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vendredi 3 février 2012

Les chants de Mandrin - Rabah Ameur-Zaïmeche

Il y a de belles choses dans le dernier film de Rabah Ameur-Zaïmeche, mais il n'y en a pas que des belles.
Il y a, c'est évident, le désir de dire quelque chose de politique, de représenter un autre monde, celui des bandits de grands chemins, flibustiers du réel, pirates de l'Histoire de France, et de faire des ponts avec le présent. Mais cela se réduit trop souvent à une série de postures. Tout est trop évanescent, cadrages, durées, corps, couleurs, tout cela est laissé au hasard - et le hasard ne fait pas l'anarchie, mais plutôt le brouillon - pas le désordre, mais le jugement. Le film n'est traversé par aucune nécessité : il affiche sa couleur et s'en contente. En fait, il y a peu de cinéma. On a plutôt l'impression d'assister à la réunion d'une bande de potes d'extrême-gauche - on connaît bien ces réunions, ce n'est pas là qu'on fait la révolution. Par contre, on y vide quelques bouteilles. Mais RAZ a caché les bouteilles et les fumigènes, il ne veut pas parler d'amitié, il veut parler d'une bande, il veut faire trembler la Terre comme il croit qu'il le fait le vendredi soir au café.
Une forme d'esprit de sérieux plombe le film : ce poids sur chaque mot, chaque geste -
" - Vous campez depuis longtemps ?
- Depuis que nous sommes nés." -
comme si Rabah Ameur-Zaïmeche se croyait seule conscience de gauche du cinéma français. Cette conscience se pare d'atours XVIIème siècle. Jamais le trivial ne se mêle à tout ça. La matière est noble, trop sans doute, Pasolini l'avait compris, on est loin de son cinéma, loin de sa puissance. La musique très cool peine à palier aux faux-rythmes incessants du film, à son esthétique aléatoire, à son jeu d'acteurs épouvantable. Finalement, ce sont les mêmes fêtes qu'à droite, mais pas la même musique qu'on écoute, ni les mêmes noms qu'on cite ("Voltaire : excellent choix!"). Tout est pose, et Mandrin n'est rien de plus qu'une autre idole, une idole bon ton, un Papa meilleur que les Papas des autres.

La viscosité formelle du film devrait relever d'une anarchie de fond : elle met en lumière la paresse à l'oeuvre. Les chants de Mandrin ne sont bons que dès lors qu'ils se contentent de produire des images, les voleurs venant de la forêt et passant par la fenêtre dans la pénombre d'une maison abandonnée, les chevaux dans le soleil, la barricade dressée devant le spectateur... RAZ constitue des figures esthétiques quasi-publicitaires, mais c'est seulement là qu'il excelle, finalement. Les corps mous sont guindés. Que font les acteurs, si ce n'est correspondre (plus par leur gueule que par leur corps, d'ailleurs - comme chez Audiard père) à des présupposés ? Jean-Luc Nancy et Jacques Nolot ont été rameutés : ils estampillent RAZ, on entend retentir le "il est des nôtres" des pochtrons fiers d'être ce qu'ils sont, c'est de la reconnaissance, mais certainement pas du collectif : de l'entre-soi. Cette façon qu'a RAZ de toiser le nouveau venu Nolot en lui tournant autour avec son cheval qu'il ne sait pas monter est invraisemblablement puérile. Le spectateur est accueilli de la même façon : suspect d'abord, puis assimilé. Le ralliement ne fait pas le cinéma.
A un moment du film, RAZ nous montre deux régimes de travail (l'imprimeur et son ouvrier, puis le général et son soldat) face à un même objet (le livre de Mandrin). L'imprimeur dit à son ouvrier qu'il sait celui-ci fier de publier un tel livre (ce qui laisse à penser qu'il l'a lu et qu'il approuve son propos) ; le général dit à son soldat de brûler les livres et préfère qu'il ne sache pas de quoi il s'agit. D'un côté, on a une hiérarchie de la connaissance, de l'autre, une hiérarchie préservant l'ignorance. Malgré tout, c'est le même rapport : le patron a la parole, l'ouvrier se tait. Comme RAZ, qui ne cesse de se filmer, de se donner les meilleures répliques, dans sa bande de voleurs soi-disant sans chef. Les femmes, quant à elles, ne parlent qu'une fois, et c'est pour dire merci parce qu'on les déshabille.

Il y a, dans Les chants de Mandrin, une suffisance un peu pénible, quelque chose de très fermé et très dans l'air du temps, et qui n'invente rien. C'est, finalement, un film capitaliste : un film qui fait état de sa culture comme d'un patrimoine. La première question à se poser, quand on fait un tel film, n'est peut-être pas "qui sont les grandes figures révolutionnaires ?", mais "qu'est-ce qu'un corps révolutionnaire ?" Rarement des personnages à la conscience soi-disant si éveillée ne m'ont paru si endormis.

vendredi 24 octobre 2008

Dernier Maquis - Rabah Ameur-Zaïmeche



Je me suis dit, pas mal. C'est un film rouge, c'est moins bien que Le désert rouge, mais c'est pas mal. Il y a de la couleur, il y a des gestes, il y a une attention aux gestes assez extraordinaire, il y a des ponts entre la dialectique et la contemplation (entre le narratif et l'esthétique), c'est plus abouti que Bled Number One, c'est un film pas mal. Mais.
Mais, j'ai eu le temps de me dire, pas mal. Un flux sans cesse interrompu. Je guettais les scènes, je pouvais les isoler, les désarticuler, ça ne changeait rien. Comme s'il manquait un montage. Pas un montage à l'intérieur des scènes, mais un montage des scènes entre elles. Autrement dit : le souffle. Le ton. Une idée de ce que pourrait être la voix du film. Son engorgement. C'est ça : Dernier Maquis ne parle pas. Les scènes s'empilent les unes sur les autres, comme les palettes rouges qui lui servent de décor. La fascination de Rabah Ameur-Zaïmeche pour le mécanique : voilà le problème pour moi. Rien de brisé. C'est un film qui empile. Un film d'usurier.
C'est que le cinéaste joue aussi le rôle du patron (Mao, passons sur cette lourdeur, elle n'a pas d'importance - ou du moins n'a-t-elle pas l'importance qu'elle se donne). Un patron de fiction, un censeur qui dit ce qu'il censure, un manipulateur qui donne toutes les clefs de sa manipulation. Le seul à jouer quelque chose de précis - le seul à avoir un jeu cérébral, une idée. Comme si Rabah Ameur-Zaïmeche sortait de sa propre tête.
Parfois, quelque chose de troublant s'esquisse. Le patron redevient cinéaste. Il se laisse surprendre par le jeu de ses acteurs, il les incite à continuer, ou bien les freine. Quelque chose là aurait pu se radicaliser. Le patron s'affirmer ouvertement comme metteur en scène de tout ce petit monde. Au lieu de ça, Rabah Ameur-Zaïmeche préfère ne pas toucher à l'illusion du jeu, à l'illusion de la fiction. Et son film empile les écrans rouges. On est passé à côté d'un possible grand trouble.