Il rend aux images leur liberté.
Son film est une méditation sur l'enfant qu'il n'est plus et sur le temps passé qui subsiste. L'espace de l'enfant a été déserté, mais son temps est présent. Et le cinéma fait se rejoindre espace et temps, comme, dit-il, dans cette seconde où les Indiens ont aperçu les vaisseaux de Christophe Colomb, et où Christophe Colomb a aperçu la terre des Indiens. Le cinéma n'est autre que cela, que ce séisme, que cette découverte insensée d'une coexistence inimaginable. Aussi le cinéaste colle-t-il entre eux les fragments d'une vie non réconciliée.

lundi 22 novembre 2010

Festival Filmer l'invisible #4 - La colonie, de Sergei Loznitsa & Dehors, de Marcin Sauter

Dehors, de Marcin Sauter

Quelques enfants dans la cour d’une ferme. L’une se bat avec un t-shirt, une autre raffole d’une glace, un autre encore se cache dans un pot. Le cinéaste les filme à leur hauteur, comme Ozu dans Bonjour, comme Edward Yang dans Yi Yi. Nous entrons dans leur monde. Nous voyons du monde ce qu’ils en voient, avec nos yeux de spectateurs adultes. Mais c’est un monde débarrassé de nous, de nos règles, bienséances, et structures d’accueil. Un monde sans école : une vacance. Il y a une innocence et une liberté qui confinent à l’anarchie. Et parvenir à saisir cela est la preuve d’un grand talent. En tout cas, c’est un très beau court-métrage.


La colonie, de Sergei Loznitsa

On voit des hommes travailler la terre. Ils bêchent, dispersent le foin, traversent des champs, s’amusent des bêtes. L’image noir et blanc nous parle d’un hors-temps, d’une ruralité vieille de mille ans (on pense aux photographies d’August Sander). Mais dans ces scènes champêtres, cartes postales d’une Russie trop idéale pour être honnête (où sont les machines, où sont les fils électriques, les publicités, les couleurs criardes du présent ?), il y a une étrangeté. Les corps ne répondent pas parfaitement aux figures imposées. Les visages ne sont pas tout à fait présent. On suspecte l’un d’être un peu simplet, l’autre de ne pas savoir se servir de ses jambes. On ne sait pas encore où on est. Quelque chose cloche. Un doute dans la tradition bucolique. On émet l’hypothèse d’une ferme collective ignorant tout de la perestroïka.

Et puis on voit une première infirmière, une seconde, une troisième. On les voit attendre les paysans. On voit un réfectoire. On s’approche des visages et alors on comprend : il s’agit d’une institution psychiatrique. Les trop vieilles images, le trop vieux monde est hanté par des fous, et la folie qu’on voit n’est pas psychologique, pas individuellement attribuée, mais elle est politique, mondiale, esthétique. Comme si elle était l’œuvre du temps.

La fin du film bouleverse, lorsque Loznitsa enchaîne les portraits en gros plans de malades luttant contre des années de souffrances pour sourire à la caméra ou pour s’en empêcher. Ce qu’il saisit là des hommes et de la lumière qui émane d’eux, de l’histoire dont leur visage semble être le livre, est sidérant. C’est l’élégie d’un voyage arrêté.

dimanche 14 novembre 2010

L'heure du berger, de Pierre Creton / Choses qui me rattachent aux êtres, de Boris Lehman / Ricercar, de Henry Colomer / Festival Filmer l'invisible#3

