Affichage des articles dont le libellé est Ulla von Brandenburg. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Ulla von Brandenburg. Afficher tous les articles

samedi 6 novembre 2010

Neue Alte Welt, de Ulla von Brandenburg, à la galerie art:concept


On entre dans la galerie, un samedi après-midi de pluie. Il n'y a personne. C'est une pièce blanche, elle semble être en préparation, il y a quelque chose de posé par terre, un petit bout de papier sur le mur à droite, deux rideaux suspendus à gauche. Des rideaux rectangulaires, brûlés par le soleil. Contre le premier sont posés trois bâtons, contre le second un cerceau. Ce sont comme deux portes dans la pièce blanche, deux alcôves très anciennes dans cet espace contemporain. Mais elles n'ouvrent sur rien. Elles sont illusoires. Elles sont les traces d'un monde auquel nous n'avons plus accès. Peut-être faudrait-il jouer de ces trois bâtons ou de ce cerceau.
On s'approche de la boîte posée par terre. Il y a quelques rubans colorés à l'intérieur. C'est la deuxième fois que je vois le travail de Ulla von Brandenburg, et je me souviens que la première fois, j'avais d'abord été aussi circonspect qu'aujourd'hui. Ca commence doucement, mystérieusement. Il y a des indices, mais il y en a peu, et on ne saisit pas tout de suite la cohérence de l'ensemble. Malgré tout, on sait que quelque chose se prépare.
Il y a une autre pièce, au fond. On entre en passant sous une série de cravates colorées suspendues à un fil. On s'assoit face à l'écran. Le film Chorspiel commence.
C'est en noir et blanc et en 16mm, et c'est un plan-séquence, comme tous les autres films de Ulla von Brandenburg. Ca se passe dans une clairière. Il y a un rectangle d'herbe peinte en blanc sur lequel on voit des acteurs. C'est une scène, un théâtre en plein air - c'est la pièce d'une maison qui se serait effondrée. Les acteurs semblent être chez eux. Pourtant, autour d'eux, il n'y a que la forêt. La caméra circule, d'un plan d'ensemble à un visage en passant par un autre, tournoie, glisse, simplement, sans ostentation. Elle décrit un mouvement qui est celui de l'intrigue. Elle essaie de capter ce qui circule entre les êtres, en empruntant les mêmes chemins.
Les acteurs chantent, mais ce ne sont pas leur voix. Quand ils ouvrent la bouche, ils prononcent une chanson qui vient d'ailleurs. Parfois, un acteur chante, et l'on entend plusieurs voix. Parfois, personne ne chante, et l'on entend un choeur, qu'une jeune fille semble percevoir, scrutant la forêt, l'herbe, le ciel.
Un homme arrive. Son retour est un événement. Il porte avec lui une boîte qu'il n'ouvrira pas. Il dit revenir d'une ville étrangère où il devait porter un papier. La vieille dame ne le comprend pas, le reconnaît à peine. La jeune fille semble l'aimer.
C'est dans cette ville qu'il a trouvé cette boîte. Mais il a perdu son bâton. Et la femme d'âge moyen tente de le consoler, tandis que la jeune fille tricote quelque chose d'informe dans quoi elle ne cesse de passer ses mains.
Le film terminé, on traverse de nouveau la première salle, et on revoit ce papier plié, cette boîte pleine de rubans colorés, ces rideaux brûlés et ces bâtons. Tout prend sens alors. C'est l'accès à un monde vieux, que l'homme de retour a perdu. L'entrée d'un rêve qu'il a dû quitter, sachant qu'il n'y reviendra plus. Il faut très peu de choses à Ulla von Brandenburg pour raconter une histoire et bâtir un monde. Elle suggère plus qu'elle ne représente.

vendredi 15 mai 2009

Exposition Name or Number, de Ulla von Brandenburg, au Plateau

Dans la nuit de samedi à dimanche, on a volé la cravate orange du pendu qui surplombait l'entrée du Plateau. Un pendu double, pendu par le cou à un porte-drapeau, et pendu par les pieds à ses propres pieds - condamné à ne refléter personne d'autre que lui-même (moins la cravate, donc).
Name or Number, c'est le titre de l'exposition, construite selon des principes de répétitions, d'extractions, et de circulations - on regarde une vidéo, et, soudain, au détour d'un couloir, surgit un objet vu dans cette vidéo (une canne, un bout de tissu); on s'assied face à un film, et on se rend compte que les acteurs sont assis sur les mêmes sièges que nous... Plus qu'une mise à distance, ou qu'une mise au passé de la représentation exposée, il s'agirait plutôt de traces, de ponts entre les temps, entre intérieur et extérieur, entre oeuvre et public. Une manière de décloisonner les disciplines (vidéo, peinture, installation), de faire qu'elles participent de la même exposition, d'un même parcours. Il s'agit de construire à la fois la vidéo, et les conditions de sa projection - pas de marge, pas d'alcôve exclusive, pas de recréation d'une salle de cinéma en miniature et en moins confortable.

