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jeudi 14 octobre 2010

John John - Foster Child - Brillante Mendoza

Ce matin-là, loin des gratte-ciels de la grande ville, tout le monde se lève d'un mauvais pied. Le père a perdu ses ciseaux et accuse tout ce qui bouge, la mère fait la loi à sa façon autoritaire et stridente, le fils nourrit les oiseaux sur le toit et oublie d'aller à l'école, et John John se réveille chagriné, pleurant et pissant. Il faut dire que c'est le dernier jour de John John dans la famille qui l'a élevé. Il sera ce soir confié à des Américains, qui l'adopteront.
La dame responsable de ces passages d'enfants, d'orphelinats en familles pauvres, puis de familles pauvres en familles riches, traverse le bidon-ville pour rendre visite à la famille temporaire de John John. Cette première traversée, en temps réel ou presque, invite le spectateur à poser un regard social sur les familles qui y vivent : voilà comment les mères élèvent leurs enfants, voilà comment les enfants se lavent, voilà de quoi sont faites les rues et les maisons.
Il y aura une seconde traversée, en sens inverse, effectuée par John John, sa nourrice et son fils. Cette fois-ci, le regard viendra de l'intérieur de ce qui est filmé. Nous entendrons les histoires de chacun - échanges de bande dessinée, rupture amoureuse, enfants qui grandissent... C'est cette seconde traversée qui donne toute sa force à la première. Les mêmes images s'affranchissent des catégories que nous avions plaquées sur elles, et deviennent vivantes, matérielles. L'humain transparaît.
C'est d'ailleurs la grande question de Mendoza, qui fait des films dont la temporalité excède rarement une journée. Il faut qu'au bout de la journée, par l'épuisement des courses d'un bout à l'autre de la ville, par le déplacement des corps d'un lieu originel en un lieu inhabituel, s'opère pour les êtres qu'il filme une révélation. Une révélation, ou bien une métamorphose. Ainsi cette nourrice, prenant très au sérieux tout ce qu'elle est chargée de faire, et ne perdant pas de temps en des considérations d'ordre émotionnel, de retour de l'hôtel où elle vient de laisser John John à la famille américaine, s'égarera aux abords d'un centre commercial, et pleurera violemment, secouée de sanglots. La ville est devenue un labyrinthe, et la nourrice un être auquel on vient d'arracher sa substance.

mercredi 12 mai 2010

Lola - Brillante Mendoza

On est là plongé dans un espace et dans un temps qu'on pourrait qualifier d'organiques. C'était déjà très présent dans Serbis et Kinatay, dans le scénario, dans la manière de filmer (immersive, disons), dans le travail sur le son, et ça l'est encore plus ici dans Lola, parce que ça s'inscrit aussi plastiquement. Il y a la pluie et il y a le vent, qui font l'atmosphère palpable, pressante. Le vent qui contraint la marche, la pluie qui inonde les rues et trempe vêtements et visages. L'espace semble habité par une matière dans laquelle les personnages doivent se frayer un chemin, en la repoussant.
Ils ont des niches, des lieux, ils circulent selon différents modes de locomotion, en taxi-bus, à pied, en barque, ou en train, ils traversent des ponts, empruntent des passages, échangent de l'argent. On a le sentiment d'être dans le dessin animé Il était une fois la vie où globules blancs et globules rouges cohabitaient pour lutter ensemble contre de méchants virus. La ville est un corps, le temps en est un autre - et parfois le temps menace le corps : ainsi cette attente autour de l'enterrement, et les questions qui se posent, de décomposition et de conservation.
Le parcours des personnages est plein d'épreuves, de stations, d'arrêts momentanés, qui donnent au spectateur cette impression d'un temps contre lequel ils luttent, un temps compté, une entité présente à l'esprit de chacun et que chacun cherche à repousser. Magnifique séquence où la grand-mère, revenant de chez sa soeur avec des haricots, des canards et des oeufs, cherche à s'en délester, les marchandant avec les personnes qu'elle rencontre, pour rentrer chez elle plus facilement.
Le film est plein de moments très inspirés, qui faisaient peut-être un peu défaut dans Kinatay, tels celui de la pèche miraculeuse, gracieux, formidable rupture de ton, où la grand-mère s'absente de un temps de la veillée funèbre, s'assoit sur une chaise, et aperçoit, dans l'eau qui menace sa maison, quelques poissons. Il y a là une vraie trouée, pas seulement poétique, aussi libératrice, qui donne à la narration toute sa vérité.
Je regrette un peu plus certains moments musicaux au début, où le son de la ville s'arrête, et où le film semble se figer sur des émotions plus convenues, plus univoques. L'image hétérogène de Mendoza semble alors obéir à un seul mot d'ordre.

jeudi 13 novembre 2008

Serbis - Brillante Mendoza


C'est toujours un moment incroyable de découvrir un cinéaste, un vrai. Ca se repère assez vite : soudain, on est plongé dans quelque chose d'infiniment singulier, qui ne dit jamais ce qu'on attend, qui ne représente rien d'autre que lui-même. Un cinéma qui ne se fait pas l'écho du monde, qui paraît être en trop, posé là sur Terre par hasard, presque une erreur.
Serbis donne cette impression. Cette histoire de famille en charge d'un cinéma porno aurait pu être lourde, pleine de non-dits et de non-pensés, vague subterfuge moral planqué sous une provocation. Mais non. Brillante Mendoza s'en fout, de ressembler à quelque cinéma que ce soit, de correspondre à quelque critère, de dire quelque chose du monde et de la famille en général - ce qui le passionne, c'est le particulier (rendre évident l'incongru), ce lieu, ce jour, ces acteurs.
Serbis montre une journée dans la vie d'une famille, journée charnière, où la grand-mère saura si son mari a été condamné pour avoir nourri une autre famille, où un jeune homme à furoncle décidera de vivre une autre vie, où sa petite amie annoncera sa grossesse, et une journée banale aussi, où un petit garçon ira à l'école, où le projectionniste se fera sucer dans la cabine, où un voleur sera attrapé dans le grand complexe architectural décati, où les clients courront après une chèvre infiltrée dans la salle. Petits échanges de bons procédés, déambulations incessantes dans des couloirs et des escaliers, portraits simples et fragiles, ni réalistes ni caricaturaux, simplement cinématographiques, fragilement filmés.
Brillante Mendoza a un ton - il dit la fébrilité, la dignité, le désir, comme peu avant lui. Il filme des personnages qui préféreraient ne pas être ce qu'ils sont - être un autre, et ailleurs. Son attention à l'espace est d'autant plus bouleversante. Omniprésence du son de la rue, lumière d'été passant par le mur troué, tous les lieux vivent - vivent peut-être plus que les êtres, un peu perdus, toujours insatisfaits.