Affichage des articles dont le libellé est Jim Jarmusch. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Jim Jarmusch. Afficher tous les articles

vendredi 10 août 2012

Night on earth, Jim Jarmusch (1991)


Le principe est plutôt rébarbatif, Night on earth est un film à sketches, et chaque sketch a lieu la nuit mais chacun dans une ville différente. L'ambition est grandiloquente, le résultat est un peu étriqué : la Terre du titre se réduit à l'Europe et aux Etats-Unis - Los Angeles, New York, Paris, Rome, Helsinki. A chaque fois, il s'agit d'un trajet en taxi, où chauffeurs et clients dévoilent quelque chose de leur vie, tandis que le paysage urbain défile par les fenêtres et autour de cette bulle mécanique que le véhicule fait autour des êtres. On pourrait énumérer les poncifs (la partie italienne est carrément sinistre, Benigni est horripilant d'auto-satisfaction histrionique) ; malgré tout, de ce film se dégage une théorie de la rencontre assez convaincante.
Cela est dû, sans doute, à la fluidité de la mise en scène et à l'élégance qui la régit. Quand dans Cosmopolis Cronenberg appliquait la méthode dure, le jeu éprouvant du quand-le-personnage-parle-je-le-filme, antonionisme au rabais où chaque individu est sans cesse renvoyé à son isolement, même dans l'espace confiné d'une voiture, Jarmusch, lui, opte pour la réunion des visages et des voix, l'entrelacement des destins. A chaque trajet correspond une rencontre. Et qu'est-ce qu'une rencontre ?, se demande le cinéaste. Il répond simplement par la métaphore du taxi : l'un conduit et l'autre se laisse conduire après avoir donné la direction. Parfois les rôles s'inversent (comme dans la très belle partie new-yorkaise, où le chauffeur, débutant, ne sait pas se servir de la boîte de vitesse automatique). Il y a des conversations, des soliloques, des histoires qui surgissent, des anecdotes, des regards et des silences. Les silences sont possibles ; à vrai dire ils sont nécessaires. Un temps s'instaure dans les conversations entre chauffeurs et clients, un temps d'observation, de jauge ou d'inquiétude, où le désir se cristallise, où la suite s'invente, et où, parmi tous les possibles d'un échange entre deux êtres, certains choix se font, lentement, selon l'intuition. La route (ou le trajet) fait l'unité. La ville est une enceinte. Tout le monde est lié. Lié par la ville et par la nuit. Le personnage de la partie finlandaise, qui est monté ivre mort dans le taxi, aidé par ses deux amis, et qui en descend en rampant, seul, vaguement épaulé par le chauffeur, à la question "savez-vous où vous êtes ?", répondra "Helsinki". Quelle plus juste vérité ? Quelle plus singulière unité que la ville ?
Jarmusch, non content de se demander ce qu'est une rencontre et d'en énumérer les signes, les circonstances et les possibilités, pose également la question de la mémoire. De quoi se souvient-on ? Que retenir d'un être, d'une vie ? Qu'en dire en vingt minutes ? Qu'est-ce qui, chez l'autre, attire ou répugne ? Qu'est-ce qui fait que d'une confidence une seconde découle ? Qu'est-ce qui, dans les vies que la ville juxtapose, dialogue comme si celles-ci n'étaient pas liées par le hasard mais bien selon un ordre étrange et beau ? Le taxi est peut-être la métaphore de la rencontre, mais il n'en est que la carcasse, c'est-à-dire la contingence, le prétexte. Après cela, il y a tout un temps à peupler, tout un trajet à faire. Et à chaque fois, ou presque, Jarmusch y plonge, donnant à ses clichés une dimension musicale ou chimique.

jeudi 31 décembre 2009

en 2009, dix films

1. Primitive, l'exposition et les courts-métrages (Primitive, Phantoms of Nabua, A letter to uncle Boonmee) - Apichatpong Weerasethakul
2. Le temps qu'il reste - Elia Suleiman
3. Inland - Tariq Téguia
4. Le miroir magique - Manoel de Oliveira
5. Tetro - Francis Coppola
6. Moon - Duncan Jones
7. The limits of control - Jim Jarmusch
8. 24 city - Jia Zhang-Ke
9. La religieuse portugaise - Eugène Green
10. Visage - Tsai Ming-Liang

