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jeudi 31 décembre 2009

en 2009, dix films

1. Primitive, l'exposition et les courts-métrages (Primitive, Phantoms of Nabua, A letter to uncle Boonmee) - Apichatpong Weerasethakul
2. Le temps qu'il reste - Elia Suleiman
3. Inland - Tariq Téguia
4. Le miroir magique - Manoel de Oliveira
5. Tetro - Francis Coppola
6. Moon - Duncan Jones
7. The limits of control - Jim Jarmusch
8. 24 city - Jia Zhang-Ke
9. La religieuse portugaise - Eugène Green
10. Visage - Tsai Ming-Liang

mardi 8 décembre 2009

Le pont des arts - Eugène Green

Eugène Green a saisi cette chose unique : le moment où la pensée devient matière - où, du silence, on passe au lien - où on se lie au monde par des mots. L'incarnation, c'est le sujet permanent des films de Green.
Cela est d'autant plus frappant qu'on part de très bas : corps raides, dialogues sans naturel, diction détachée du sens et appliquée au respect d'une règle illusoire. Mais quand soudain quelque chose se met à vivre, c'est avec la violence d'une épiphanie.
On peut encore rapprocher ce film d'Eugène Green du Hadewijch de Bruno Dumont : une rencontre toujours retardée. Seulement, lorsque cette rencontre survient, ce n'est pas un couperet (l'option Dumont, bon débarras), mais une révélation - le film alors s'envole, et nous fait croire autant aux fantômes qu'aux liaisons, aux regards caméra, ou à la sociologie lacunaire (voire grotesque) du microcosme dépeint.
Certains effets sont saisissants : comme ces cartons au théâtre no, décrivant par des mots l'action sur scène en contrechamp du public, exemple parfait d'une représentation à la fois économique et généreuse, qui n'a pas peur ni de la digression ni du spectaculaire, mais qui s'en empare modestement.
Dire aussi que Natacha Régnier et Alexis Loret sont deux très bons acteurs qui savent choisir leurs films (Régnier jouera dans le prochain Angela Schanelec).

mercredi 2 décembre 2009

La religieuse portugaise - Eugène Green

La religieuse portugaise est le portrait d'une femme, jeune actrice en tournage à Lisbonne dans un "film intellectuel", se révélant au gré des rencontres - soit un homme qui pensait faire de sa vie un roman russe, un acteur très heureux dans son mariage mais pas contre une aventure sans lendemain, un gamin livré à lui-même, une réincarnation de San Sebastiao, et la religieuse du titre.
Le cinéma d'Eugène Green est guindé. Champ/contrechamp, regards caméra, diction millimétrée, liaisons toutes zeffectuées. Mais, parfois, au sein de ce cinéma dans les règles de l'art, quelque chose éclate, se met à vibrer. Là, c'est le film entier qui vibre, qui transpire le désir de dire quelque chose, de préciser une pensée, parmi les plus belles et les plus fugaces. Qu'est-ce que vivre ? Qu'est-ce qu'être au monde ?
De la fragilité de son personnage principal, de ses yeux grands ouverts, de sa robe qui devient transparente dans l'ombre d'une ruelle, de sa sensualité raide, attentive, Green tire une qualité d'observation et d'écoute qui a quelque chose à voir avec l'errance et la solitude. Les rencontres, fabriquées, très écrites, en sont de vraies pour le spectateur.
Il y a une scène dans ce film qui est à la fois un miracle et un attentat. Les personnages assistent à un concert de fado. La chanteuse chante une chanson en entier, tandis que la caméra découpe le public, s'arrête sur tel visage, tel autre, s'attarde à une table, observe une main, revient vers la chanteuse. Tout le monde applaudit. Et la chanteuse chante une deuxième chanson, en entier elle aussi. Ce temps volé à l'efficacité du récit est le temps de l'émotion - elle creuse le film (elle n'est pas scénaristique, elle semble venir de la nuit, du fleuve, ou de l'océan), le démultiplie, et ouvre pour le spectateur un millier de places possibles - si nous suivons les aventures d'une actrice à Lisbonne, nous ne sommes pas les esclaves d'une histoire jouée d'avance - nous pouvons nous arrêter, distraits par un détail, le fragment d'un plan.
Le cinéma de Green, au-delà de son mimétisme bressonnien, cultive l'arrêt comme figure récurrente. Tel visage m'arrête, tel chant, telle lumière, telle rue, telle histoire - telle autre passe sans s'inscrire durablement en moi. C'est d'ailleurs la grande question de l'héroïne, à laquelle un certain nombre de cartes ont été distribuées : qu'est-ce qui va faire jouer ma vie ? où, dans quelle ville, contre quel corps m'inscrire ? quel acte aurait du sens ?
A la fois limpide et subtil, il y a chez Eugène Green une qualité du lien, de l'échange. Cela n'a rien à voir avec une quelconque importance (comme quelque chose qui s'imposerait) ou une hiérarchie, mais plutôt avec une étrange alchimie du désir et du choix, du libre-arbitre et du hasard. L'évidence devient le guide sensible d'une exsitence, mais pas sa loi - car il y a mille autres évidences possibles. La religieuse portugaise parle de l'absolu - de l'absolu et de sa dédramatisation, reconnu mais pas subi.
L'autre scène double du film est une scène de tournage. L'héroïne a pour indication de regarder l'océan, tourner son visage vers la caméra, et pleurer. Elle le fait. Il y a une deuxième prise. Elle regarde l'océan, tourne son visage vers la caméra, et sourit. Le sourire lui a soudain semblé plus juste que les larmes. Elle n'est pas sûre, elle ne l'impose pas à son metteur en scène comme la seule vérité dramaturgique, mais elle le croit. Le sourire a triomphé des préconceptions scénaristiques, des mythes cinématographiques. Et le film rayonne avec l'actrice, de cette découverte calme, de cette inspiration, de cette paix conquise. Quelque chose va continuer (l'enfant, le film, et peut-être les hasards de San Sebastao) loin de Lisbonne, et loin du cinéma. Quelque chose se passera de cinéma.