Deux films de Pierre Creton étaient présentés aujourd'hui au festival Filmer l'invisible à Beaubourg.
Le premier, Deng Guo Yuan, fait partie d'un recueil de 4 courts-métrages, et les programmateurs du festival ont cru bon de l'isoler. C'est dommage, car ce portrait d'un peintre chinois au travail est un peu sec, sans véritable déploiement ni proposition cinématographique fulgurante. Sans doute a-t-il une autre résonance au regard des trois autres.
Je dis sans doute, parce que le second film de Pierre Creton présenté aujourd'hui révèle un cinéaste extraordinaire. Cela s'appelle L'heure du berger, et l'on pense à l'heure du loup des films de Bergman, crépuscule où se réveille, malgré la vieillesse, le désir.
Au début des années 2000, Pierre Creton rencontre Jean et tourne un film avec lui, sur leur histoire d'amour naissante. Jean meurt pendant le tournage. Sept ans après sa mort, le cinéaste a racheté la maison de son ami et y vit. Il est ainsi question de l'occupation d'un territoire hanté par une absence, et de comment ce territoire se repeuple.
C'est un cinéma humble, fait de minuscules observations, de moments saisis selon la seule intuition du cinéaste et aucun scénario pré-écrit - et comment Pierre Creton pourrait-il écrire un scénario, lui a qui a vu le sujet principal de son précédent film disparaître en plein tournage ?
C'est donc une maison peuplée d'un cinéaste, d'animaux et d'amants, que nous voyons vivre pendant 40 courtes minutes.
Ce qui caractérise la méthode du cinéaste, ce qui la rend si particulière, c'est son attention extrême au concret. La magie de ce qui se passe et de ce que le film dit, sa dimension surnaturelle, n'est pas prédéterminée. Elle 'a lieu'. Mais pour cela, il faut définir le lieu, le délimiter, le circonscrire.
Et c'est ce qui survient lorsque le cinéaste filme une mouche prise au piège d'une toile d'araignée. Le plan est long, la mouche se débat mais ne parvient pas à se détacher de la toile, et l'araignée arrive, tricote, emballe sa proie et la tracte hors du cadre.
Le film est ainsi composé de séquences plutôt longues et d'autres presque imperceptibles, de plans quasi subliminaux. Cette couture, ce bricolage intuitif et puissamment évocateur, n'est pas sans rappeler les superbes Films rêvés d'Eric Pauwels. Ayant pour figures communes la toile d'araignée et la maison, ces deux films font du cinéma un art lié à la vie, au quotidien, aux expériences de chaque jour. Ce sont des creusets où toute une existence, aussi disparate soit-elle dans sa composition, vient se fondre en une même matière.

Parmi les séquences marquantes, il y a celle, haletante, où le cinéaste enfouit sa main nue dans un essaim d'abeilles. Il y a là à la fois un danger et une sensualité qui me font dire qu'on a devant les yeux le film d'un cinéaste intelligent et aventureux, sachant faire d'un moment tout un monde, tout un temps.
Plus tard, Pierre Creton est au lit, lisant, peu à peu colonisé par ses cinq chats et son chien. La séquence, là encore, est plutôt longue, et dit très bien l'absence qu'on tente de conjurer. La dit très bien, c'est-à-dire la dit discrètement, sans appuyer, sans rien filmer d'autre que ce qui est présent (que ce qui se présente).
D'autres images défilent mystérieusement : que veulent dire ces plans où le cinéaste, également coiffeur, coupe les cheveux de ses amants et filme les petits tas de cheveux amassés sur la table ? que signifie celui où le cinéaste, également dessinateur, coud l'image d'une maison, traversée par un fil ? L'heure du berger est composé de toutes ces choses hétéroclites, de tous ces moments choisis, de toutes les pratiques d'un homme habitant la maison d'un mort aimé. Film on ne peut plus vivant.
La première séquence révèle le passé du cinéaste. C'est une archive. Pierre Creton et son ami Jean lisent en même temps deux textes différents, assis autour de la table de la cuisine. Séquence naïve et joyeuse. On trouve dans celles de 2008 la même naïveté du geste, le même enthousiasme à filmer, mais la joie est imprégnée du souvenir.

Le cinéaste cite Cesare Pavese, dont les livres ont accompagné le tournage de L'heure du berger : « Un certain type de vie quotidienne (heures fixes, mêmes personnes, formes et lieux de piété) amenait des pensées surnaturelles. Sortir de ce schéma et les pensées s'envolent. » Formule appliquée à la lettre, hypothèse mise en pratique et vérifiée.

Il y avait aussi un court film de Boris Lehman, intitulé Choses qui me rattachent aux êtres. C'est un inventaire. Boris Lehman, chez lui, présente chaque objet venant d'ailleurs en les nommant et en les rattachant aux personnes qui les lui ont léguées. C'est aussi simple qu'un catalogue : le parapluie de Jeanne, la valise de Mathilde, le tableau de Félicie, etc... Ce sont des vignettes assez drôles, que le cinéaste accumule, en vue d'un autoportrait par l'altérité, d'une définition de lui-même par ce qui ne lui appartient pas.
Dans la deuxième partie du film, on assiste à un strip-tease à l'envers : le cinéaste s'habille de quelques vêtements oubliés par d'autres que lui. Je est un autre, je est un millier d'autres.
Ce court-métrage donne envie de découvrir plus amplement l'oeuvre de Boris Lehman.