jeudi 10 décembre 2009

The limits of control - Jim Jarmusch

Des êtres humains s'échangent des boîtes d'allumettes - c'est la belle idée (à la fois métaphorique, plastique, et scénaristique - à la fois le fond, la surface et le flux) du nouveau film de Jim Jarmusch, cinéaste qui m'avait toujours paru un peu avare (jusqu'au grand creux de Coffee and Cigarettes et Broken Flowers), et qui avance ici plus à nu qu'à l'accoutumée, avec des choses à dire (quelque part entre Inland, Visage et La religieuse portugaise - entre les frontières et les traces, l'art, et l'existence).
Un film qu'on parcourt comme un rêve, et qui se donne, lisible, fait de suites, de répétitions, d'harmonies et de signes. Un rêve - ou un jeu de piste.
Les boîtes d'allumettes sont le motif et le moteur du film : il y a un plaisir à les traquer (le suspense repose sur le moment où elles sortiront de la poche de la personne rencontrée - avant la parole, pendant, ou après ?), car on sait que chacune détient un visage, lequel détient un indice pour trouver un autre visage. Pas d'accumulation (au contraire de Broken Flowers, collier de perles dépressif), mais un passage. Du temps : un luxe ! On ne garde pas les boîtes - collectionneur sans preuve.
On chemine ainsi, de rencontres en rencontres, ponctuées par les leitmotivs d'un être : Isaach de Bankolé, impérial, entre son taïchi et ses deux cafés dans des tasses séparées. Pas grand chose, des liens minuscules mais puissants, des conditions posées au fait de rester vivant.
On pourrait être dans l'anodin - ou du moins se tenir à la surface insignifiante (quoique criblée de signes - mais ces signes sont vides) du film - on sait qu'on n'y est pas : le rêve ouvre sur la révolte. De cette communauté d'humains aux boîtes d'allumettes et aux passions distinctes (l'un se passionne pour la musique, l'autre pour les molécules...), s'échappe le parfum d'une insurrection, les premiers sursauts d'un monde souterrain. Jarmusch imagine une Commune éparpillée, non grégaire - une Commune invisible, non identifiable, non repérable.
Isaach de Bankolé, pour reprendre l'expression de La route, "porte le feu". Il n'est pas le marchand de sable - on voit difficilement les personnages s'éteindre après son passage. Au contraire, c'est quand ils disparaissent qu'ils existent enfin, ramifiant un mouvement plus grand qu'eux. Ils ne sont pas les rêveurs, ils sont les agents du rêve, ceux qui attendent dans un coin de nuit pour brouiller les pistes et agiter les images.
Et sans doute Jarmusch parle-t-il de l'artiste (lui qui n'a jamais rien eu d'autre à dire, au fond - qui aurait pu aussi bien ne rien faire) - en tout cas il filme l'art, les tableaux, la musique, la vision et l'écoute, et leur répercussion sur l'existence. Si Isaach de Bankolé reçoit pour indice le mot "violon", il ira d'abord l'observer au musée, représenté, avant de le découvrir dans la ville, animé, comme s'il sortait du tableau, comme si tout était toujours sorti de tableaux et de rien d'autre, et que les tableaux étaient nés des mots qui n'avaient pas d'objet. The limits of control est presque un film 68ard, où l'imagination est au pouvoir, où l'homme a renversé les instances divines.
Il y a un personnage magnifique dans le film, celui joué par Tilda Swinton, passionnée par le vieux cinéma, parce qu'elle veut savoir comment les gens fumaient il y a cinquante ou cent ans, comment ils s'asseyaient, de quoi ils avaient l'air lorsqu'ils ne faisaient rien. Elle apparaît plus tard sur une affiche de film, avec ce même parapluie transparent, ces mêmes pavés sous ses pieds, cette même façon de dire au revoir - mais des chats noirs planent dans le ciel menaçant. On ne se dit jamais que le personnage a inspiré l'affiche, on se dit plutôt que le personnage est redevenu affiche après en être sorti pour un temps très bref. C'est une rencontre, parmi toutes celles que Jarmusch nous propose - un instant gracieux échappant à la logique du temps et du réel, de ce que l'on considère comme étant le réel et qui n'est autre qu'une dictature insidieuse, contre laquelle lutte Isaach le samouraï.
Il y a une image dont je me souviendrai toute ma vie (mais tous les plans du film sont superbes) : une petite boule de papier tenue sur la paume d'une main, devant la vitre d'un train où défile un paysage de montagnes. C'est une montagne de plus, c'est la fixité contre la vitesse, c'est une façon de brouillonner l'univers, c'est le premier geste de l'art, comme une peinture rupestre. Jarmusch écoute l'homme répondre au monde, et le monde s'affoler devant tant de beauté.

samedi 31 décembre 2005

10 fausses valeurs pour 2005

1. Finding Neverland, de Marc Forster
2. Lemming, de Dominique Moll
3. Travaux, de Brigitte Rouan
4. Je ne suis pas là pour être aimé, de Stéphane Brizé
5. De battre mon coeur s'est arrêté, de Jacques Audiard
6. Batman begins, de Christopher Nolan
7. Mary, de Abel Ferrara
8. Aviator, de Martin Scorsese
9. Batalla en el cielo, de Carlos Reygadas
10. Broken flowers, de Jim Jarmusch

vendredi 31 décembre 2004

10 fausses valeurs pour 2004

1. 21 grams, d'Alejandro Gonzales Inarritu
2. Big fish, de Tim Burton
3. La mauvaise éducation, de Pedro Almodovar
4. Monster, de Patty Jenkins
5. In America, de Jim Sheridan
6. Quand la mer monte, de Yolande Moreau
7. Lost in translation, de Sofia Coppola
8. Gerry, de Gus van Sant, super-arty-ficiel
9. Coffee and cigarettes, de Jim Jarmusch
10. Tarnation, de Jonathan Caouette

mercredi 27 décembre 2000

en 1996, dix films

1. Few of us – Sharunas Bartas
2. L’abécédaire de Gilles Deleuze – Pierre-André Boutang
3. Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) – Arnaud Desplechin
4. Casino – Martin Scorsese
5. No sex last night – Sophie Calle
6. Crash – David Cronenberg
7. Breaking the waves – Lars von Trier
8. Dead man – Jim Jarmusch
9. For ever Mozart – Jean-Luc Godard
10. Y aura-t-il de la neige à Noël ? – Sandrine Veysset