Affichage des articles dont le libellé est Jafar Panahi. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Jafar Panahi. Afficher tous les articles

mardi 27 décembre 2011

Le miroir - Jafar Panahi - Ayneh (1997)

Le cinéma de Jafar Panahi instille le doute avec beaucoup d’assurance. Assurance formelle d’abord. Dès le premier plan, on est renseigné sur un fait : Le miroir sera un film de mise en scène. La caméra, plantée au milieu d’un carrefour, va, comme la pointe d’un compas, saisir la sortie d’une école, le mouvement des élèves traversant deux rues, la troisième qu’un vieillard risque de ne pas franchir sain et sauf, et la quatrième où on verra une femme venant récupérer une des trois filles restées devant la grille. Premier cercle. Restent deux filles. Elles discutent et leur discussion nous renseigne sur le principe du film : Mina attend sa mère, qui a oublié de venir la chercher, et elle va devoir rentrer chez elle toute seule, malgré son bras cassé, son gros foulard et son anorak rose trois fois plus gros qu’elle. La caméra refait un cercle, suivant Mina cette fois, seule contre les cabines téléphoniques pas à sa taille, contre la circulation incessante, contre le vieillard qui ne veut toujours pas traverser – le cercle est une figure chère à Jafar Panahi, figure parfaite, ici donnée d’emblée, que le film s’ingéniera, ensuite, à contredire, par le brouillon, l’esquisse, la rature.

Une grosse rature surgit au milieu du film, que Ceci n’est pas un film dévoilait comme la scène primitive d’une psyché de cinéaste : Mina n’en peut plus de prendre des bus et d’entendre des âneries, elle veut arrêter le tournage. Jafar Panahi filme ça, cette colère soudaine, ce refus d’aller au bout de ce qui était prévu. Ce sera la charnière, le point de bascule : il y a, dans le cinéma, une place pour l’inattendu – ou du moins faut-il faire cette place. La mise en scène ne sera plus assujettie au scénario (Mina rentrera-t-elle chez elle ?), c’est-à-dire à sa fin, mais elle se déploiera, en multipliant les questions qu’elle seule peut poser : qui est Mina ? qui est Jafar Panahi ? qu’est-ce que c’est, Téhéran ? Le miroir, c’est la surface où viennent se rejoindre deux mondes : la fiction et le réel, la vie et le cinéma, Mina l’actrice et Mina le personnage. Est-ce qu’ils se ressemblent ? Qui régit ces images ? Un film est une rencontre entre l’image qu’on fait de nous et l’image qu’on devient – donner aux images une profondeur toute en surface, en affleurements, par l’histoire, par la durée, par les écarts qu’on ménage et par les codes qu’on donne ou qu’on retire de notre entendement.

La suite est un mélange étrange, souvent indistinct, de moments préparés et d’autres volés : la jeune actrice joue-t-elle à être une jeune actrice qui ne veut plus jouer dans le film ? On ne sait plus. On ne cesse de mettre en doute ce que nous voyons. Parfois nous ne voyons plus rien, nous sommes dans un embouteillage, nous perdons Mina, nous l’entendons seulement grâce au micro qu’elle a oublié de rendre, mais il arrive que nous ne l’entendions plus, parce que le son se perd aussi, et le film donne à voir autre chose, et pourtant il ne cesse de parler de Mina rentrant chez elle. C’est à cette position que nous assigne Panahi : celle du questionnement. Nous ne sommes pas de simples passagers d’un bus dans Téhéran, nous sommes les passagers d’un film. Et plutôt qu’à l’organisation de réponses prévues d’avance (le beau, mais quasiment hollywoodien, moment dans le bus où hommes et femmes sont séparés, où une vieille dame raconte sa vie, où un jeune homme tenant des lampes regarde une jeune fille assise au fond), c’est à l’extension des questions que nous allons assister, une manière de faire déborder celles-ci hors de l’histoire, dans la vie.

