Noah Baumbach est l'ombre bergmanienne de Wes Anderson. Quand chez Wes Anderson, les schémas psychanalytiques font comme l'architecture d'un monde que l'on traverse légèrement, chez Noah Baumbach il n'est question que d'emprisonnement et de transgression, que de limite et de franchissement de cette limite. Les personnages portent sur leurs épaules une image d'eux-mêmes qui les colle de trop près, jusqu'à ce qu'ils découvrent dans leurs souvenirs ou dans leur vie présente une surprise qui modifie cette image, qui vienne la briser. En vérité, ce n'est jamais une seule surprise. C'est une suite de découvertes et l'on passe des unes aux autres comme on tire un fil.
La surprise pour Jesse Eisenberg dans The squid and the whale de ne voir que sa mère dans le souvenir d'une visite au Museum d'Histoire Naturelle. La surprise pour Nicole Kidman dans Margot at the wedding d'une humiliation publique quand elle se croyait reine d'un soir dans la librairie où elle était venue faire une lecture (et la surprise de voir que cette humiliation n'est pas venue d'où elle aurait pu l’attendre). La surprise enfin pour Ben Stiller dans Greenberg de trouver une vie qui lui ressemble à l'endroit d'une parenthèse, de trouver du plein quand il cherchait au contraire à vider.
Surprises toujours libératrices - non pas qu'on puisse présumer d'un quelconque optimisme chez Baumbach (là n'est pas la question), mais c'est un cinéaste qui se fait le témoin de 'passages'. Jesse Eisenberg apprendra peu à peu à ne pas se laisser écraser par son père, qu'il imitait pourtant, au mot près, à la fille près, ignorant ses lâchetés, prenant pour vérité absolue le moindre mensonge d'orgueil. Nicole Kidman, quant à elle, apprendra à ne plus sans cesse blesser ses proches (sa soeur, son fils) pour se sentir libre. Et Ben Stiller de comprendre qu'un lien avec un autre être humain n'est pas nécessairement une invasion.
Ces chemins parcourus, comme les récits d'une analyse sans analyste (où l'analyste est le film, en somme), sont autant de très beaux portraits de quelques êtres en crise, au bord de précipices qui ne sont autres qu'eux-mêmes, et donc au bord d'eux-mêmes.
Ce qui est frappant aussi, dans les films de Noah Baumbach, ce sont les dialogues. Ce ne sont pas des dialogues qu'on a l'habitude d'entendre au cinéma. On trouve l'équivalent seulement chez Bergman ou Desplechin. Ils ne remplacent pas le film. Ils n'annulent pas l'image, qui n'est pas là pour les illustrer. Et pourtant, tout est dit dedans. Mais ils semblent moteurs de l'image, origine de la vie au sein de l'image qui s'anime grâce à eux. Pas étonnant alors de voir Jack Black dans Margot at the wedding, version pédophile du Ben Stiller de Greenberg.
Tout est dit dans les dialogues, mais pas exactement. Trop est dit. Ce qui est dit est tout ce qui excède. La parole est vécue ainsi, comme un excès. Nicole Kidman, dans Margot at the wedding, fut une enfant plutôt muette, au point d'inquiéter sa famille. Pourtant, aujourd'hui adulte, elle dit à sa soeur que son mari est un abruti, à son fils qu'il sent mauvais, aux voisins qu'ils s'occupent mal de leur fille. De même, Mme Berkman dit à son fils le plus jeune qu'elle couche avec son professeur de tennis, tandis que son fils le plus âgé la traite de tous les noms. Quand tant de dialogues de films sous-écrivent la scène pour la laisser respirer, Baumbach au contraire prend le risque de l'étouffer en la sur-écrivant, en dénonçant dès le point de départ les lignes de force, les enjeux, les sous-entendus. Et pourtant le film existe, les corps sont là, vivants, s'inventant mille postures, mille détournements. Le bon goût commun voudrait le demi-mot, Baumbach mise sur l'outrance, imposant par exemple cette phrase à Jack Black dans Margot : "I have the emotionnal version of whatever bad Feng Shui would be." Et ça marche. Parce que ce qui se joue est encore autre, déniaisé par l'énormité de ce qui est dit, et pouvant éclater violemment, faire irruption dans les scènes par les corps des acteurs. L'émotion n'est pas un secret. Le passé n'est pas un mystère. Tout est là, à disposition. Et ce qui intéresse Baumbach, c'est la façon dont chacun circule entre tous ces faits, tous ces chocs, toutes ces émotions.
