samedi 15 août 2009

Le temps qu'il reste - The time that remains - Elia Suleiman



C'est le genre de film qui parvient à modifier mon regard sur le monde (je ne parle pas de géopolitique, je parle de quotidien, de présence physique des êtres et des objets) - prendre le métro, après avoir vu Le temps qu'il reste, a été toute une aventure.
A certains moments, j'ai cru que le film allait devenir mécanique, un peu creux - et à chaque fois, quand je commençais à douter de la suite des événements, Elia Suleiman revenait me chercher, par le rire ou par l'émotion, avec toujours du cinéma sous-tendant tout cela.
C'est immense, l'énergie d'invention mise en oeuvre ici, le nombre de paliers que le film franchit. Jamais ça ne se contente de ce qui a été mis en place - et pourtant ça se densifie à chaque fois.
Sur la relation d'un fils adulte à ses parents âgés, je n'ai jamais rien vu de plus beau ni de plus simple (c'est le versant lumineux du Voyage à Tokyo - avec un début similaire, proche du film de genre). Je ne veux pas raconter la scène, mais il y a un moment sur un balcon, avec un tout petit mouvement de jambe sous une table, qui est d'une puissance inimaginable.
On compare souvent Suleiman à Buster Keaton. Keaton, à mon sens, est une déflagration mélancolique ; Suleiman, c'est autre chose. Ni Tati, ni Chaplin, ni Keaton - c'est un mutisme en révolte, une implosivité florissante, pleine de symptômes, de manifestations créatrices (non symboliques ni métaphoriques : des prolongements de l'intimité dans le monde, des arborescences du Moi - ainsi passe-t-on d'un infime mouvement de jambes à un gigantesque feu d'artifice).

Pour ce qui est de la question idéologique, la réponse est simple : les films israéliens sans cinéma avec lesquels on nous accable depuis deux ou trois ans (Les méduses, Jaffa, Bubble, Les citronniers, La visite de la fanfare, Zion et son frère...) sont considérés comme 'neutres' (donc de bon goût) justement parce qu'ils sont sans cinéma. L'absence de talent est la seule solution pour camoufler un propos, de toute façon politique, quel que soit le pays. Et ne pas faire de cinéma est, je crois, une manière de rejoindre le camp de la politique majoritaire, la plus invisible mais la plus perverse. Ajoutons à cela qu'en France, un film palestinien sort en salles contre trente israéliens. Ce seul fait est politique. Alors Elia Suleiman crie peut-être un peu plus fort, mais cela ne déséquilibre rien du tout.

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