Quand on dit d’un film qu’il doit poser des questions plus qu’il ne doit apporter de réponses, c’est de ça qu’il s’agit : les questions vont nous accompagner. Panahi nous montre comment le cinéma peut traverser. Ce n’est pas seulement distinguer le vrai du faux, ce n’est pas qu’une histoire de caméra cachée, c’est surtout savoir, en permanence, ce qui nous meut, seul, dans une ville, ce qui fait qu’on veut quelque chose un temps puis qu’on ne le veut plus, ce qui, dans cette décision de ne plus vouloir, prolonge en l’altérant la volonté, ce qui fait qu’on s’obstine, ce qui fait qu’on renonce, et ce qui fait qu’un individu se soulève contre le destin qui lui est imposé. Etre attentif à toutes ces choses, voilà ce à quoi Le miroir nous incite.

lundi 3 octobre 2011

Ceci n'est pas un film - Jafar Panahi & Mojtaba Mirtahmasb

A quoi ressemble un cinéaste à qui l'on a interdit de faire du cinéma ? A un homme qui fait quand même du cinéma. Le titre n'est pas identique au précepte magrittien. Plus qu'une déclaration surréaliste, il s'agit d'une plainte. Le surréalisme est renvoyé à la justice iranienne.

Un homme, seul, chez lui, s'ennuie. Quelqu'un qui n'aurait jamais entendu parler de Jafar Panahi verrait qu'il manque quelque chose à cet homme. Dès les premiers plans, ce manque est palpable. On dirait du Sofia Coppola : appartement bourgeois, démarche Droopy, téléphone qu'on n'a pas besoin de tenir à la main, gourmandise d'un carré de sucre dans la bouche avant de boire une gorgée de thé. Mais, très vite, Jafar Panahi renvoie aux oubliettes le désoeuvrement : il trouve ces images fausses, ce n'est pas lui qu'on voit. Le film va avancer ainsi, par reniements successifs, jusqu'à l'image juste, jusqu'à la scène qui montrera l'homme et, montrant l'homme, montrera le monde pesant sur lui. C'est cela qui a toujours fait la force des films de Panahi : une permanente remise en question de la représentation. Tout est toujours négociable, comme nous l'indique cette ahurissante séquence d'un film passé, Le miroir, où la jeune fille jouant le rôle principal décide d'arrêter le tournage. Pour Jafar Panahi, la loi n'existe que pour les cas particuliers qu'elle génère. La justice est morte, mais la jurisprudence est toujours en jeu.
Pour cela, pour que la question existe, il faut faire intervenir l'autre, un ami, le cinéaste Mojtaba Mirtahmasb. Là aussi, on reconnaît bien le cinéma de Panahi : on est loin de l'isolement des figures sartriennes, la parole se confronte aux autres, qui n'en sont pas privés. Le dialogue est peut-être la clef de l'existence.

Ceci n'est pas un film est une leçon de cinéma où personne ne pose en maestro. Que Panahi ait invité Mirtahmasb à venir le filmer est une nécessité légale, certes, mais pas seulement : Mirtahmasb porte avec lui un cinéma que Panahi n'imagine pas, un cinéma de l'instant, qui s'appuie sur des connaissances techniques simples et fait fi de toute contrainte, simplement pour "documenter" (c'est le terme employé par Mirtahmasb, reprochant à Panahi de n'avoir pas filmé les jours qui ont suivi son arrestation). Panahi a été un cinéaste académique (au sens gouvernemental du terme : ses films ont été financés) et ne sait rien des notions d'éclairage et de qualité d'image. Il a toujours eu une équipe technique. Aujourd'hui, n'ayant plus l'autorisation de travailler, il va devoir apprendre à travailler autrement, et il n'a pour cela que l'amitié de quelques uns venant encore se confronter à lui, à sa peur de faire des films qui n'en sont pas, qui ne peuvent pas en être, qui ne ressembleront pas à ce qu'il a fait. Travailler autrement : faire de l'interdiction de travailler le sujet de son travail.

