samedi 8 janvier 2011

Somewhere - Sofia Coppola

On déprime même à Hollywood. Les riches aussi ont des ennuis : cela semble être, après The social network, le nouveau leitmotiv du cinéma américain branché, ni trop indépendant ni trop spectaculaire, redistribuant les cartes de la souffrance, la vraie (comme dirait Bégaudeau).
Il y a dans Somewhere beaucoup d’abat-jour. On pensait l’abat-jour démodé, mais non, il revient en force, s’imposant au bord des cadres du dernier film de Sofia Coppola – film qu’on pourrait qualifier de film abat-jour, c’est-à-dire sans danger, sans lumière trop vive, sans vérité trop violente prête à éclater à n’importe quel moment. La seule chose qui puisse arriver, c’est que la toile chauffe et roussisse légèrement. Et c’est ce qui arrive. L’une pleure. L’autre aussi. L’affaire est réglée. Atteindre les larmes : doux objectif des cinéastes secs.
Ce n’est pas un film sans talent. Sofia Coppola sait faire du cinéma, diriger des acteurs, raconter des histoires sans en avoir l’air, instaurer un mystère, préserver des zones d’ombres, construire une scène avec peu de choses. Somewhere est un film plutôt habile, donnant d’abord par des plans serrés l’impression d’un isolement total de son personnage principal, Johnny Marco. Peu à peu les cadres s’élargissent, et surgissent des maîtresses, une fille, un frère, un hôtel résidentiel mystérieux, où gravite toute une panoplie de figures drôles et décalées. Cet hôtel est un monde, qu’on sent bâti précisément, mais qu’on ne voit jamais dans son ensemble. On ne peut que l’imaginer – et c’est là-dessus que repose le charme, si abat-jour soit-il, du film.
Johnny Marco est un homme qui regarde. Il regarde deux strip-teaseuses faire leur show devant lui tandis qu’il s’endort, il regarde sa fille patiner, il regarde le patron de l’hôtel lui chanter une chanson. Il attend des autres un spectacle auquel il ne participe pas, tenu dans l’inertie d’une existence sans passion. Cette chose-là est assez troublante lorsque l’on s’aperçoit qu’elle touche de la même manière le corps d’une femme de passage et celui de sa fille. Et c’est le même désir, le même ravissement, lorsqu’il la regarde patiner et lorsqu’il regarde les jumelles se taper sur les fesses avec des raquettes de tennis. Les costumes sont interchangeables : il verrait bien sa fille s’habiller avec le chapeau de cette femme avec laquelle il pourrait coucher. Dans la société du spectacle, les contours sont flous, tout le monde peut jouer le rôle de tout le monde.
Mais il manque une bombe. Il manque le surgissement de quelque chose qui renverrait aux oubliettes toute la mélancolie sans doute sincère, sans doute vécue, que la cinéaste nous impose. Notamment parce qu’elle emploie des images télévisuelles vulgaires, comme cette remise de prix en Italie sur une scène remplie de danseuses berlusconiques, sans jamais les décaler, résignée, sans le moindre sursaut d’indignation. La fin du film, en ce sens, est un échec : si Johnny Marco abandonne sa Ferrari sur le bord de la route, ce n’est que pour mieux marcher les cheveux au vent tel le cowboy Malborro qu’il voudrait ne plus être. Cette dernière image, assimilable à n’importe quelle publicité, ne parvient pas à se séparer du monde des images que Sofia Coppola prétendait pourtant critiquer.
Le gag du film est un aveu larvé. A Johnny qui pleure au téléphone et dit qu’il n’est rien, son ex-femme rétorque : « pourquoi tu ne ferais pas du bénévolat ? » Et soudain le spectateur se demande : oui, au fait, pourquoi ? Pourquoi Sofia Coppola fait-elle du cinéma plutôt que du parapente ? Sofia Coppola aurait pu faire n’importe quoi. Et c’est ce qu’elle fait, avec le cinéma. Ce n’est pas grave - c’est seulement obscène.

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