Ricercar, de Henry Colomer, fait le portrait sans distance de gens très satisfaits d'eux-mêmes : quelques facteurs de clavecins et leurs amis interprètes. On les voit pendant une heure se regarder les uns les autres, ébahis par leurs prodiges respectifs, et pleins de cette fausse humilité traditionaliste qui consiste à dire qu'on fait de notre mieux, mais qu'on ne parviendra jamais à égaler les maîtres (morts au XVIIIème siècle pour les plus récents). Pourtant, la moindre petite boiserie fait l'objet d'une extase collective invraisemblable. Tout le monde sourit, tout le monde aime tout le monde, et on se chauffe au feu de bois. Il n'y a bien que le bruit des voitures qui entrave la béatitude générale. Rarement groupe de personnes ne m'avait paru aussi antipathique (la dernière fois, c'était dans La vie au ranch).

lundi 8 novembre 2010

La forteresse - Fernand Melgar - festival filmer l'invisible #2

C'est un documentaire se déroulant sur quelques semaines d'hiver au Centre d'enregistrement et de procédure de Vallorbe, où plusieurs centaines d'étrangers venus en Suisse font une demande d'asile. Ici, on leur vole leurs histoires. Celles qui ont l'air les plus 'vraies', celles qui font couler les larmes de leur narrateur, obtiennent un peu plus d'attention que les autres. L'asile n'est donné qu'à ceux qui savent se raconter. Dans les ordinateurs, les employés collectionnent ces histoires, et notent que le requérant semble très ému lorsqu'il s'arrête pour pleurer (unique indice de l'émotion : la larme).
La procédure est ainsi : pendant le mois passé dans le centre, le requérant aura deux entretiens. Autant dire des performances. S'il veut que son cas soit pris en considération, il devra donner de lui-même, ne pas mentir, ou du moins ne pas donner l'impression de mentir. On s'en rend compte assez vite, cette procédure est une fabrique de mensonges. On assiste à une compétition de larmes et de traumatismes en tout genre. Et le personnel de se réduire à deux hypothèses : croire, ou ne pas croire, à ce qui vient de lui être conté.
Le documentaire est très bon dans le sens où il prive le spectateur de cette logique binaire, désamorçant ce rapport à la parole des immigrés en le mettant en lumière. Nous sommes invités à comprendre ce qui circule dans ce lieu, de mensonges, de fabrications, de vérités, d'émotions, plus qu'à nous apitoyer sur le sort de quelques uns qui relève, de toute façon, de l'inconnaissable.

dimanche 7 novembre 2010

L'homme sans nom - Wang Bing - festival filmer l'invisible #1

L'homme sans nom est le portrait d'un homme qui a décidé de vivre loin de la civilisation. Il habite dans une grotte, au milieu d'un village aux maisons en torchis récemment abandonnées. Il fait pousser des racines, ramasse les crottes sur la route pour en faire du fumier, creuse, bêche, arrose. Et c'est tout.
Du moins est-ce ce que veut nous faire croire Wang Bing. Pourtant, on voit parfois des allumettes, des sacs plastiques, des outils. On voit parfois la découpe des toits d'une ville à l'horizon, furtivement. On entend des voitures passant non loin, mais le cinéaste ne les filme pas. Il y a tout un hors-champ qu'il occulte volontairement.
Si bien que le film semble privé de dialectique. Que se passe-t-il quand cet homme va en ville acheter des allumettes ? On voudrait le savoir, mais le cinéaste ne nous le montre pas.
Le film, dont le tournage a duré deux ans, se déroule en suivant les quatre saisons. Quatre repas et quatre sorties. La neige, la pluie, la grisaille, le beau temps - et toujours le travail, car l'homme sans nom travaille sans trêve et ne fait rien d'autre, plus encore que le plus laborieux des hommes du monde civilisé.
Quelque chose ne fonctionne pas. Quelque chose manque. Ce hors-champ peut-être. Cette partie du monde dont le cinéaste nous prive, filmant tout le temps presque sous le même angle. Qu'y a-t-il que nous ne devrions pas voir ? Qu'y a-t-il qui ferait s'effondrer l'utopie de son film ? C'est là, en vérité, qu'est le film. Mais Wang Bing n'y va pas. Est-ce qu'il ment ? Est-ce qu'il triche ? Quoiqu'il en soit, il livre un travail consciencieux, littéral, bien inférieur au sidérant A l'ouest des rails.