La surprise pour Jesse Eisenberg dans The squid and the whale de ne voir que sa mère dans le souvenir d'une visite au Museum d'Histoire Naturelle. La surprise pour Nicole Kidman dans Margot at the wedding d'une humiliation publique quand elle se croyait reine d'un soir dans la librairie où elle était venue faire une lecture (et la surprise de voir que cette humiliation n'est pas venue d'où elle aurait pu l’attendre). La surprise enfin pour Ben Stiller dans Greenberg de trouver une vie qui lui ressemble à l'endroit d'une parenthèse, de trouver du plein quand il cherchait au contraire à vider.
Surprises toujours libératrices - non pas qu'on puisse présumer d'un quelconque optimisme chez Baumbach (là n'est pas la question), mais c'est un cinéaste qui se fait le témoin de 'passages'. Jesse Eisenberg apprendra peu à peu à ne pas se laisser écraser par son père, qu'il imitait pourtant, au mot près, à la fille près, ignorant ses lâchetés, prenant pour vérité absolue le moindre mensonge d'orgueil. Nicole Kidman, quant à elle, apprendra à ne plus sans cesse blesser ses proches (sa soeur, son fils) pour se sentir libre. Et Ben Stiller de comprendre qu'un lien avec un autre être humain n'est pas nécessairement une invasion.
Ces chemins parcourus, comme les récits d'une analyse sans analyste (où l'analyste est le film, en somme), sont autant de très beaux portraits de quelques êtres en crise, au bord de précipices qui ne sont autres qu'eux-mêmes, et donc au bord d'eux-mêmes.
Ce qui est frappant aussi, dans les films de Noah Baumbach, ce sont les dialogues. Ce ne sont pas des dialogues qu'on a l'habitude d'entendre au cinéma. On trouve l'équivalent seulement chez Bergman ou Desplechin. Ils ne remplacent pas le film. Ils n'annulent pas l'image, qui n'est pas là pour les illustrer. Et pourtant, tout est dit dedans. Mais ils semblent moteurs de l'image, origine de la vie au sein de l'image qui s'anime grâce à eux. Pas étonnant alors de voir Jack Black dans Margot at the wedding, version pédophile du Ben Stiller de Greenberg.
Tout est dit dans les dialogues, mais pas exactement. Trop est dit. Ce qui est dit est tout ce qui excède. La parole est vécue ainsi, comme un excès. Nicole Kidman, dans Margot at the wedding, fut une enfant plutôt muette, au point d'inquiéter sa famille. Pourtant, aujourd'hui adulte, elle dit à sa soeur que son mari est un abruti, à son fils qu'il sent mauvais, aux voisins qu'ils s'occupent mal de leur fille. De même, Mme Berkman dit à son fils le plus jeune qu'elle couche avec son professeur de tennis, tandis que son fils le plus âgé la traite de tous les noms. Quand tant de dialogues de films sous-écrivent la scène pour la laisser respirer, Baumbach au contraire prend le risque de l'étouffer en la sur-écrivant, en dénonçant dès le point de départ les lignes de force, les enjeux, les sous-entendus. Et pourtant le film existe, les corps sont là, vivants, s'inventant mille postures, mille détournements. Le bon goût commun voudrait le demi-mot, Baumbach mise sur l'outrance, imposant par exemple cette phrase à Jack Black dans Margot : "I have the emotionnal version of whatever bad Feng Shui would be." Et ça marche. Parce que ce qui se joue est encore autre, déniaisé par l'énormité de ce qui est dit, et pouvant éclater violemment, faire irruption dans les scènes par les corps des acteurs. L'émotion n'est pas un secret. Le passé n'est pas un mystère. Tout est là, à disposition. Et ce qui intéresse Baumbach, c'est la façon dont chacun circule entre tous ces faits, tous ces chocs, toutes ces émotions.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire