La religieuse portugaise est le portrait d'une femme, jeune actrice en tournage à Lisbonne dans un "film intellectuel", se révélant au gré des rencontres - soit un homme qui pensait faire de sa vie un roman russe, un acteur très heureux dans son mariage mais pas contre une aventure sans lendemain, un gamin livré à lui-même, une réincarnation de San Sebastiao, et la religieuse du titre.
Le cinéma d'Eugène Green est guindé. Champ/contrechamp, regards caméra, diction millimétrée, liaisons toutes zeffectuées. Mais, parfois, au sein de ce cinéma dans les règles de l'art, quelque chose éclate, se met à vibrer. Là, c'est le film entier qui vibre, qui transpire le désir de dire quelque chose, de préciser une pensée, parmi les plus belles et les plus fugaces. Qu'est-ce que vivre ? Qu'est-ce qu'être au monde ?
De la fragilité de son personnage principal, de ses yeux grands ouverts, de sa robe qui devient transparente dans l'ombre d'une ruelle, de sa sensualité raide, attentive, Green tire une qualité d'observation et d'écoute qui a quelque chose à voir avec l'errance et la solitude. Les rencontres, fabriquées, très écrites, en sont de vraies pour le spectateur.
Il y a une scène dans ce film qui est à la fois un miracle et un attentat. Les personnages assistent à un concert de fado. La chanteuse chante une chanson en entier, tandis que la caméra découpe le public, s'arrête sur tel visage, tel autre, s'attarde à une table, observe une main, revient vers la chanteuse. Tout le monde applaudit. Et la chanteuse chante une deuxième chanson, en entier elle aussi. Ce temps volé à l'efficacité du récit est le temps de l'émotion - elle creuse le film (elle n'est pas scénaristique, elle semble venir de la nuit, du fleuve, ou de l'océan), le démultiplie, et ouvre pour le spectateur un millier de places possibles - si nous suivons les aventures d'une actrice à Lisbonne, nous ne sommes pas les esclaves d'une histoire jouée d'avance - nous pouvons nous arrêter, distraits par un détail, le fragment d'un plan.
Le cinéma de Green, au-delà de son mimétisme bressonnien, cultive l'arrêt comme figure récurrente. Tel visage m'arrête, tel chant, telle lumière, telle rue, telle histoire - telle autre passe sans s'inscrire durablement en moi. C'est d'ailleurs la grande question de l'héroïne, à laquelle un certain nombre de cartes ont été distribuées : qu'est-ce qui va faire jouer ma vie ? où, dans quelle ville, contre quel corps m'inscrire ? quel acte aurait du sens ?
A la fois limpide et subtil, il y a chez Eugène Green une qualité du lien, de l'échange. Cela n'a rien à voir avec une quelconque importance (comme quelque chose qui s'imposerait) ou une hiérarchie, mais plutôt avec une étrange alchimie du désir et du choix, du libre-arbitre et du hasard. L'évidence devient le guide sensible d'une exsitence, mais pas sa loi - car il y a mille autres évidences possibles. La religieuse portugaise parle de l'absolu - de l'absolu et de sa dédramatisation, reconnu mais pas subi.
L'autre scène double du film est une scène de tournage. L'héroïne a pour indication de regarder l'océan, tourner son visage vers la caméra, et pleurer. Elle le fait. Il y a une deuxième prise. Elle regarde l'océan, tourne son visage vers la caméra, et sourit. Le sourire lui a soudain semblé plus juste que les larmes. Elle n'est pas sûre, elle ne l'impose pas à son metteur en scène comme la seule vérité dramaturgique, mais elle le croit. Le sourire a triomphé des préconceptions scénaristiques, des mythes cinématographiques. Et le film rayonne avec l'actrice, de cette découverte calme, de cette inspiration, de cette paix conquise. Quelque chose va continuer (l'enfant, le film, et peut-être les hasards de San Sebastao) loin de Lisbonne, et loin du cinéma. Quelque chose se passera de cinéma.
Le cinéma d'Eugène Green est guindé. Champ/contrechamp, regards caméra, diction millimétrée, liaisons toutes zeffectuées. Mais, parfois, au sein de ce cinéma dans les règles de l'art, quelque chose éclate, se met à vibrer. Là, c'est le film entier qui vibre, qui transpire le désir de dire quelque chose, de préciser une pensée, parmi les plus belles et les plus fugaces. Qu'est-ce que vivre ? Qu'est-ce qu'être au monde ?
De la fragilité de son personnage principal, de ses yeux grands ouverts, de sa robe qui devient transparente dans l'ombre d'une ruelle, de sa sensualité raide, attentive, Green tire une qualité d'observation et d'écoute qui a quelque chose à voir avec l'errance et la solitude. Les rencontres, fabriquées, très écrites, en sont de vraies pour le spectateur.
Il y a une scène dans ce film qui est à la fois un miracle et un attentat. Les personnages assistent à un concert de fado. La chanteuse chante une chanson en entier, tandis que la caméra découpe le public, s'arrête sur tel visage, tel autre, s'attarde à une table, observe une main, revient vers la chanteuse. Tout le monde applaudit. Et la chanteuse chante une deuxième chanson, en entier elle aussi. Ce temps volé à l'efficacité du récit est le temps de l'émotion - elle creuse le film (elle n'est pas scénaristique, elle semble venir de la nuit, du fleuve, ou de l'océan), le démultiplie, et ouvre pour le spectateur un millier de places possibles - si nous suivons les aventures d'une actrice à Lisbonne, nous ne sommes pas les esclaves d'une histoire jouée d'avance - nous pouvons nous arrêter, distraits par un détail, le fragment d'un plan.
Le cinéma de Green, au-delà de son mimétisme bressonnien, cultive l'arrêt comme figure récurrente. Tel visage m'arrête, tel chant, telle lumière, telle rue, telle histoire - telle autre passe sans s'inscrire durablement en moi. C'est d'ailleurs la grande question de l'héroïne, à laquelle un certain nombre de cartes ont été distribuées : qu'est-ce qui va faire jouer ma vie ? où, dans quelle ville, contre quel corps m'inscrire ? quel acte aurait du sens ?
A la fois limpide et subtil, il y a chez Eugène Green une qualité du lien, de l'échange. Cela n'a rien à voir avec une quelconque importance (comme quelque chose qui s'imposerait) ou une hiérarchie, mais plutôt avec une étrange alchimie du désir et du choix, du libre-arbitre et du hasard. L'évidence devient le guide sensible d'une exsitence, mais pas sa loi - car il y a mille autres évidences possibles. La religieuse portugaise parle de l'absolu - de l'absolu et de sa dédramatisation, reconnu mais pas subi.
L'autre scène double du film est une scène de tournage. L'héroïne a pour indication de regarder l'océan, tourner son visage vers la caméra, et pleurer. Elle le fait. Il y a une deuxième prise. Elle regarde l'océan, tourne son visage vers la caméra, et sourit. Le sourire lui a soudain semblé plus juste que les larmes. Elle n'est pas sûre, elle ne l'impose pas à son metteur en scène comme la seule vérité dramaturgique, mais elle le croit. Le sourire a triomphé des préconceptions scénaristiques, des mythes cinématographiques. Et le film rayonne avec l'actrice, de cette découverte calme, de cette inspiration, de cette paix conquise. Quelque chose va continuer (l'enfant, le film, et peut-être les hasards de San Sebastao) loin de Lisbonne, et loin du cinéma. Quelque chose se passera de cinéma.
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