Et si Panahi reçoit une leçon prodigieusement efficace (le soir-même, il s'empare de la caméra et filme les arcanes de son immeuble grâce à la rencontre qu'il fait d'un concierge remplaçant), il dit aussi ce qu'il sait du cinéma : tout est question d'espace. Sur le tapis de son salon, il mime pour le non-film le film qu'il voudrait faire. On se rend compte que l'architecture du lieu joue un rôle presque aussi important que l'histoire. Les films de Panahi n'ont cessé de définir des frontières. On pourrait s'amuser que Ceci n'est pas un film en définisse une autre : l'espace filmable (l'appartement) contre la rue où retentissent les pétards de la fête du feu, espace sur lequel on gagne toujours quelques mètres, par la vue du balcon, par les sons qui nous viennent de l'extérieur, par la fenêtre ouverte, par les informations télévisées, par les coups de téléphone reçus, par les étages qu'on descend en ascenseur, par le sous-sol, et par la grille enfin qui se referme sur le cinéaste.
Mais, plus important encore que l'espace, la rencontre. C'est elle qui préside au cinéma - ce sont les yeux bizarres de l'acteur de Sang et Or qui font la scène, nous dit et nous prouve Panahi revisitant sa filmographie ; de même, c'est le concierge qui ouvre la porte de l'ascenseur, c'est lui qui montre le monde, c'est à travers lui que le cinéma s'incarne. Et c'est en le voyant qu'on voit le mieux qui est Panahi : un homme amoureux du monde, à qui on a interdit de filmer cet amour, mais qui le fait quand même, comme il le peut désormais.




La pétition est ici :
http://www.petitiononline.com/FJP2310/petition.html

jeudi 25 mars 2010

Et la vie continue - Zendegi va digar hich - Abbas Kiarostami - (et plus généralement sur ce que je connais du cinéma iranien)

J'ai revu récemment Et la vie continue, de Abbas Kiarostami. Ce qui m'a le plus frappé, c'est la façon dont les personnages, malgré l'action, malgré l'intrigue, malgré ce qui leur arrive, ne cessent de négocier. D'un côté le père, négociant son chemin sur les routes endommagées, de l'autre le fils, persuadé que le match de la coupe du monde diffusé le soir du tremblement de terre opposait l'Ecosse au Brésil, et non l'Argentine, comme le prétend son père. Si Kiarostami parle du tremblement de terre, s'il parle de la détresse des survivants, il filme surtout la victoire d'un père sur une route pourtant interdite, et la victoire d'un fils sur son père ; rien de lourdement oedipien là-dedans, il s'agit seulement d'avoir raison, de franchir ce qui est infranchissable.
On voit cela souvent dans le cinéma iranien. Chez Kiarostami d'abord, dans
Où est la maison de mon ami ?, quand le petit garçon explique à sa mère qu'avant de faire ses devoirs, il doit d'abord et avant tout rendre le cahier que par mégarde il a pris à son ami. Sa mère s'oppose à sa volonté. Il s'obstine. N'obtient l'accord de personne. Finit par s'affranchir de l'interdiction pour accomplir ce qui lui semble le plus juste et le plus nécessaire (et nous savons, nous, spectateurs, que l'enfant a absolument raison - il en va du destin de son ami et de l'injustice à laquelle il serait confronté si le cahier ne lui était pas rendu).
Chez Jafar Panahi également, dans
Hors-jeu, quand un groupe de jeunes filles passent une heure trente à tenter d'assister à un match de football, malgré les interdictions qui s'opposent à elles.
Et aussi dans le récent A propos d'Elly, de Asghar Farhadi, où chacun a son avis sur la manière d'annoncer à quelqu'un la disparition de sa petite amie. Le problème est sérieux mais ne trouve pas de consensus. Tous les détails sont soumis à la discussion. Il n'y a rien de général dans la façon que chacun a d'envisager le monde. (à suivre)

dimanche 31 décembre 2006

en 2006, dix films


1. La mort de Dante Lazarescu, Cristi Puiu
2. Hors-jeu, Jafar Panahi
3. Black book, Paul Verhoeven
4. Taxidermie, Gyorgy Palfi
5. Le nouveau monde, Terence Mallick
6. Les lumières du faubourg, Aki Kaurismaki
7. Odete, Joao Pedro Rodrigues
8. Rescue dawn, Werner Herzog
9. Les Berkman se séparent, Noah Baumbach
10. Shangaï dreams, Wang Xiaoshuai

jeudi 28 décembre 2000

en 1997, dix films

1. Lost Highway – David Lynch
2. En présence d’un clown – Ingmar Bergman
3. Le goût de la cerise – Abbas Kiarostami
4. Level five – Chris Marker
5. Petit Dieter doit voler – Werner Herzog
6. La vie de Jésus – Bruno Dumont
7. La rivière – Tsai Ming Liang
8. Le miroir - Jafar Panahi
9. Contact – Robert Zemeckis
10. Happy together – Wong Kar-Waï