On est d'abord accueilli, après un passage à travers un rideau, par Around, vidéo en noir et blanc de 2005, où la caméra, dans une rue déserte figurant un passé ouvrier, tourne autour d'une dizaine de jeunes gens, lesquels nous tournent invariablement le dos, sans qu'on s'aperçoive de leurs mouvements infimes pour rester dans l'axe. Il y a une tension dans cette performance, les corps se mélangent, trouvent de nouvelles combinaisons, et l'on ne verra jamais leur visage. Le vent qui souffle sur leurs vêtements prend une ampleur incroyable. Ces personnages sont comme les esprits révoltés de cette rue, à la fois affrontant et refusant. De leurs combinaisons variables naissent des phrases magiques, des slogans ancestraux.

Ensuite, on passe dans une forêt circulaire, et à travers un labyrinthe de rideaux colorés, évoquant un jeu de cartes et duquel se dégagent des impressions à la fois vives et anciennes (on pourrait parler de permanence). Jusqu'à ce que, au sein de ce labyrinthe, l'artiste nous invite à nous asseoir devant une autre vidéo, nommée 8. On y suit une caméra spectrale dans les pièces multiples d'un château, où sont figés des personnages dans d'étranges rituels - l'un tient une bande de tissu entre ses mains qui forme un 8 (et le 8, on le sait, c'est l'infini debout - infinie circulation dans ces espaces - on entre dans la vidéo à n'importe quel moment - la coupe se fait sur le motif d'un tableau - il n'y a pas la moindre obsession pour un début ou pour une fin), un autre se met le doigt dans l'oeil, deux jouent aux cartes, un joue de la flûte dans un escalier - est-ce une famille, des fantômes, des figures du passé ? On pense à Marienbad. Même fixité des corps, même absence à eux-mêmes et même présence statuaire au lieu. Quelque chose de malade a infiltré le château. un homme est allongé dans une pièce, on retrouve autour de lui les acteurs déjà aperçus dans d'autres situations. Ce qu'explore Ulla von Brandenburg, c'est la façon dont le souvenir s'articule et se ramifie, se cristallise autour d'un drame, et se diffracte en une myriade de gestes arrêtés.

Et puis vient la dernière pièce, après une peinture murale orange où sont découpés les visages multiples d'un public. Plus on s'approche, moins les visages apparaissent comme tels - ils deviennent pure forme - on ne voit pas ce qu'ils regardent, seulement le début d'une scène, on ne voit que leur regard, et leur manière de se dissoudre dans cet état de spectateur.

La dernière vidéo se nomme Siegspiel - elle a été conçue spécialement pour cette exposition, et l'on voit apparaître de façon éclatante ce qui jusqu'à présent était absent du travail de l'artiste : le son. Une chanson, écrite et interprétée par l'artiste, que doublent en playback les personnages cette fois mobiles de la vidéo, réunis dans une villa construite par Le Corbusier.
Encore une fois, c'est un long travelling tourbillonnant, de pièce en pièce, de personnage isolé en personnage isolé (une femme essaie en vain d'ouvrir une porte, une autre se lave les mains...), jusqu'à une réunion (familiale ?) autour d'un café et d'un gâteau, où les personnages chantent, les uns après les autres. Mais cette fois-ci, on les retrouve de nouveau réunis, dans le jardin, dans un théâtre de fortune, où la chanson se rejoue différemment. La mise en perspective est superbe. Une douleur s'écrase. On pense à La mouette de Tchekhov, à cette façon de représenter autrement ce qui l'a déjà été. Mettre en forme une dégénérescence.

Quelque chose là-dedans bouleverse : Ulla von Brandenburg semble explorer un mystère à la fois intime et mondial, entrer dans des strates de perceptions sensorielles et magiques, cérébrales et physiques. L'exposition a tout du rituel, de l'épreuve initiatique, de l'enquête et de la quête. Une énigme sans résolution nette la tient d'un bout à l'autre.